Les trichomes, ces usines naturelles à bio pesticides

Soft Secrets
21 Dec 2021

Au cours de l’évolution biologique, les végétaux ont développé de nombreux moyens étonnants pour faire face aux contraintes de leur environnement. Entre insectes, champignons ou plantes concurrentes, les adversaires naturels sont diversifiés, ce qui induit des moyens de défenses tels que des terpènes, des composés azotés (les alcaloïdes) ainsi que des molécules phénoliques (composés aromatiques).


Par Hortizan / Photos : Trichomeartstudio

Dès les débuts de l’agriculture, les cultivateurs développèrent des pesticides, destinés à prévenir l’action néfaste d’animaux, de végétaux ou de micro-organismes. 4500 ans avant notre ère, l’usage du soufre élémentaire par époussetage était déjà pratiqué en basse Mésopotamie. Bien que l’usage de pesticides végétaux soit une pratique ancestrale, l’avènement de la chimie au XXème siècle ancre l’utilisation des intrants chimiques dans nos pratiques agricoles. Dès lors, les pesticides de synthèse envahissent le marché mondial. Ils s’imposent comme une nécessité pour résister aux nuisibles et accroître la productivité, et ce, malgré l’impact négatif avéré sur l’environnement et la santé humaine.

Malheureusement, la tendance n’est pas à la lutte organique, l'hexagone fait actuellement partie des trois plus gros consommateurs européens de pesticides avec l'Espagne et l'Italie. Selon l'IFEN (Institut français de l'environnement), ce sont 90% des rivières françaises qui sont polluées. 1 seul gramme de la substance active d'un pesticide suffit à rendre impropre à la consommation 10.000 m3 d’eau. La découverte de nouvelles techniques biologiques est donc d’une importance capitale afin de comprendre les systèmes d’autodéfense des plantes pour limiter notre impact menant à la destruction de notre biodiversité.
Toutes les plantes produisent des éléments phyto-toxiques (substance chimique toxique pour la croissance des plantes) sous certaines concentrations. Mais comment les plantes produisent elles ces éléments protecteurs ? Le secret se cache dans certains organes spécialisés, présents sur l’épiderme même du végétal : les trichomes ! Explorons ensemble ces usines naturelles à bio-pesticides.

Trichomes et poils racinaires, une fabrique naturelle de pesticides

Les biologistes décrivent les trichomes et les poils racinaires comme étant des cellules spécialisées se développant sur l’épiderme végétal. Des avancées récentes dans le domaine de la biologie moléculaire prouvent que le développement de ces deux organes sont influencés par les mêmes marqueurs biologiques. Il est donc nécessaire de faire le rapprochement entre poils racinaires et trichomes aériens, les deux étant similaires d’un point de vue morphologique (Werker, 2000).

Les trichomes peuvent se composer d’une seule cellule ou de nombreuses structures multicellulaires. Ces structures spécialisées produisent généralement leurs substances défensives dans l’espace entre le mur cellulaire et le cuticule poussant vers l’extérieur à mesure du remplissage du produit sécrété. Les trichomes peuvent se trouver sur divers emplacements : ils peuvent se situer sur les feuilles, mais également sur les tiges, jusqu’aux fleurs. Chez l’Artemisia annua L. ou le coton, par exemple, ces trichomes aériens sont les uniques lieux de production et de conservation de nombreux produits phytochimiques.

Les poils racinaires, très similaires aux trichomes aériens, ne se composent en revanche que d’une seule cellule. Les scientifiques, ignorant encore les fonctionnements de ces cellules spécialisées, sont cependant intrigués par une certaine différence. Au lieu de conserver ces substances entre le mur cellulaire et le cuticule comme le trichome aérien, les poils racinaires semblent suinter des gouttelettes huileuses, renfermant les produits naturels bioactifs (Dayan et al., 2003). Les poils racinaires du Sorghum, par exemple, sont à l’origine de la production de sorgoléone, élément hautement phytotoxique (Duke et al., 2000).

Il est important de noter que les plantes doivent également se défendre de leurs propres poisons, c’est pourquoi elles ont appris à compartimenter leurs défenses. Les éléments pesticides sont produits dans l’épiderme, autrement dit la couche extérieure du végétal, plus exposée aux défis biotiques (interactions du vivant sur le vivant dans un écosystème). L’Artemisia annua illustre bien cette compartimentation. Elle stocke son artémisine, phytotoxique pour sa propre espèce, dans ses trichomes glandulaires, afin d’éviter l'auto-toxicité (Duke et al., 2000).

Les trichomes, ces usines naturelles à bio pesticides
Forêt de trichomes d’une Banana Punch.

Une défense contre les infections cryptogamiques

Certaines plantes produisent d’autres éléments les protégeant des infections cryptogamiques (liées aux champignons). Ces substances protectrices, synthétisées et contenues dans les glandes des trichomes, sont parfois suées et réparties sur la surface des feuilles après rupture du cuticule glandulaire. Renfermant divers composés terpéniques, elles constituent une première ligne de défense contre les nombreux spores affectant les surfaces des feuilles.

Au sens strict, les terpènes sont des hydrocarbures végétaux, ils sont souvent les constituants “de senteurs” des plantes, mais tiennent un rôle biologique encore plus important : celui de la défense. Les terpènes antifongiques sont très nombreux : Le coton, par exemple, produit du gossypol, le Rosier Rugueux (Rosa rugosa) produit du rugosal, le Cannabis produit du carène, du limonène ou encore du béta caryophyllène, ...

Enfin, les végétaux semblent comprendre les réponses nécessaires à chaque attaque. Pour de nombreuses plantes, les quantités d’éléments anti-fongiques présents dans les trichomes glandulaires augmentent suite à certaines attaques cryptogamiques. Cela signifierait que les plantes peuvent consacrer plus de leurs énergie à synthétiser les éléments nécessaires à leurs défenses lorsqu'elles sont soumises à certains stress biotiques (Shain and Miller 1982; Talley et al., 2002).

Une barrière contre les insectes

L’homme à su exploiter à son avantage de nombreux agents insecticides produits naturellement par les plantes : flavonoïdes, terpènes, acides, … A titre d’exemple, la roténone, flavonoïde toxique utilisée en Inde comme insecticide végétal depuis plusieurs siècles, est produite à partir d'extraits de racines de diverses plantes tropicales (Derris, Elliptica, Lonchocarpus) et d'extraits de feuilles et de graines (Tephrosia). Le tabac est reconnu dès le XVIIème siècle pour ses facultés insecticides. La nicotine, alcaloïde très puissant produit dans les racines et transmis dans les feuilles, bloque le système nerveux des insectes et mammifères exposés. La nicotine s'accumule parfois dans les trichomes, produisant également une partie de ses dérivés (Zador and Jones, 1986). En cas d’attaque, la plante de tabac peut également augmenter d'elle-même ses niveaux de substance insecticide, suggérant que la biosynthèse de ces éléments peut être manipulée (Ohnmeiss et al., 1997).

Par ailleurs, le Tournesol Mexicain, Tithonia diversifolia, se protège des attaques des chenilles du patch bordé (Chlosyne lacinia, Lepidoptera) à l’aide de ses trichomes et des terpènes qu’il contient. De récentes analyses au chromatographe indiquent que ses glandes sont remplies de lactones sesquiterpéniques (tout comme l’Artemisia) dont les chenilles se tiennent éloignées. En effet, les terpènes constituent une arme naturelle redoutablement efficace contre les insectes. De nombreux monoterpènes tels que le limonène ont de très fortes propriétés insecticides et sont produits depuis la surface des plantes, à l’intérieur mêmes des trichomes glandulaires (Colby et al., 1993).

Certaines stratégies du monde végétal sont d’autant plus étonnantes : Afin d’attirer les insectes auxiliaires qui participent à l’élimination des ravageurs, certaines plantes sont capables, en réponse à diverses attaques, d’émettre des éléments volatiles. Par exemple, la Cenchrus purpureus, une graminée originaire d’une zone tropicale d'Afrique, est capable d’émettre des éléments volatils tels que du béta caryophyllène, qui attirera les prédateurs naturels de ses ravageurs.

Les trichomes, ces usines naturelles à bio pesticides
Tétranyque tisserand parcourant un champ de trichomes

Une compétition entre plantes

De nombreuses études sur les effets allélopathiques (action d’un organisme sur d’autres à l'aide de substances biochimiques) des végétaux sont en cours. Parmi les nombreuses plantes allélopathiques Françaises, l’Artemisia absinthium en est un bon exemple. A l’aide de sécrétions provenant de son réseau racinaire, elle empêche ses voisines de croître. Cette plante va ainsi éliminer tout végétal se trouvant à moins d’un mètre de son pied (Funke G.L., 1943) grâce à une substance appelée artémisinine. Ce sesquiterpène lactone, produit par de nombreuses plantes du genre Artemisia, est toxique pour un grand nombre d’espèces, dont l’Artémise elle-même. Ces terpènes, synthétisés directement depuis les trichomes glandulaires de la plante, sont à l'étude chez plusieurs producteurs de pesticides, souhaitant recréer des herbicides non chimiques.

Beaucoup de recherches restent à faire concernant les phyto-toxines générées par les poils racinaires. Certaines substances ont été étudiées, mais très peu de cellules productrices de ces éléments ont été identifiées. Le sorgoléone est une des rares exceptions, ayant fait l’objet d'analyses approfondies. Cette substance allélochimique (ayant des effets allélopathiques négatifs) produite par les cheveux racinaires du Sorghum spp., vise directement l’appareil cellulaire des végétaux concurrents. De cette manière, il bloque au niveau cellulaire leur respiration mitochondriale et les empêche de réaliser leur photosynthèse, provoquant à terme le décès des adversaires.

L’avenir de la lutte biologique se trouve déjà dans la nature

Bien que les produits de synthèse semblent avoir de beaux jours devant eux, d’autres stratégies sont mises en place pour les remplacer. Le retour à l’utilisation de plantes aux propriétés pesticides laisse entrevoir l’espoir d’une transformation du système productiviste agricole actuel, dépendant des intrants chimiques. Si les pesticides végétaux sont pour le moment loin d’avoir leur place dans les grandes cultures de notre planète, ils constituent cependant une alternative viable en production maraîchère de petites surfaces. Le développement d’alternatives se trouve freiné par une limitation de la diffusion des connaissances. Un problème contre lequel s’érigent des projets comme Knomana (Knowledge management on pesticides plants in Africa). Ce programme met à disposition une base de données sur les plantes aux effets pesticides, antimicrobiens, antiparasitaires et antibiotiques, afin de contribuer à la sûreté alimentaire et environnementale de notre planète.

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