Wernard Bruining, le père de la weed
Premier coffeeshop, premier growshop et fondateur de Soft Secrets ! Son nom est à jamais lié au Mellow Yellow, le premier véritable coffee shop d’Amsterdam, qu’il a fondé avec quelques amis en 1972. Mais Wernard Bruining a également contribué à la révolution du cannabis, ouvert le premier growshop d’Europe et innové dans l’huile de CBD médicinale. Comme si cela ne suffisait pas à toute une vie, Wernard a fondé Soft Secrets dans les années 1980, le magazine de son growshop. Pour le 40e anniversaire de Soft Secrets, nous avons dressé le portrait de cette légende vivante de la scène européenne du cannabis, un véritable hippie qui n’aime ni le travail ni le commerce
Par Derrick Bergman
Wernard Ernest Bruining est né le 14 août 1950 à Sorong, en Nouvelle-Guinée, alors colonie néerlandaise. Il y passe ses 10 premières années, puis sa famille a déménage aux Pays-Bas. « Au total, j’ai fréquenté 20 écoles”, dit-il, “Je suis donc très détaché. Je n’ai ma place nulle part. » Wernard souhaite devenir enseignant et, en 1968, il s’inscrit à l’école normale d’Amsterdam. En deuxième année d’études, il découvre le cannabis. Cela lui fait comprendre que l’école ne le forme pas à apprendre aux enfants à penser par eux-mêmes, mais à obéir.
Il abandonne ses études, occupe quelques emplois puis, commence à gérer un centre de jeunes, le Second Home, avec quelques amis. On y fume beaucoup d’herbe et de haschisch. « Entre fumeurs d’herbe, il y en a toujours un ou deux qui savent où s’en procurer. Ils achètent et distribuent ensuite à leurs amis. C’était pareil dans notre centre de jeunes. » De temps
en temps, quelqu’un allait acheter quelque chose et le distribuait. Si on faisait ça bien, on en gardait un peu et c’était gratuit. C’était ça le sport.” L’étage qu’il partage avec des amis au Second Home deviendra un lieu de rencontre pour les amateurs de cannabis.
Mellow Yellow
En 1972, l’idée de faire de ce mode de vie un métier commence à germer. Wernard et ses amis squattent une boulangerie vide au 53 Weesperzijde à Amsterdam. C’est ainsi qu’est né le salon de thé ‘Mellow Yellow’, du nom d’un célèbre tube pop de l’époque. Grâce à un crédit, ils achètent ½ kilo de haschisch, le coupent en morceaux et les emballent dans des sacs en plastique. Les sacs sont vendus par le dealer aux clients du salon de thé. Officiellement, le dealer n’est pas un employé du salon. « Il s’est assis au bar et s’est fait passer pour un client. Selon la loi, la justice ne pouvait pas fermer un établissement simplement parce que quelqu’un y vendait du haschisch. C’était un client, on ne pouvait rien y faire ! »
Wernard apprend vite que la liberté est primordiale, mais qu’il faut en respecter certaines règles. Par exemple, aucune drogue dure n’est autorisée à être consommée ou vendue au salon de thé. La consommation de LSD est autorisée, mais la vente de LSD est interdite. Il n’y a pas de limite d’âge. Le Mellow Yellow rend l’achat de haschisch et d’herbe simple et transparent. “Pas besoin d’être bien informé. On pouvait voir à travers le sac plastique ce qu’on recevait.” Grâce au pré-emballage, les clients bénéfcient toujours du même prix. Le Mellow Yellow n’est resté que peu de temps sur la Weesperzijde; les locaux ont partiellement brûlé suite à un incendie en 1978.
La Green Team
Wernard décide de rendre visite à un client américain qui l’avait invité. “J’ai eu le coup de foudre! Je me suis retrouvé avec un groupe d’Américains qui fumaient de la sinsemilla, de l’herbe sans graines. Ils traitaient l’herbe très différemment de nous: ils supprimaient les mâles et la traitait comme de l’or.” Autre différence : la sinsemilla produit six à sept fois plus que l’herbe indonésienne que Wernard vendait aux Pays-Bas. Suite à son voyage aux États-Unis, “Old Ed” Holloway, un cultivateur de cannabis originaire de l’Oregon, est venu aux Pays-Bas en 1979. Il a vécu chez Wernard pendant près de cinq ans.
Avec une petite équipe, baptisée la Green Team, Wernard se lance alors dans la culture de sinsemilla. Ils achètent une petite ferme avec un terrain dans la province de Frise, au nord du pays, et obtiennent leur première récolte en 1980. La plupart des propriétaires de coffee shops connaissent Wernard; c’est donc lui qui est responsable des ventes. Ce n’est pas facile au début, car le Nederwiet (cannabis cultivé aux Pays-Bas, ndlr) a mauvaise réputation. Mais dès que les clients ont gouté la sinsemilia de la Green Team, c’est parti. Henk de Vries, fondateur du coffeeshop Bulldog, leur achète la majeure partie de la première récolte pour 14.000 florins le kilo (environ 6.800 euros aujourd’hui, ndlr). Un record pour l’herbe néerlandaise !
En 1981, alors que la Green Team possède un millier de plantes femelles dans des jardinières en plein air, un policier à vélo s’arrête pour leur demander ce qu’ils font. Heureusement, l’homme est très raisonnable : « Quoi que vous fassiez, dit-il, vous ne recommencerez pas. » La Green Team comprend qu’elle est passée par le chas de l’aiguille. Elle déménage immédiatement toutes les plantes pour les confe à des amis.
Au lieu d’une seule pépinière en Frise, on en compte soudain plus de 20 réparties dans tous les Pays-Bas. La mission de Wernard de faire des Pays-Bas, la Jamaïque de l’Europe, progresse bien. La Green Team réalise alors qu’elle doit se professionnaliser et décide de faire venir un expert en génétiques américaines. « Il y avait deux candidats: Ed Rosenthal et un homme qui se faisait appeler Sam le Skunkman. J’étais pour Ed, tous les autres pour Sam. On a envoyé un billet d’avion, Sam est arrivé et a submergé tout le monde avec de belles histoires d’argent et de plantes au rendement énorme, avec de petites feuilles et bla bla bla. Quel Américain éloquent ! Mes amis étaient vraiment impressionnés, mais pas moi. Ça recommence, me suisje dit, ça va être juste du commerce à nouveau. Alors je suis parti. »
Positronics
C’est le fil conducteur de la vie du père de la weed: quand quelque chose devient trop commercial ou commence à ressembler au travail, il se lance dans une nouvelle aventure. En 1985, par exemple, Wernard ouvre le premier growshop d’Europe, le Positronics, à Amsterdam. Dans sa boutique, Wernard vend des lampes de culture importées des États-Unis et d’Angleterre, ainsi que d’autres équipements de culture. Le Positronics devient incontournable sur le marché de la culture de cannabis en plein essor aux Pays-Bas et bien au delà. Wernard commence à fabriquer ses propres lampes de culture et nutriments pour plantes.
Pour acheter des clones chez Positronics, il faut être membre du Fanclub Sinsemilla. C’est ainsi que Wernard tient le crime organisé à distance. Il publie un guide concis mais utile sur la culture outdoor et fonde Soft Secrets, qui n’est au départ qu’un recueil de coupures de presse pour les clients du growshop, avant de devenir un magazine international pour les cultivateurs de cannabis. Au cours des plus de douze années d’existence de Positronics, des dizaines de milliers de cultivateurs y boivent du café et fument des joints, tout en échangeant leurs connaissances et génétiques, entre eux et avec le personnel. Malheureusement, ce personnel annonce aussi la fin. Ils volent le magasin à une telle échelle que Positronics fait faillite en 1997, avec une dette d’un million et demi de florins (environ 700.000 € aujourd’hui). Après un quart de siècle à l’avant-garde du monde du cannabis néerlandais, Wernard se retrouve soudainement bredouille.
Pendant quelques années, le père de la weed se consacre alors à « éditer des dépliants et des cartes pour les touristes étrangers du cannabis, présentant les meilleurs coffee shops des Pays Bas », comme il l’écrira plus tard. Cela marche bien mais ne lui apporte pas l’énergie positive à laquelle il était habitué dans ses pré- cédentes entreprises. En 2006, il tente en vain d’entrer au parlement avec son propre parti politique. Début 2009, Wernard jette l’éponge. Il confie à sa femme Yolande qu’il souhaite désormais se consacrer exclusivement au cannabis médicinal.
Cannabis médical
C’est Wernard qui a inventé le mot “Mediwiet” (herbe médicinale) en 1994. Dans la période qui a suivi, il a demandé à plusieurs coffeeshops de vendre du cannabis à moitié prix aux personnes qui en font un usage médicinal. Une cinquantaine de coffeeshops l’ont fait. Malgré cette campagne qu’il a baptisée “Mediwiet Dealer”, Wernard trouve que le cannabis médicinal est à la traîne.
Mais il se trompe. Les vidéos YouTube de Rick Simpson en 2008, le mettent alors sur la piste de l’huile de cannabis. Mais Wernard ne serait pas Wernard s’il n’en faisait pas sa propre version. Il trouve l’huile de Rick Simpson trop épaisse et expérimente jusqu’à trouver sa recette idéale. Il développe alors la méthode de production la plus simple possible. Grâce au Cannolator, n’importe qui peut fabriquer de l’huile de cannabis à la maison à partir de résidus végétaux.
En 2011, Wernard publie son livre “L’huile de cannabis: la médecine traditionnelle idéale”, qui s’appuie sur des dizaines de témoignages de patients. À partir de 2009, Wernard animera des centaines de démonstrations, d’ateliers, de vidéos et de cours pour apprendre à fabriquer sa propre huile de cannabis. Grâce à deux dons, il a pu ouvrir une boutique dans sa ville natale de Tiel. Il y anime des ateliers et vend le Cannolator et d’autres produits légaux comme l’huile de CBD.
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