Interview de Kevin Taschet, master grower

SSFR :Que faisais-tu avant de devenir cultivateur professionnel ?

Kevin Taschet : J’ai travaillé dans les domaines de la boulangerie et de la cuisine mais je suis passionné par la plante de cannabis depuis l’âge de 16 ans. J’ai appris à regarder la plante pousser avant de la consommer. J’ai décidé ensuite de suivre la formation de l’ISC (Institut supérieur de cannabiculture).

En quoi consistait cette formation ?

C’était une formation en ligne principalement théorique mais nous avons également reçu des graines de chanvre pour cultiver à la maison. Nous avons appris la germination, le bouturage et la croissance. A cause de la législation, il n’était pas possible de cultiver les plantes en floraison. Pour obtenir le diplôme, nous avons du répondre à une centaine de questions dans un épreuve finale chronométrée. J’ai financé moi-même la formation. A l’époque, il y a 3 ans, elle n’était pas prise en charge par les organismes de formation. Elle coutait environ 1200 euros.

Tu as également fait un stage sur le terrain ?

Oui, j’ai fait mon stage à la Ferme bio de Pigerolles dans la Creuse. Le stage s’est très bien passé. J’ai pu découvrir la culture en extérieur alors que je ne connaissais que le indoor.

Tu as ensuite travaillé en Italie…

C’était une bonne expérience. J’ai commencé par de la manucure, puis je me suis ensuite occupé des plantes. En Italie, il est possible de cultiver du chanvre avec un taux de THC pouvant aller jusqu’à 0,5 %. J’ai beaucoup appris sur la génétique grâce à Matthias, un spécialiste du breeding CBD, fondateur de Swiss Cannabinoid. J’ai aussi eu la chance de rencontrer Franco Casalone, breeder de la variété Carmagnola. On cultivait là bas une variété CBG (cannabigérol) créée par Matthias et appelée Matterhorn CBG. Cette variété contient également des bons taux de CBD et de CBN (cannabinol) et elle est intéressante pour ses terpènes. J’en ai gardé quelques graines.

Quelles sont les principales différences entre la France et l’Italie pour la culture du chanvre ?

En ce qui concerne mon expérience personnelle, la culture en Italie est plus automatisée. Ils utilisent de grosses moissonneuses avec des chenilles et de l’irrigation automatique. Il y avait 4 grandes serres automatisées (greenhouses) éclairées avec des lampes HPS. Quand il faisait beau, on profitait du soleil et quand il faisait mauvais, un seul bouton permettait de fermer totalement la serre. La serre était utilisée pour les plantes mères et les clones mais aussi pour cultiver en pots la même variété CBG qu’en outdoor en pleine terre mais avec un gout et un visuel différent. L’Italie a pris de l’avance mais ce sera bientôt comme ça en France. Mon patron actuel veut installer des greenhouses. C’est un budget important, environ 80.000 euros par greenhouse.

Tu travailles actuellement pour un producteur de chanvre français en tant que master grower. En quoi consiste exactement ton travail ?

En effet, je travaille pour le producteur de chanvre Hemperious dans la région de Roanne. Mon travail consiste a organiser la culture et à diriger les équipes. Nous ne sommes que trois growers en permanence sur le site. J’ai un assistant et je travaille avec un autre grower qui est à peu près à mon niveau. Je tiens compte de leurs idées mais au final, ce sont mes méthodes de culture qui sont appliquées. C’est moi qui décide à quel moment il faut tailler et irriguer les plantes. Pour la dernière saison, il y avait aussi un agriculteur qui travaillait pour nous et nous avons arrosé les 5 hectares et demi avec un « tonne à lisier », qui se compose d’une citerne et d’un organe d’épandage, tiré par un tracteur.

Combien de personnes travaillent sur ce site ?

Nous sommes au total 9 personnes sur le site dont trois growers. Il y a 6 personnes qui s’occupent de l’administratif, du commercial, du marketing… etc. Nous prenons également des saisonniers pour la période de récolte et la manucure. Nous avons géré cette année 5,5 hectares à 3.

Vous travaillez également avec des agriculteurs en coproduction…

Pour cette nouvelle saison, il y a 25 coproducteurs qui travaillent pour Hemperious. Ils devront travailler avec un cahier des charges précis. Cette année, on va donc faire beaucoup de consulting chez les agriculteurs. On doit notamment leur apprendre à cultiver avec zéro pesticide. Certains vignerons considèrent que la culture du cannabis est plus rentable.

Vous travaillez à partir de semences ou de boutures ?

Pour des raisons légales, nous travaillons pour le moment uniquement avec des semences. Nous travaillons avec les variétés autorisées en Europe et seules quelques variétés sont autorisées pour la reproduction. Ce sont de semences en godets qui arrivent du Portugal où Hemperious a également des installations. On a commencé par en planter 2000 à la main, puis nous avons utilisé une planteuse que nous a prêté Jouany de la Ferme bio de Pigerolles. Nous avons voulu espacer les plantes. Nous avons un mètre d’espace entre chaque plante et 1,50 m entre chaque ligne.

Combien de plantes cultivez-vous sur ce site ?

Nous avons cultivé pour la dernière saison environ 30 000 plantes et récolté plus d’ une tonne de cannabis.

C’est un travail assez physique ?

Cette année, c’était assez dur. Nous avons travaillé sans bâche et nous avons du débroussailler les allées. Selon ma méthode, il ne faut pas laisser l’herbe prendre le dessus. Il a donc fallu débroussailler entre les plantes. On était que 3 et on avait au total 5,5 hectares et 6500 plantes par hectare. Sur chaque hectare, nous avons seulement « toppé » (tailler l’apex) 1600 ou 1800 plantes. C’était donc un gros travail pendant la saison, avec les débroussailleuses, pour l’irrigation, la taille des plantes et le coaching des agriculteurs coproducteurs.

Quels produits utilisez-vous pour les maladies ou les prédateurs ?

Cette année, nous avons eu 2 hectares complètement envahis par l’oïdium. Les plantes avaient une couleur marron. J’ai donc du intervenir en urgence pour éviter de perdre toutes ces plantes. J’aurais pu commander un produit naturel mais ça aurait pris trop de temps. Je suis donc revenu à mes bases et j’ai préparé moi-même un produit avec du bicarbonate de sodium, de l’huile d’olive et de l’eau. J’ai arrosé les plantes avec un pulvérisateur thermique et 3/4 jours après, tout était redevenu vert. J’utilise des anciennes méthodes de culture couplées à de nouvelles méthodes comme la taille des plantes pour augmenter le rendement.

Quels engrais utilisez-vous ?

J’ai remarqué que le sol était très riche en azote. Les terres n’avaient pas été cultivées depuis les années 70/80. J’ai utilisé très peu d’engrais, uniquement du Biobizz Fishmix et une fois du bloom. Si on met trop d’engrais et qu’on coupe trop tard, on risque de dépasser les taux limite de THC.

Est-il possible, selon toi, de distinguer visuellement un plant de chanvre d’un plant de cannabis THC ?

Pendant la croissance, non c’est impossible. Pendant la floraison, ça dépend des plantes. Certaines ressemblent vraiment à du cannabis THC. On peut récolter jusqu’à 250/300 grammes secs par plante. Et pour certaines variétés, on arrive à bien faire ressortir les terpènes et on obtient des odeurs et des goûts intéressants.

Combien peut gagner un master grower dans le secteur du chanvre légal ?

Entre 2500 et 3000 euros par mois et le salaire pourrait augmenter.

Quels sont tes projets pour les années à venir ?

Mon but final est de cultiver du cannabis médical en appliquant les normes GMP (Good manufacturing practice) pour lesquelles je suis accrédité. Je ne veux pas cultiver uniquement du CBD. Mon but est aussi de montrer aux growers qu’il est possible de sortir de l’ombre et de montrer aux personnes qui ont des préjugés sur le cannabis que l’on peut créer des emplois et apaiser certaines douleurs grâce à cette plante, et même, avec des taux de THC importants, permettre à certains patients avec des maladies graves de diminuer les opiacés.

Olivier F