L’autre plante du mois : le Tabac

Soft Secrets
09 May 2024

Découverte il y a plus de 6 000 ans, la plante de tabac Nicotiana, représente un héritage culturel et botanique remarquable. Originaire de l'Amazonie, cette plante a tissé son chemin à travers l'Amérique du Sud avant de se propager à l'échelle mondiale, influençant des pratiques rituelles, thérapeutiques et sociales diverses. Tandis qu'en Europe Antique, l'usage rituel et thérapeutique se concentrait sur la fumée d'autres herbes, les communautés autochtones de l'Amérique précolombienne voyaient dans le tabac une essence sacrée, l'intégrant dans des rituels de purification spirituelle et de communication avec les esprits, tout en valorisant ses propriétés médicinales.


Par Hortizan

En 1492, Christophe Colomb, lors de son premier contact avec les tribus amérindiennes, observait l'usage de cette plante qu’ils appelaient "petum". Les modes de consommation, divers, comprenaient la combustion avec du charbon, l'utilisation de bâtons creux remplis de feuilles hachées, ainsi que la consommation sous forme de calumets, chique, ou poudre. Ses premières graines furent ramenées en Europe dès 1520, puis principalement cultivées à des fins médicinales au Portugal. Selon l’histoire, l’ambassadeur de France Jean Nicot aurait envoyé des feuilles à Catherine de Médicis en 1561, louant leurs propriétés bénéfiques contre les migraines. Malgré certaines oppositions liées à des perceptions de « sorcellerie » cette «herbe à la Reine », fut par la suite adoptée à la Cour de France au XVIIe siècle. Son nom de « Tabac » apparaitra plus tard, provenant de l’espagnol Tabaco, qui trouve son origine dans un terme arawak désignant le tuyau que les indiens employaient pour aspirer la fumée.

De la famille des Solanacées, tout comme les tomates, la pomme de terre, la datura, le piment ou encore les pétunias, … le tabac, Nicotiana tabacum, est une plante herbacée mesurant de 50 cm à 1,5 mètre de hauteur. Elle possède une tige visqueuse avec un fin duvet laineux, se ramifiant surtout à son sommet. Le fruit est une capsule ovoïde renfermant de petites graines. Tout comme le cannabis, les feuilles de tabac disposent de trichomes ! Il s’agit d’une plante dépolluante : elle absorbe, transporte et accumule radionucléides (issus de la dégradation du radon dégazant naturellement du sol), de zinc et cadmium. Les trichomes rendent les feuilles visqueuses au toucher et contiennent également de la nicotine. Cet alcaloïde hautement toxique est en conséquence un insecticide d'une grande puissance. La nicotine est hydrosoluble : si les feuilles sont humides, elles rejettent cette substance, qui peut être facilement absorbée par la peau. C’est pourquoi les personnes qui récoltent le tabac sont parfois sujets à la "maladie du tabac vert", une intoxication cutanée provoquant faiblesse sévère, vomissements, maux de tête, vertiges, …

La culture du tabac pose des défis significatifs, particulièrement dans les nations en développement, où elle consomme des quantités précieuses d'eau et occupe des terres agricoles essentielles à la production de nourriture. Déforestation, pollution de l'air et de l'eau, usage incontrôlé d’engrais ou de pesticides, ... beaucoup d’éléments qui soulignent la nécessité d'une réflexion sur ses méthodes de production et leurs influences sur l'environnement. Parfois critiquée en raison des dépendances qu'elle engendre, la plante de tabac conserve malgré tout son attrait en tant que plante ornementale. Sa floraison en trompettes blanches durant le printemps et l'été en font une plante particulièrement appréciée dans le monde horticole, aboutissant à de nouveaux hybrides à buts décoratifs.

Nos liens avec le tabac sont ancestraux, comme en témoigne la découverte récente d'une pipe vieille de 1400 ans aux États-Unis. Cette pipe, retrouvée dans le Nord Ouest Pacifique Canadien, contenait de traces de Nicotiana quadrivalvis, une espèce de tabac historiquement cultivée par les Amérindiens. De récentes avancées dans le domaine de l’archéo-chimie ont permit de découvrir certains résidus dans cette pipe. Apparemment, les amérindiens combinaient l’usage de ce tabac avec des fleurs de sumac à bois glabre Rhus glabra, afin d’en améliorer les qualités médicinales ou olfactives. Cette découverte a été rendue possible grâce à la métabolomique : une approche révolutionnaire qui explore la totalité des métabolites spécifiques aux plantes. Les chercheurs peuvent ainsi déceler sucres, acides aminés, polyphénols, flavonoïdes, alcaloïdes, et autres composés ! Ces métabolites offrent une identification spécifique des espèces de tabac de l’époque. La découverte de telles techniques d’analyses nous permet de mieux comprendre les distances parcourues par les peuples amérindiens dans leurs échanges commerciaux et la propagation de ces plantes de tabac à travers les continents.

Pour finir sur une petite note étymologique, le terme de « spliff », qu’on emploie aujourd’hui pour désigner un joint de tabac et de cannabis, proviendrait d’une alliance de mots issus de l'anglais, combinant « split » (divisé) et « spliff » (bien habillé, ou bon). La première mention de ce terme de « spliff » remonte à 1936 dans le Daily Gleaner de Kingston, Jamaïque, et désignait une cigarette de qualité faite de tabac et de marijuana. Le terme « joint », en revanche, trouve ses racines dans le mot français "joindre”. Initialement utilisé pour décrire un espace annexe, il a acquis une connotation particulière dans l'argot américain pendant la période de la prohibition. Il désignait alors un lieu de rencontre souvent illégal pour consommer de l'alcool ou fumer de l'opium. Par extension, le terme est devenu synonyme de la cigarette de marijuana elle-même. Le tout  premier terme utilisé pour le tabac, quant à lui, n’a pas complètement disparu de notre langage : Le « petum » a vraisemblablement donné le terme de « pétard », pour l’explosif, bien entendu !

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