Un French Breeder au Maroc

Soft Secrets
24 Dec 2018

Déjà interviewé dans Soft Secrets France 2-2016, Julien L est un cultivateur et breeder français qui a remporté 11 cannabis cups internationales depuis 2014. Devenu le principal breeder d’une banque de graines hollandaise parmi les plus anciennes, TH Seeds, il est le créateur de plusieurs variétés, dont la French Cookies qui a remporté la deuxième place au classement des « World’s best strains 2018 » du magazine américain High Times. Installé en Espagne, Julien L se rend régulièrement au Maroc, dans la région du Rif, où il visite des plantations et conseille les cultivateurs


Par Olivier F

SSFR : En quelle année es-tu allé pour la première fois au Maroc ?

Julien L : Je m’y suis rendu pour la première fois en en 2001, puis j’y suis retourné en 2012 et j’y retourne régulièrement depuis. C’est depuis 2012 que j’ai pu assister à une évolution très rapide.

Quels sont les moyens de transport pour se rendre dans les montagnes du Rif ?

Le Rif est un région montagneuse isolé et il n y a aucune infrastructure de transport. C’est une région très rurale où les habitants vivent et travaillent dans des conditions très dures .Pour me rendre dans cette région, je dois prendre un avion jusqu’à Fès ou Tanger, puis un taxi, environ quatre ou cinq heures de route.

Quels sont les principaux changements ?

Sur l’ensemble des plantations il y a maintenant 70 ou 80 % de graines féminisées, commercialisées par les seed banks, le reste étant des plantes marocaines traditionnelles de type landrace. En 2012, il n y avait que 10 % de graines féminisées.

Il y a de plus en plus d’étrangers sur place…

En effet, il y a des cultivateurs européens sur place. Il y a également des canadiens et quelques américains mais ce sont souvent les européens qui les emmènent. Depuis longtemps, les hollandais viennent au Maroc, notamment pour acheter du hasch pour les coffee shops. Les marocains ont toujours demandé des conseils aux hollandais, qui sont depuis longtemps considérés comme les meilleurs spécialistes de la culture de cannabis. Mais il y a de plus en plus de contacts avec l’extérieur, notamment grâce à la nouvelle génération. Les terres appartiennent toutes aux habitants du Rif et les jeunes ont pris la suite de leurs parents. Ces jeunes vont beaucoup sur les réseaux sociaux et rentrent en contact avec de cultivateurs étrangers. Je suis donc venu avant tout pour des raisons professionnelles mais par ailleurs, je connais bien le Maroc car ma femme est marocaine et je connaissais déjà beaucoup de marocains. Cela m’a permis d’établir une bonne relation avec eux. Mon rôle était entre autres de conseiller les cultivateurs qui cultivent avec nos graines.

Quelles sont les variétés féminisées les plus cultivées au Maroc ?

Je vais en citer quelques unes : Critical Amnesia, Bubble Gum ou Barbara Bud.

Y a-t-il de nouvelles techniques de culture ?

Au départ, ils utilisaient des systèmes d’arrosage automatique en hauteur (sprinklers) mais depuis 2002, certains cultivateurs ont investi dans des systèmes goutte à goutte. C’est un investissement important pour eux. Pour la germination, avec les variétés landrace, les cultivateurs sèment directement dans la terre des graines par poignée. Seules les plantes les plus robustes survivent. Ce sont des plantes longilignes sans aucune branche secondaire. Par contre, pour les féminisées, les cultivateurs font germer leurs graines à l’intérieur en y prenant grand soin. Contrairement aux graines landrace, les cultivateurs doivent payer les graines féminisées et elles coûtent assez cher. Ils en rachètent chaque année car ils ne font pas de boutures.

Utilisent-ils des techniques comme le palissage ou la taille de l’apex ?

Ils laissent les plantes se développer, pas de taille de l’apex, ni de palissage. Ils n’enlèvent même pas les feuilles du bas de la plante.

Pour les graines féminisées, combien de plantes par M2 ?

Je leur conseille de mettre une seule plante par M2, beaucoup moins qu’avec les variétés landrace, ces plantes se développant beaucoup en largeur. Au final, ce sont donc des plantes d’environ 1 mètre de largeur qui peuvent atteindre une hauteur d’environ 2 mètres.

Quelle est la meilleure période pour démarrer une culture ?

La plupart des cultures démarrent en avril et la récolte a lieu entre fin août et fin septembre. Les plantes commencent à fleurir plus tôt qu’en France.

Quels sont les engrais utilisés ?

Les cultivateurs du Rif utilisent uniquement des engrais minéraux en poudre mélangés à l’eau d’arrosage qui permettent d’obtenir un bon rendement. Certains ont essayé les engrais organiques bio mais le rendement est forcement un peu moins bon. J’ai constaté qu’il existe au Maroc des contrefaçons des engrais les plus populaires. On ignore la composition exacte de ces produits. Certains cultivateurs font venir du terreau mais la plupart se contentent de la terre sur place. Auparavant, les marocains mélangeaient leur terre avec du fumier et de l’engrais NPK en poudre qui n’était pas très efficace. Ce sont les étrangers qui ont amené des engrais minéraux à mélanger à l’eau qui sont beaucoup plus efficaces et bien adaptés à ce type de culture.

Champignons et prédateurs ?

Dans ces montagnes, il y a des problèmes d’oïdium et c’est l’une des raisons pour lesquelles il faut récolter assez tôt. Ils n’utilisent aucun produit ou insecticide, pas de pulvérisation sur les feuilles. Il n’ont pas les mêmes prédateurs qu’ici en Europe. Pas d’araignées rouges, de thrips ou de mouches blanches. Ils ont quelques chenilles et de insectes inconnus de couleur rouge.

Y a-t-il de la culture en indoor ?

Un peu. Certains cultivateurs ont des petites installations en indoor pour leur consommation personnelle. Ils ont toujours fumé du hasch et veulent fumer de la weed pour changer un peu. Il y a même un grow shop Culture Indoor à Tanger depuis l’année dernière. Par contre, ils ne gardent pas de plante mère en indoor pendant l’hiver. Je voulais installer un nurserie pour leur permettre de cultiver en outdoor avec des boutures pour avoir des cultures plus homogènes avec un meilleur rendement. Mais j’ai finalement renoncé car les conditions n’étaient pas réunies.

Quelles sont les nouvelles techniques d’extraction ?

Les marocains pratiquent maintenant des extractions avec solvant ou rosin uniquement pour leur consommation personnelle. Ces produits sont très peu exportés. Pour le haschisch, ils continuent de pratiquer les extractions traditionnelles.

Quel est le prix du haschisch au kilo ?

Les prix varient entre 600 et 1200 euros selon la qualité, l’endroit et la période de l’année.

A l’époque de notre première interview, tu venais de quitter Irun ou tu avais habité quelque temps pour venir t’installer à Barcelone. Tu continues de travailler pour les cannabis social clubs ?

J’ai arrêté de cultiver pour les cannabis clubs mais je travaille encore un peu avec eux pour les graines ou pour des tests. Je cultive uniquement en indoor pour la production de graines et un peu de weed pour ma conso perso et pour mes tests de nouvelles variétés.

C’est une culture entièrement bio ?

Oui, je cultive toutes les graines en bio. Je produis moi-même presque toutes les graines régulières et féminisées du catalogue de TH Seeds. Même si le rendement est un peu moins bon, cultiver les graines en bio me permet d’avoir une meilleure qualité. J’utilise du nitrate d’argent pour les graines féminisées. Par contre, je ne produis aucune graine de variétés autoflorissantes.

Est-ce que tu fais des tests de terpènes ?

Oui, je fais pratiquer des tests de terpènes pour mes variétés. J’ai un partenariat avec l’université d’Alicante pour les tests. Je recherche des saveurs particulières mais je ne recherche pas un terpène en particulier. Ce sont les profils complets des plantes qui m’intéressent. Je tiens compte de mes goûts mais je dois aussi tenir compte des goûts du public.

Quelle est la taille de ton installation ?

J’ai au total 20 lampes de 600 watts. Nous sommes deux à nous occuper de cette plantation. Je travaille maintenant avec mon frère.

Quelles sont les variétés à la mode dans les clubs de Barcelone ?

Actuellement, ces sont les variétés américaines : Skittles, Gelato, Sherbet ou Cookies. Elles sont parfois cultivées sur place mais la plupart du temps importées des US. Elles ont beaucoup de succès mais les prix sont très élevés, jusqu’à 30 ou 35 euros le gramme ou 100 euros les 3,5 grammes. Cette mode concerne principalement les clubs barcelonais et moins les autres villes ou provinces espagnoles.

Le gouvernement espagnol a récemment voté une loi qui rend les CSC illégaux. Y a-t-il eu un impact sur les clubs de Barcelone ?

Le gouvernement s’oppose depuis longtemps aux CSC de Barcelone mais on ne voit aucun changement sur le terrain. Les clubs continuent de fonctionner.

Tu as récemment voyagé aux USA…

J’ai fait plusieurs voyages aux Etats-Unis surtout au Colorado et en Californie J’étais notamment à une conférence à Las Vegas pour la légalisation avec des dispensaires ouverts 24/24 et accessibles à tous. Aux USA, j’ai pu faire de nombreuses rencontres et ramener de graines et des clones qui m’ont permis de créer de nouvelles variétés.

Quels sont tes projets ?

Pour le moment, je ne vais pas présenter de variétés aux cannabis cups. Je vais me concentrer sur de nouveaux croisements et je vais participer à plusieurs cups, dont la UK Canna Cup, en Angleterre en tant que juge.

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