Gérard Santi, fondateur du magazine Viper

Olivier F
06 Sep 2025

Nous interviewons aujourd’hui un pionnier de la presse cannabique française. Entre 1981 et 1984, Gérard Santi a publié Viper, le premier magazine français sur le cannabis. Aux États-Unis, dans les années 30 et 40, le mot Viper désignait un fumeur de joints. De nombreux morceaux de jazz y font référence. Le magazine Viper contenait principalement des bandes dessinées et des articles anti-prohibitionnistes. 11 numéros ont été publiés en kiosque et le tirage a atteint 30.000 exemplaires pour le dernier. 40 ans après la publication du dernier numéro, nous avons retrouvé Gérard Santi. Il habite maintenant le sud de la France où il continue de composer de la musique et de se produire sur scène.


SSFR : Dans le milieu du cannabis, tu es connu surtout comme le créateur de Viper mais tu as eu de nombreuses activités. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?

Gérard Santi : Bon, avant tout, je suis un être humain, citoyen d'un monde qui part sérieusement en couille, rêveur, anar, beatnik, hippie, gauchiste, indigné, insoumis… et plus très jeune ! Je rajoute que je suis musicien, que j'ai été journaliste, assistant photographe, comédien, organisateur d’événements…

Te souviens-tu de ton premier joint ? 

Mon premier joint, ce devait être vers 1965. J'avais 17 ans, et ça ne m'a strictement rien fait. Le 2ème, par contre ! Les circonstances ? Je faisais partie du « Club des Poètes » et nous avions un spectacle où je devais réciter plusieurs œuvres. Juste avant, un pote me passe un joint « pour décompresser » !  L'effet s'est fait sentir au bout de 10 minutes : je ne me souvenais plus du moindre mot de ces fichus poèmes ! Heureusement, je suis monté sur scène une bonne demi-heure plus tard, la mémoire m'est revenue et tout s'est bien passé. 

Quel est le type de cannabis que tu fumais à l’époque ? 

Le « cube » de Marocain, 1 gramme environ, 10 francs. Et l'herbe africaine vendue 5 francs la boite d'allumettes. La qualité, difficile de juger… J’étais encore novice à l'époque mais c'était plutôt bon et quelle rigolade ! Par contre, l'herbe, quand tu avais enlevé les feuilles, les branches, les graines… Le hasch était plus économique !

Est-ce que tu consommes encore du cannabis ?

Oui, mais beaucoup moins, et surtout pour dormir, En fait, j'ai arrêté le tabac il y a une trentaine d'années et j'ai alors découvert qu'en fumant l'herbe pure, l'effet était plus efficace, plus agréable et l’accoutumance due au tabac avait disparue. Il m'arrive encore d'en fumer après un concert mais plus jamais avant (sinon, je me laisse emporter par l'improvisation, et le public n'apprécie pas forcément des morceaux de 30 minutes, voire plus !)

Gérard Santi, fondateur du magazine Viper
Gérard Santi dans une publicité pour Nouvelles Frontières publiée dans le magazine Actuel.

A l’époque, tu appartenais au mouvement hippie mais certains auteurs / dessinateurs de Viper venaient de la presse punk. Quelles étaient les principales différences entre les hippies et les punks ? Les hippies et les punks consommaient-ils les mêmes drogues ?

Hippies, punks… Au départ, il y avait une certaine animosité entre les deux. Puis, petit à petit, les punks sont devenus hippies sans s'en rendre compte !  Avec comme lien, l'esprit libertaire, anarchiste, ce refus d'une société décadente. Concernant les drogues, peut-être que les punks consommaient plus de speed ou d'héro que les hippies, mais tout le monde fumait, ça c'est sûr ! Hippies, punks, on n'écoutait pas la même musique et on ne s'habillait pas pareil, Mais, pour moi, la principale différence, c'est que les hippies étaient « positifs » quand les punks étaient « négatifs ». Heureusement, ils ont su évoluer. Mais pour Viper, il est clair qu' il y avait de leur part une certaine défiance envers moi, du moins au début.

Comment as-tu eu l’idée de publier le magazine Viper ? Comment le magazine a-t-il été financé au départ ? 

On était réunis avec quelques amis autour d'un joint (disons de plusieurs !) et on se demandait ce qu'on pourrait bien faire d'intéressant. Je travaillais alors dans une librairie spécialisée dans la BD, la SF, le cinéma… Et je connaissais pas mal de dessinateurs, L'idée de faire le « premier dope comix français » nous est alors apparu comme une évidence. Nous, c'était Bruno Boulay, que j'avais connu en Inde et retrouvé à Paris, et Erik Gilbert, qui travaillait dans la même librairie que moi.

Nous fûmes rejoints par le dessinateur Mr Picotto, dont l'aide nous fut très précieuse. Il nous présenta un maquettiste, un imprimeur, et contribua talentueusement à la conception de ce premier numéro, Bruno devint notre administrateur, Erik écrivit quelques scenarii et articles, avant de partir aux USA où il devint notre correspondant, Plus tard, il créa la version US de Viper (un seul numéro, collector, car presque tout le stock périt dans un incendie !),  Et moi, ils me bombardèrent directeur de la publication et de la rédaction ! Quant au financement, Bruno et moi investirent de notre poche 23.000 francs, notre capital. Par la suite, quand nous frôlions la faillite, mon père m'a fait un chèque, un ami, qui s'occupait de la diffusion, nous a prêté une somme non négligeable… Sinon, les abonnements, les produits dérivés (cartes postales, posters) et ce que nous importions des USA (livres, comics, posters…) nous rapportaient quelques subsides.

Couverture de Viper numéro 1
Le premier numéro de Viper.

Pourrais-tu citer quelques auteurs de bandes dessinées que tu publiais à l’époque ?  

Oh, il y en a eu beaucoup ! Des débutants, des peu connus, des célèbres,,,Le premier fut donc Mr Picotto. Puis vinrent Druillet, Pierre Ouin, Max, Benito, Imagex Vuillemin, Margerin, Tramber, Jano, Schlingo, Mattt Konture, David B, Jean Rouzaud, Benoit Serrou (aka Pixel Vengeur), Moynot, Ucciani, Voss, Dorée, Shelton, 
Lagautrière, Gerbaud, Boudjellal, Luky Weissmuller, Denis Sire, Pic et Zou et beaucoup d'autres, certains juste pour un dessin, une couverture…

Viper contenait également des articles, notamment sur la musique…

Des articles sur la musique, mais aussi sur plein de sujets, Et nous avions une petite équipe de rédacteurs : Doc Gonzo, Erik Gilbert, Bruno Boulay, Anita Jolijoint, Gino Bostick et moi-même (sous divers pseudos), et des « invités ». On recevait des démos, des disques, des livres, mais, en général c'était moi qui en faisait les critiques, Et s'il y avait un groupe qui était quotidiennement dans mes oreilles (et dans mon cœur), c'était le Grateful Dead !

Quels sont les magazines qui ont influence Viper ? On le compare souvent au magazine espagnol El Vibora (« la vipère » en Espagnol)… 

Dope Comix fut la première source d'inspiration (nous avions d'ailleurs acheté les droits pour la couverture, qui devint celle du Viper N°1). Et High Times, bien entendu, le Times Magazine de la dope. El Vibora ne nous a pas influencés, vu que je ne l'ai découvert que plus tard1. Je connaissais le nom, mais je ne l'avais jamais lu. Et pour l'anecdote, El Vibora (avec l’éditeur Artefact ) ont voulu racheter Viper, mais ils ne voulaient plus de rédactionnel, que des BD ! Hors, moi, je voulais au contraire développer la partie rédactionnelle, avec des reportages, des interviews, des enquêtes, et des délires et parodies… Nous en avons discuté, et pris la décision de refuser,

Certaines BDs, comme Bloodi de Pierre Ouin, ou articles parlaient aussi des drogues dites dures… 

Nous souhaitions apporter une information objective et crédible sur les produits, les addictions… Nous voulions montrer aussi que tout le monde avait sa drogue, illicite ou licite, que les drogues en général touchaient toutes les classes de la société et avaient accompagné les humains depuis les débuts de l'humanité.

Gérard Santi et les auteurs de Viper
La remise du « Joint de Népalais » lors de la Convention de la BD de Bastille.

Viper a eu des problèmes avec la justice en 1985. Quelle a été exactement ta condamnation ? 

En fait, j'ai reçu un beau matin une lettre officielle m'informant que j'avais été condamné par le tribunal du Mans (Viper avait son siège social et était imprimé dans la Sarthe) à un an de prison avec sursis et 5.000 francs d'amende. La « Justice » avait soi-disant essayé de me contacter, mais ne m'avait pas trouvé, alors que mon nom figurait partout. Ils l'ont d'ailleurs bien trouvé pour m'envoyer le « faire-part » de cette condamnation.

J'ai donc pris une avocate, constitué un dossier rempli de déclarations de dessinateurs, personnalités diverses, journalistes, expliquant la qualité et l'importance de notre travail. J'en profite pour rappeler que nous avions été soutenus par la revue « Drogues », obtenu une subvention du Ministère de la Culture, et tous les numéros de Viper se trouvaient dans les bibliothèques de 30 Alliances Françaises de par monde !

Nous avons donc contesté ce jugement, et quelques mois plus tard, rebelote au tribunal du Mans, avec armes et bagages, cette fois en ma présence. Je suis tombé sur un gros connard de juge, facho, désagréable, incompréhensible dans sa façon de parler, qui n'a pas jeté un œil sur mon dossier de défense, et, en 5 minutes, a confirmé la condamnation précédente, pour« apologie de la drogue », pour une phrase écrite par une de mes collaboratrices dans le N°1, phrase sortie de son contexte. Et 3 ans plus tard, j'appris que j' étais privé de mes droits civiques pour 5 ans, et je n'ai jamais reçu de document officiel confirmant ma condamnation. Idem pour l'amende, que l'on ne m'a jamais réclamée !

Mais, contrairement à ce qui a été dit, cette mascarade ne fut pas la cause de la fin de Viper. J'étais fatigué, écœuré, fauché… Il fallait que j'arrête et que je m'éloigne de tout ça, En 86, fini Paris, départ en famille vers l'Aude, où j'habite depuis, et où je finirai vraisemblablement mes jours ! Mais je ne regrette pas ces folles années Viper, pas plus ce que j'ai dit ou fait à cette époque !

Gérard Santi en 2025
Le duo Cosmic Link sur scène le 9 mai 2025.

Et tu continues de faire de la musique…

J'ai toujours fait de la musique (blues, folk, country, rock). J'ai eu l'occasion de jouer avec différents groupes, mais aussi en solo et en duo, Je viens d'ailleurs de démarrer un nouveau duo, Cosmik Link, et nous avons eu notre premier concert, avec ma nouvelle partenaire, pas plus tard que la semaine dernière ! Et je compte bien continuer, jusqu'au bout, tant que je peux chanter, jouer de la guitare, quitte à mourir sur scène, ha ha !

Ma musique est assez personnelle, un mix de toutes les musiques qui m'ont inspiré, Mes textes, écrits en anglais parlent en général des beautés de la nature que l'humain souille et détruit petit à petit, de respect, d'amour, mais aussi de la corruption des politiques, des mensonges qui nous submergent quotidiennement, que ce soit à la télé ou sur les réseaux sociaux, de l'importance de rester jeune dans sa tête et de continuer d'espérer. Je suis maintenant un retraité qui chante, mais pas encore mon chant du cygne !

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