Le terroir, un héritage culturel commun

Olivier F
29 Dec 2022

La notion de terroir, employée communément pour le vin et divers produits alimentaires, est de plus en plus évoquée dans la culture du Cannabis. L’origine de ce mot provient du gallo romain terratorium, désignant un territoire. Le terroir représente bel et bien une zone géographique, un climat et des spécificités pédologiques (du grec ancien pedon = sol) mais pas seulement. Il est également l’héritage de connaissances et techniques en lien direct avec le vivant, développées au cours de l’histoire humaine.


Par Hortizan (Soft Secrets France)

Pour citer un ancien président de l’INRA : “Un territoire seul ne constitue pas un terroir. Il faut au moins lui adjoindre une plante. Il faut que cette plante veuille bien exprimer le terroir, c'est-à-dire qu’elle veuille bien traduire les différences qui peuvent exister entre deux terroirs. Nous rencontrons ici un problème de différenciation : le terroir est le témoin d’une différence qu’une plante veut bien révéler.” Mais pourquoi ces territoires sont-ils plus adaptés à la culture de certains produits ? La réponse est multiple car de nombreux facteurs peuvent encourager la culture d’un produit sur un terroir, autant d’un point de vue scientifique que culturel.

Le terroir dépend de la nature de son sol.

L’exemple de la viticulture, bénéficiant de nombreuses études, illustre bien cette notion. D’après le géologue Charles Frankel, "La géologie exerce une influence notoire sur le vignoble, les arômes et les qualités du vin". Ces terroirs tirent leur composition des milliards d’années de formation des strates. L’histoire géologique française débute il y a 2 milliards d'années. À cette époque, les premières roches émergent de l’océan grâce au cycle tectonique, enchaînant des épisodes de volcanisme et de sédimentation. Ces roches représentent le premier socle de la France, dont certaines reliques subsistent encore en Bretagne sous la forme de gneiss (proche du granit). S’ensuit des millions d’années pendant lesquelles les continents se forment, des chaînes de montagnes émergent de l’activité tectonique et volcanique, des océans puis des glaciers envahissent les terres puis se retirent …

Chaque événement participe à la formation des strates géologiques. Pendant le Paléozoïque, le magma jaillit des profondeurs de la terre et épand de nombreuses roches volcaniques, granitiques et métamorphiques, encore présents dans les terroirs de Saint Joseph et de Condrieu. Pendant le Mésozoïque, la mer envahit les terres et dépose de nombreux dépôts calcaires, dont héritent les vignobles de la Côte d'Or, de Chablis, de Sancerre, de Menetou-Salon et de l'Aube. L’ère du Crétacé, quant à elle, doit son nom aux dépôts de craie, formée de l’accumulation de coquilles et de micro-organismes calcaires marins. On retrouve ces sédiments dans les terres de Champagne, de Touraine et de Saumur. Ce sont ces couches géologiques qui confèrent aux vins la typicité de ces terroirs, héritées des millions d’années d’évolution de notre planète. Cependant, la composition rocheuse des sols n’est pas pour autant la seule explication du phénomène.

Météo et climat, facteurs déterminant du terroir.

Pour poursuivre sur l’exemple des terroirs viticoles, les spécialistes recensent en France une trentaine de zones climatiques et une multitude de microclimats différents. Les facteurs déterminants un climat peuvent être très divers : ensoleillement, température, pluviométrie, masses d'eau à proximité, … D’une part, le climat d’un lieu dépend de sa topographie, de sa végétation et de son exposition aux vents. Ainsi, la présence d’une zone forestière peut favoriser l'humidité et diminuer l'assèchement dû aux courants d’air. Rôle clé dans le végétal, une bonne exposition au Soleil est évidemment essentielle. Les vignes qui bénéficient de la meilleure exposition produisent plus de sucres et de polyphénols. Les terrains exposés sud / sud-est essuient les plus fortes radiations, ses cultures mûrissent donc plus vite et développent de plus grosses grappes avec moins d’acidité.

D'autre part, le terroir est influencé par la répartition des masses hydriques. À Pujols sur Ciron, en Gironde, la formation de brouillards matinaux qui recouvre la vigne en Automne est due à la condensation des flots du Ciron rencontrant la Garonne. La pluviométrie est également un facteur déterminant du terroir : La vigne a besoin de la pluie à la bonne saison pour produire sucres et éléments organoleptiques (thiols et terpènes), et à l’inverse, de chaleur et de précipitation réduites pour sa maturation. Enfin, la température semble aussi jouer un rôle clé : Quand la température des vignes passe en dessous de 10°C ou au-dessus de 35°C, la croissance s’arrête. Peu d’altitude peut faire une grande différence : on mesure un écart de d’environ 0,65°C tous les 100 mètres d’altitude. Les températures de chaque terroir influencent ainsi largement le choix des cépages et les types de vins recherchés. Cela explique la présence des cépages précoces comme le Riesling ou le Pinot noir dans le climat frais Alsacien, et à l’inverse, la culture des Malbec ou Syrah dans la région plus tempérée du Rhône. Les éléments déterminant le climat des terroirs influencent ainsi la qualité du produit final et marquent son évolution d’une année à l’autre.

Article publié dans le journal Soft Secrets France N° 6-2022

Le terroir, un héritage culturel commun
Vignes du Palatinat, non loin du Rhin. Cette région, berceau du Riesling, est également la principale productrice de vin rouge en Allemagne - Photo par Matthias Böckel

La pédofaune, unique à chaque sol.

De nombreuses études démontrent les bénéfices des associations entre plantes et micro-organismes sur la croissance et la santé des cultures. En effet, une étude de 2014 sur la relation entre cannabis, bactéries et mycètes tend à prouver l’influence bénéfique de ces organismes sur nos plantes.

Ce test a notamment été effectué sur un cultivar de Maui Wowie. L’analyse de la rhizosphère de cette plante a révélé la présence et un développement significatif d’une population de Sphingomonas wittichii. Étonnement, cette bactérie possède la capacité de métaboliser de l’acide phénazine-1-carboxylique. Cet élément possède une forte activité antifongique qui procure à la plante une résistance accrue face aux champignons phyto-pathogènes. (Understanding Cultivar-Specificity and Soil Determinants of the Cannabis Microbiome, Winston ME, Hampton-Marcell J, Zarraonaindia I, Owens SM, Moreau CS, et al., 2014). Par ailleurs, cette étude cite une autre recherche, tentant quant à elle de prouver la relation entre microbes et goût.

Cette deuxième étude, provenant d’Autriche, cherche à démontrer l’influence des micro-organismes sur le goût d’un cultivar de vigne dénommé Blaufränkisch. Ainsi, il a été prouvé que les communautés microbiennes produisent clairement des profils aromatiques distincts pour chaque vignoble et groupe phylogénétique. L’observation de 3 groupes de champignons et bactéries : Paenibacillus sp., Sporobolomyces roseus, et Aureobasidium pullulans, a pu déterminer leur relation dans la production d’éléments olfactifs primordiaux dans le goût du vin. ( Verginer M, Leitner E, Berg G. Production of volatile metabolites by grape-associated microorganisms. J Agric Food Chem., 2010 ).

Grâce à ces découvertes, on peut désormais supposer que le terroir, renfermant sa propre pédofaune, influence non seulement la santé de nos cultures, mais également le goût du produit fini.

L’influence humaine détermine le terroir.

En ce sens, le terroir n’est pas seulement lié à des conditions physiques ou biologiques, il représente également de multiples techniques de production développées par la communauté humaine à travers l’histoire. Ces connaissances agricoles reposent sur une interaction technique avec le milieu naturel, aboutissant à la réputation d’un produit originaire d’une région donnée. La région de Champagne, par exemple, connaît la culture de la vigne depuis l’époque Gallo-romaine. Cependant, il a fallu la découverte de diverses techniques à un niveau local et international avant d’aboutir au vin bulleux faisant la renommée de cette région. Au XVIIème siècle, on développe en Angleterre une bouteille en verre plus résistante qu’à présent. Cette découverte est essentielle : la bouteille résiste désormais à une seconde fermentation que l’on provoque par ajout de sucre. En Hollande, on s’aperçoit que la combustion de soufre aide à protéger le vin. Selon une légende, un abbé d'Hautvillers du nom de dom Pérignon introduit l'emploi du bouchon de liège fixé sur la bouteille par un fil de chanvre en l’an 670. Le terroir n’est donc pas seulement lié à la culture d’un végétal ou aux spécificités du lieu, il est également le résultat de multiples avancées techniques.

Valeur immatérielle, ces savoirs sont essentiels à préserver, et les plantes uniques qui peuplent ces contrées également. Au Maroc, la Beldia, cultivée depuis des siècles dans les montagnes du Rif, commence malheureusement à disparaître de ce terroir. Pourtant légendaire pour la qualité de son hash, elle se fait peu à peu remplacer par de nouveaux hybrides. Ces nouvelles graines, plus productives, coûtent néanmoins bien plus cher et consomment beaucoup plus d'eau. En conséquence, cette nécessité d’apport hydrique a favorisé l’installation de nouveaux dispositifs de pompage des eaux souterraines. Malheureusement, les précipitations sont plus rares et l'agriculture locale peine à faire face aux sécheresses accrues, qui mènent à l'épuisement des nappes phréatiques de la région. L’arrivée de ces nouvelles plantes hybrides a également eu pour conséquence l’introduction d’engrais et de pesticides néfastes, dont l’impact sur l’environnement est peu pris en compte. L’utilisation du Beldia dépasse sa simple consommation au regard de son usage dans l’architecture traditionnelle des Berbères Sanhadja de Srayr. Ainsi, la matière première des édifices est composée de matériaux locaux : argile, ardoise, cèdre et divers végétaux comme la paille de seigle mais aussi les fibres de plants de cannabis. La Beldia fait partie intégrante du patrimoine culturel local et pas seulement en tant que produit agricole de consommation. Ainsi, le terroir est aussi la représentation d’une vision humaine, liée à l’exploitation d’un végétal précis, dépendant de facteurs naturels, et qui potentiellement façonne la culture d’un lieu. Retirer une génétique s’étant développée dans un terroir depuis plusieurs siècles, c’est risquer d’impacter l’équilibre de la biodiversité et de mettre en péril des pratiques culturelles ancestrales.

Bien qu’à l’origine de multiples techniques et pratiques millénaires, les terroirs sont également la source d’une diversité génétique. D’un point de vue écologique autant que culturel, il paraît donc essentiel de préserver ces cultures, et ce, malgré une évolution contrainte. En effet, L’humain n’est pas le seul facteur dérangeant l’équilibre des terroirs : hausse des températures, augmentation du taux de Co2, augmentation des variabilités du climat, baisse de l’humidité et érosion des sols. Le changement climatique modifie les conditions de nos terroirs, pourtant déjà affaiblis par l’industrialisation et la pollution. Ces changements impactent fortement les agriculteurs et les populations locales, mais également la faune et la flore avec qui nous partageons ces territoires. Il nous faut adapter nos végétaux locaux ainsi qu'en introduire de nouveaux, plus aptes à résister à ces conditions changeantes. L’introduction de nouveaux végétaux et de nouvelles pratiques participe à la réduction de l’impact environnemental et à la durabilité des cultures. Il est donc essentiel de  préserver nos terroirs tout en leur garantissant une évolution pérenne.

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Olivier F