Jeremy Gaillard : « Mon problème aujourd'hui, c'est de préserver notre filière. »

Olivier F
14 Aug 2025

La filière du chanvre CBD ou cannabis light a réussi à s’imposer en France mais elle est actuellement en danger. Les consommateurs ne se contentent pas du CBD et recherchent des produits légaux avec des effets proches du THC. Après l’interdiction du HHC, des molécules synthétiques ou semi-synthétiques très dangereuses sont arrivées sur le marché. De nombreux consommateurs ont dû être hospitalisés. Appelés à tort « cannabinoïdes », ils se présentent sous différentes formes et sont vendus sur certains sites ou dans certains CBD shops. Nous avons interviewé Jeremy Gaillard, consultant et formateur dans la culture du chanvre. Opposé aux produits souvent appelés à tort « cannabinoïdes » de synthèse, il tire aujourd’hui la sonnette d’alarme.


SSFR : Est-ce que tu fais une différence entre les molécules synthétiques et semi-synthétiques ? 

Jeremy Gaillard : Non, tout ce qui est synthétique, semi-synthétique, c'est des choses que j'aimerais ne pas voir dans notre filière. Nous, on défend vraiment un produit naturel, voire même bio, cultivé avec des méthodes qui préservent l'environnement et la santé des consommateurs, et aussi des agriculteurs, et un produit qui est tracé du début à la fin.

Quels sont les principaux dangers de ces molécules synthétiques ou semi-synthétiques ? 

Si on parle déjà de santé publique, c'est un vrai drame. Aujourd'hui, on est sur des molécules qui sont mises sur le marché sans avoir aucun retour sur une consommation à court terme ou à long terme. On est sur des produits qui qui peuvent entraîner de la tachycardie, des spasmes et tout un tas de problèmes. Et en dehors de la santé publique, les gens ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de donner toutes les armes à l'État pour qu'on se fasse déglinguer dans les mois à venir. Pour nous, c'est un vrai problème. Moi, ça fait quelques années que j'essaie d'alerter les pouvoirs publics et il n'y a aucun retour. Tu te demandes si ça ne les intéresse pas de laisser pourrir complètement la filière pour avoir tous les arguments pour la fermer. Moi, je ne trouve pas normal que l'État laisse faire toutes ces dérives. C'est complètement aberrant. Aujourd'hui, tu rentres dans un CBD shop, tu peux acheter des molécules qui sont plus psychotropes que le THC, et sur lesquelles tu n'as aucun retour. Maintenant, ils sont même mis à vendre du muscimol ! C'est un principe actif que tu retrouves dans un champignon, l’amanite tue-mouche. Ça n'a rien à voir avec le cannabis. 

Certaines marques vendent des produits sans préciser la composition exacte. Ils les présentent comme des mélanges de « cannabinoïdes »…

Ils appellent ça des néocannabinoïdes. Alors déjà, il faudrait qu'ils apprennent un petit peu à faire de la sémantique, parce que néocannabinoïde, c'est nouveau cannabinoïde. Ce serait des molécules qu'on découvre naturellement dans la plante. Et pour la plupart, ce sont des molécules chimiques qui sont inventées par l'homme. Donc déjà, même le terme qu'ils utilisent n'est pas le bon, et il met à mal toute la filière. Un autre problème est que ces produits sont quasiment tous vendus avec une TVA à 5.5 %, ce qui veut dire que ce sont des produits alimentaires. Et l'une des obligations légales pour vendre de l'alimentaire, c'est la liste des ingrédients par ordre de proportionnalité, ce que tu ne retrouveras sur aucun de leurs produits. C'est ce qu'on appelait notamment le « pète ton crâne »ou PTC. Ça a été interdit, mais tu en retrouves encore dans plein de boutiques car Il n y a aucune traçabilité. Qu'est-ce qu'ils recherchent, les grossistes ? Ils cherchent du volume et ils cherchent des prix bas. Et toutes ces molécules-là, sont  fabriquées en labo et ne coûtent pas cher à fabriquer.

Quelles sont les solutions pour améliorer la situation ?

L’important est déjà de préserver nos acquis, d’éviter de se retrouver encore avec des retours en arrière. J'ai vraiment travaillé sur le sujet à l’AFPC (Association Française des Producteurs de Cannabinoïdes) avec un groupe d'une vingtaine de personnes volontaires. Et on en est arrivé au constat qu'interdire des molécules, comme on l’a déjà fait, ne servira jamais à rien. On peut interdire le HHC et le THCP. Les chimistes auront toujours 10 coups d'avance. Toutes ces nouvelles molécules sont déjà prêtes. On peut interdire molécule par molécule mais le combat est perdu d'avance. Mon problème aujourd'hui, c'est de préserver notre filière. Les mecs qui veulent se défoncer le crâne, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Moi, je pense qu'on peut traiter le problème différemment, en faisant deux filières complètement séparées. Si des gens veulent vendre des molécules, ils pourraient faire comme en Hollande, ouvrir des smart shops et vendre toutes les molécules qu'ils veulent. Par contre, celui  qui met un panneau CBD shop, le minimum serait qu'il ne vende que des produits naturels. La proposition qu'on a faite avec l’AFPC, et qui a été reprise par le SPC (Syndicat des Professionnels du Chanvre), c'est simplement interdire toute altération des produits issus de la fleur de chanvre, interdire de pulvériser des molécules dessus, interdire de rabaisser le taux de THC des fleurs, interdire de pulvériser des terpènes…Ce sont des pratiques qui existent déjà dans d'autres filières agricoles et qu'on pourrait retranscrire sans aucun problème sur la fleur de chanvre.

Quels sont les principaux pays qui exportent du CBD en France et concurrencent les agriculteurs français ?

Aujourd'hui, il y a plus de 80% des produits CBD vendus en France qui ne sont pas cultivés sur place. Aujourd'hui, il y a une marge de progression qui est énorme et notre seul problème, c'est que les CBD shops ne jouent pas le jeu du produit français. Ils cherchent un tarif, et non pas la qualité. Ils cherchent juste à faire une marge. Il faut savoir que la plupart des produits qui sont vendus en France, normalement, sont illégaux. Ils ne devraient pas se retrouver sur le marché français. Ils sont cultivés selon des normes qui ne sont pas légales en France. Ils sont importés de pays d’où normalement ils ne peuvent pas être importés. C'est illégal et on se retrouve avec une concurrence qui est plus que déloyale. 

Principalement, ce sont des sociétés suisses, parce que la Suisse, quand ça les arrange, c'est l'Europe, et quand ça les arrange, c'est pas l'Europe. En Suisse, ils peuvent faire ce qu'ils veulent. Ils importent de la matière du Maroc, de l'Uruguay, de la Colombie et d’un tas d'autres pays. Une fois que ça arrive en Suisse, c'est reconditionné,et ça part au Luxembourg. C'est fiscalisé au Luxembourg comme « autres produits du tabac produits en Suisse ». Et ça inonde le marché européen et principalement le marché français. Donc, par ce modèle de fiscalisation et en enlevant  toute transparence de la filière, tu te retrouves aujourd'hui avec des produits qui normalement ne devraient jamais se retrouver sur le sol français. Le prix de départ d'Uruguay est  plus bas que mon coût de production. En Uruguay, c'est acheté à 80 euros le kilo de fleur. C'est des containers entiers. Ils arrivent en Suisse et ils font des paquets de 100 kilos. Ils les vendent à 150 balles le kilo à des grossistes. Là encore, on n'est pas sur mon coût de production. Ensuite, ils font des sacs de 1 kilo qu’ils vendent 300 kilos aux boutiques. Les Italiens, c’est pareil. Ils profitent de leur réglementation qui n'est pas du tout en accord avec la nôtre. Ils ont le droit à une main d'œuvre marocaine, immigrée, qu’on paye aux tarifs marocains. Suite à l’arrêté sur le chanvre en Italie, il y maintenant beaucoup de cultivateurs italiens qui déménagent en Grèce.

Tu es maintenant consultant et formateur dans le domaine du chanvre. Quels sont exactement tes activités ?

Le travail s'adresse principalement à des gens qui débutent leur activité, qui sont à la recherche des bonnes informations pour se lancer en faisant le moins d'erreurs possibles. Concernant les réglementations, il faut éviter de faire n'importe quoi, faire les choses dans les règles. Je les aide vraiment en leur apportant une compréhension globale des réglementations qui encadrent notre filière. Je leur explique ce qui est légal, ce qui n'est pas légal, quelles sont les choses qui sont tolérées. Dans cette filière, beaucoup veulent travailler avec le label bio. Donc, je parle de la réglementation du label bio, tout ce que ça implique et autres. Ensuite, il y a le choix des semences suivant leur terroir, ce qu'ils veulent faire comme produit. Ça peut être de la fleur, des produits dérivés ou autres. On voit avec eux quelles sont les variétés les plus adaptées à leur travail. Puis ensuite, il y a tout ce qui concerne l'itinéraire cultural, le sexage, comment mettre en place un vrai séchoir pour sécher dans de bonnes conditions, apprendre à dimensionner le séchoir, On parle des débouchés, des tarifs qu’ils peuvent espérer selon les filières qu'ils visent.

Donc ça, c'est une première formation que j'appelle l'initiation. Après, j'ai une seconde formation qui s'adresse à des personnes qui sont déjà installées, qui ont déjà cultivé, où je leur apprends de manière naturelle et artisanale à faire une gamme de produits dérivés. C'est assez complet, j'ai l'impression, cette formation. Ça permet de partir avec les bonnes bases et d'éviter toutes les galères.

Prenons le cas d’un cultivateur qui se lance dans le chanvre. Combien de temps lui faudra t-il avant de vivre de son exploitation ?

Ça dépend. il y a beaucoup de modèles différents. Là où on a les meilleurs retours, c’est avec les petits cultivateurs. Ce sont des cultivateurs qui font, par exemple, déjà du maraîchage et qui peinent à en vivre. Ils font le maraîchage, ils vont au marché tous les jours et puis à la fin du mois ils galèrent. Alors, ils rajoutent 100 plantes de chanvre. Ils font un peu de fleurs, un peu d'huile, un peu de tisane, un peu de résine et autres. Et puis tous les matins, quand ils vont au marché, au lieu de faire 150 euros, ils vont en faire 300. Et puis à la fin de l'année, ils auront gagné leur vie comme ils ne l’ont jamais gagné avant. Pour ce modèle-là, dès la première année, tu peux commencer à gagner de l'argent. Tu n'as fait quasiment aucun investissement et tu peux en vivre décemment. Quelqu’un qui part sur un modèle comme j'avais à la ferme de Pigerolles dans la Creuse, là, c’est des années avant d'arriver à toucher un euro parce que tu investis énormément, tu n'as beaucoup de main d’œuvre, tu ne vends pas cher parce que tu es sur des gros volumes. Et ça, c'est des modèles où tu vas mettre 5, 6, 7 ans avant d'arriver à en vivre.

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