L’autre plante du mois : le Cás
Le Psidium friedrichsthalianum, plus connu sous le nom de Cás, appartient à la famille des Myrtaceae, groupe ancien apparu au Crétacé sur le supercontinent Gondwana. Avec la dérive des continents, cette lignée végétale se diversifie entre hémisphère sud et néotropiques, donnant deux grands foyers évolutifs : australien (Eucalyptus, Melaleuca) et américain (Psidium, Eugenia). Bien plus tard, la formation de l’isthme du Panama (il y a 3 millions d’années) reconnecte les Amériques et ouvre de nouveaux couloirs écologiques. Cette période marque une diversification intense des Myrtaceae, avec l’émergence de nouvelles lignées évolutives distinctes.
Par Hortizan
Les analyses génomiques récentes indiquent que les divergences au sein du genre Psidium proviennent d’une diversification métabolique (adaptation biochimique face aux pressions écologiques) issue d’un ancêtre amazonien commun (Proença et al., 2022). Bien que souvent qualifié de goyave sauvage, le Cás s’en distingue à la fois par son écologie et sa chimie. Cette divergence reflète des trajectoires évolutives opposées : l’évolution de P. friedrichsthalianum dans les forêts humides de moyenne altitude l’a conduit à conserver une composition plus acide et riche en terpènes. Selon Rojas-Gómez et al. (2020), P. friedrichsthalianum « n’est pas entièrement domestiqué et il n’existe à ce jour aucune variété améliorée issue de la sélection végétale ».
À l’inverse, le développement de la goyave commune P. guajava dans des régions tropicales sèches, à végétation clairsemée dominée par des arbustes tolérants à la sécheresse, a favorisé sa domestication et la sélection de fruits plus sucrés. L’appellation « Cás » dérive du terme kas-kra ou kas, issu du boruca, membre de la grande famille des langues chibchanes. Cet idiome, encore parlé dans le sud du Costa Rica, compte parmi les derniers héritages autochtones du pays.
Chez le peuple Boruca, le mot désigne à la fois l’arbre et son fruit, reflet d’un savoir ethnobotanique transmis depuis des générations (Quesada Pacheco, 2000). Le Cás est un petit arbre de 3 à 8 mètres au feuillage persistant et luisant. Ses fleurs blanches (cf. pic1), riches en nectar, sont pollinisées par des insectes tels que Melipona beecheii, une abeille sans dard élevée par les Mayas dans la péninsule du Yucatán depuis l'époque précolombienne. Ses fruits sphériques (cf.pic2), de 3 à 5 cm, se caractérisent par une acidité persistante à maturité et une pulpe jaune-verdâtre riche en acides organiques, vitamine C et flavonoïdes. Ils sont très appréciés pour la préparation du fresco de Cás, une boisson traditionnelle costaricienne (Morton, 1987).
Les études phytochimiques ont révélé une grande diversité de métabolites spécialisés : polyphénols, flavonoïdes et terpènes, jouant un rôle clé dans la défense contre les pathogènes et la signalisation écologique (Granados-Chinchilla et al., 2016). Ces composés confèrent au Cás une grande résistance dans les milieux humides soumis à une forte pression fongique. Le Cás présente un profil terpénique complexe, dominé par le β-caryophyllène (BCP), le myrcène, le limonène et les α- et β-pinènes (Granados-Chinchilla et al., 2016). Ce bouquet volatil, à la fois herbacé et citronné, assure des fonctions antimicrobiennes et antifongiques (da Silva et al., 2022). Les terpènes, omniprésents chez les Myrtaceae, jouent un rôle central dans la défense, la pollinisation et la communication écologique (Holopainen & Gershenzon, 2010). Parmi eux, le β-caryophyllène occupe une place particulière : présent également dans le poivre noir et le clou de girofle, il agit comme agoniste (substance dont l'effet est identique) sélectif du récepteur cannabinoïde CB2, impliqué dans la régulation de l’inflammation sans effet psychoactif (Gertsch et al., 2008). Ce phénomène a conduit à la notion de « cannabinoïde alimentaire », désignant des molécules capables d’activer le système endocannabinoïde sans contenir de THC.
Des recherches récentes montrent que le Cás renferme également des quantités significatives de BCP, associées à du myrcène, du limonène et des pinènes, formant un « terpénome partagé » avec d’autres espèces tropicales (Santos et al., 2023). Ces composés présentent des effets complémentaires : sédatifs pour le myrcène, antioxydants pour le limonène et anti-inflammatoires pour le BCP (Pagano et al., 2021). Bien que le Cás soit dépourvu de cannabinoïdes classiques (THC, CBD, CBG), il active des voies physiologiques analogues, illustrant une convergence biochimique entre lignées végétales indépendantes. Cette similarité reflète une pression sélective commune dans les écosystèmes tropicaux, où des voies métaboliques distinctes conduisent à des composés similaires (Pichersky & Lewinsohn, 2011). Ainsi, la chimiodiversité terpénique du Cás incarne un équilibre entre pression environnementale et innovation métabolique, faisant de cette espèce un modèle d’étude de la coévolution plantes–microorganismes.
L’étude du Psidium friedrichsthalianum révèle la profonde interdépendance entre évolution, écologie et métabolisme végétal. Ses composés bioactifs, proches de ceux d’espèces pourtant éloignées, traduisent d’une convergence adaptative : face à des pressions écologiques similaires, des lignées complètement distinctes ont développé des stratégies terpéniques de défense comparables. Espèce encore peu étudiée, le Cás nous rappelle que la chimie végétale n’est pas un hasard, mais une langue partagée que les plantes parlent depuis des millions d’années pour s’adapter, communiquer et survivre.
A lire également :
L’autre plante du mois : le Houblon
Le terroir, un héritage culturel commun
Aux origines de la Haze : chronique d’une sativa devenue légende