L'autre plante du mois : la Luzerne, héritage ancestral et avenir agricole
Avec plus de 10000 ans d’utilisation, la luzerne (Medicago sativa) occupe une place centrale dans l'histoire de l'agriculture. La facilité de culture et de stockage de cette Fabacée ont permis dès l’antiquité sa diffusion rapide à travers le monde. D’abord appelée medicago, (de la région de Médie, l’Iran actuel), elle fut traduite en latin sous le nom d’Herba medica. Son nom anglais et espagnol, alfalfa, pourrait venir du mot arabe désignant cette plante, al-fassa. Quant au terme français "luzerne", son origine est plus incertaine, certains suggèrent une racine occitane, luzerno, en référence au brillant de ces graines luisantes.
Par Hortizan
La culture de la luzerne aurait débuté dans les régions de l’Asie Mineure et du Moyen-Orient, notamment en Perse, où elle était déjà appréciée pour sa facilité de conservation sous forme de fourrage sec. Elle jouait déjà un rôle crucial dans l'alimentation des animaux, et tout particulièrement pour les chevaux, lors des campagnes militaires. Au Ve siècle avant J.-C., la luzerne arrive en Grèce, et son expansion vers l'Empire romain se poursuit au IIe siècle avant J.-C.
Bien que cultivée intensivement pour ses propriétés de fourrage durable, la luzerne a connu un déclin en Europe de l'Ouest après la chute de l'Empire romain. Pendant ce temps, les Arabes ont continué à la cultiver dans les régions d’Afrique du Nord et de l’Espagne. Ce n'est qu'au Moyen Âge que la luzerne retrouve sa place en Europe. À travers les siècles, cette plante s’est affirmée comme un fourrage essentiel dans les systèmes agricoles traditionnels grâce à sa robustesse et à sa facilité de conservation par séchage naturel au soleil, une méthode encore utilisée jusqu'au XXe siècle.
La luzerne joue un rôle crucial dans la fixation de l'azote atmosphérique, un processus réalisé en symbiose avec des bactéries du genre Rhizobium. Ces bactéries, présentes dans le sol, colonisent les racines de la luzerne et forment des nodosités, où l’azote de l’air est transformé en une forme utilisable par la plante. Ce processus, commun au genre Fabaceae, permet à la luzerne d’enrichir naturellement son sol en azote, réduisant ainsi la dépendance aux engrais chimiques.
Comparée à d'autres légumineuses, la luzerne se distingue par des capacités exceptionnelles d’apports d’azote (N). En effet, elle atteint un taux de fixation symbiotique de 90 %, dépassant des cultures de ses cousins comme les pois, le soja ou les haricots, dont les taux se situent entre 40 et 70 %. Cette capacité de fixation d’azote est particulièrement avantageuse dans les systèmes d'agriculture biologique, où l’apport d’azote minéral est limité. Son utilisation n’est pas des moindres : pour l’année 2009 en France, la fixation d'azote par les légumineuses a contribué à l'équivalent du quart des besoins en engrais chimiques, tous types de production confondus !
La luzerne est également connue pour ses racines profondes qui pénètrent les sols jusqu'à plusieurs mètres de profondeur. Sa structure racinaire participe à aérer le sol, améliore la rétention d'eau, et prévient l’érosion. Cela fait d’elle une excellente tête de rotation dans les systèmes agricoles. Elle agit comme une culture nettoyante et restructurante, idéale pour préparer les sols à des cultures exigeantes, comme le blé, le maïs ou le colza. De par sa culture pérenne, elle aide à briser les cycles de maladies et de ravageurs, limitant ainsi la pression sanitaire sur les cultures suivantes. Ce rôle de "vide sanitaire" est précieux dans la gestion des cultures intensives, notamment pour réduire l’utilisation de pesticides.
En outre, la luzerne a un impact positif sur la biodiversité et les auxiliaires des cultures. Sa couverture permanente du sol et sa culture pluriannuelle créent un habitat favorable aux prédateurs naturels, aidant ainsi à réguler les populations d’insectes nuisibles. Cette dynamique contribue à une meilleure résilience des cultures face aux ravageurs et à un environnement agricole plus durable.
Par ailleurs, la luzerne se distingue des autres plantes fourragères grâce à une teneur plus élevée en protéines et en nutriments essentiels. Cela en fait une denrée privilégiée dans les systèmes d’élevage, notamment dans les régimes pour bovins laitiers. Riche en protéines (jusqu’à 20,1 % en matière sèche) et en fibres, disposant d’une teneur en cellulose brute de élevée (25%), elle contribue à améliorer la digestion des animaux herbivores. La luzerne est également riche en Vitamines (A, E, K), essentielles pour la croissance et la santé des animaux.
Sur le plan minéral, la luzerne se démarque par sa forte teneur en magnésium, potassium et fer, mais surtout en calcium, minéral crucial pour la solidité des os et des dents. En alimentation humaine, la luzerne est surtout consommée sous forme de germes, souvent inclus dans les régimes alimentaires sains, en raison de leur faible teneur en calories et leur richesse en vitamines et antioxydants (Inrae Cirad Afz 2021).
Moins consommatrice en eau et en intrants que les autres cultures de légumineuses, la luzerne participe à réduire la dépendance aux engrais chimiques, tout en améliorant la structure des sols sur le long terme ! En somme, la luzerne s'impose comme une plante clé pour une agriculture plus résiliente et durable. L'usage polyvalent de la luzerne, tant dans l'alimentation animale qu'humaine, témoigne de son immense potentiel et de sa place essentielle dans les pratiques agricoles modernes.
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