William Texier, pionnier de l’hydroponie et du cannabis en Californie
William Texier est né à Paris mais il a fait partie des pionniers de la culture hydroponique aux États-Unis. Installé dans le sud de la France avec sa famille, il est maintenant CEO de l’ entreprise Terra Aquatica. William Texier est l’auteur de l’ouvrage de référence sur l’hydroponie « L’Hydroponie pour tous », publié chez Mama Editions.
SSFR : Tu es parisien à la base. Pourquoi t’es tu installé aux États-Unis ?
William Texier : En fait, je ne me suis pas vraiment installé aux États-Unis. J’y suis resté plus ou moins coincé. J’avais investi de l’argent avec un copain dans un atelier de bijouterie à San Francisco. Je pensais au départ laisser cet argent là et continuer ma vie mais il s’est avéré que j’ai été obligé de travailler dans l’entreprise avec mon copain. Je suis donc resté aux États-Unis. En 1987, j’ai complétement changé de carrière, presque par accident, pour me lancer dans cette histoire de plantes.
Comment as-tu découvert l’hydroponie ?
J’y avais été exposé il y a très longtemps pendant mes années hippies, les années 70, lorsque j’avais acheté une première maison dans le Gers. A l’époque, on avait du mal à survivre dans les campagnes et j’étais tombé par hasard sur des bouquins sur le sujet. J’avais fait quelques premiers tests à l’époque dans mon petit jardin mais ce n’était pas allé très loin. Bien sûr, au début des années 70, on n’avait pas le même matériel que maintenant ou même que dans les années 80.
C’est donc en 87 que tu as commencé à travailler dans la culture…
Notre entreprise de bijouterie marchait bien mais ce n’était pas suffisant pour faire vivre deux personnes. Vu que c’était mon copain qui était vraiment bijoutier, à un moment, il a fallu que j’arrête. Je fumais encore des clopes, et en rentrant dans un magasin qui vendait du tabac, je suis tombé par hasard sur le magazine américain High Times. Je l’ai acheté par curiosité et il y avait un article sur la culture du cannabis en intérieur. J’ai trouvé l’idée géniale et en même temps, j’ai trouvé que les techniques de l’époque n’étaient pas du tout aboutis. J'ai toute de suite eu l’idée de ce que je voulais faire. Il se trouve qu’avant d’être bijoutier, j’étais marchand de pierres. J’allais en Colombie acheter des émeraudes. Et c’est d’ailleurs pour ça que je me suis retrouvé à San Francisco pour la première fois : je vendais des émeraudes aux chinois. C’est donc grâce à de métier de marchand de pierres que j’ai rencontré Larry Brooke, le fondateur de General Hydroponics, qui était en train de développer les prémices de ce qu’on fait aujourd’hui. J’ai bien aimé ce qu’il faisait et on a commencé à travailler ensemble. Larry est quelqu’un qui aime bien compliquer les choses. On a donc beaucoup simplifié le système. Le chimiste Carl Herrmann nous a ensuite rejoint. Et on a développé tout ce qui existe aujourd’hui. Carl était le chimiste, Larry était l’ingénieur et j’étais le testeur sous lampes.
A l’époque, il n y avait pas de matériel pour la culture hydroponique dans le commerce. Vous avez donc été les premiers à créer un système de culture hydro ?
Absolument. Larry a commencé General Hydroponics avec le petit Water Farm qui existe toujours. Et on avait l’engrais créé par Carl. C’était tout ce qu’on avait et ça a commencé très lentement. Au début, ça a été très pénible car il n y avait pas encore de marché. Personne ne connaissait. Et ensuite, ça a explosé à un point inimaginable. J’ai vu cette petite entreprise que Larry a démarré dans son garage devenir énorme en quelques années.
La culture hydroponique a t-elle été tout de suite associée au cannabis ?
Complétement ! Dans notre esprit, ce n’était que ça. A l’époque, il n y avait que cette plante qui m’intéressait. J’étais très mono plante. J'ai bien évolué depuis. Tout était centré autour du canna à l’époque et on avait conscience de contribuer à la fin de la prohibition. Si tout le monde cultive chez lui dans son placard, le cannabis n’est plus un produit de contrebande et la prohibition devient difficile à mettre en place.
Tu as commencé par l’hydro. Tu n’as jamais cultivé en terre ?
Jamais. J’ai essayé un peu mais je ne suis pas très bon. On a tout de suite commencé avec l’hydro, tout de suite avec la canna et avec l’idée de mettre fin à la prohibition.
Quelles variétés de cannabis cultiviez-vous à l’époque ?
Je n’ai jamais eu le nom des variétés car à l’époque, ce n’était pas comme maintenant. Il n y avait pas toutes les variétés qu’on a aujourd’hui. Il y avait surtout des cultivateurs en extérieur. J’habitais dans le nord de la Californie, à proximité du célèbre Triangle D’Émeraude. Les graines californiennes se passaient de main en main. On faisait des croisements et on gardait les meilleures variétés. J’avais un vieil ami contrebandier d’herbe et de hasch qui en avait importé toute sa vie. Je suis allé le voir pour lui demander s’il avait gardé quelque chose de bon. Il m’a donné des graines de ce qu’il considérait avoir eu de meilleur durant toute sa vie. Et de fait, c’était un truc extraordinaire ! Un de mes grands regrets est d’avoir perdu cette plante quand je me suis fait arrêter. C’était une Birmane avec des petits poils rouges. C’est tout ce que je sais. Elle était magnifique. Et c’était une bombe ! Même moi qui suis résistant, j’avais du mal à la fumer parfois. Les Birmanes sont de très bonnes plantes. Je trouve qu’on a beaucoup perdu en qualité à cause de l’hybridation. On a trop hybridé.
Vous avez tout de suite commencé à cultiver avec votre propre engrais pour l’hydroponie ?
Oui, on a commencé avec le même engrais qu’on a aujourd’hui sauf qu’on était en période de réglage. Comme c’est un engrais en trois parties (ndr : le Tri Part), il y avait pas mal de boulot à faire, le « fine tuning ». Il a fallu ajuster le dosage des différents ingrédients et ça a mis un ou deux ans. On cultivait en intérieur et je faisais 5 récoltes par an. Ça nous permettait de faire pas mal de répétitions pour améliorer les choses. J’avais 14 ou 15 lampes de 1000 watts dans mon espace de culture.
Tu as finalement été arrêté aux États-Unis à cause de la prohibition…
Quand j’ai été arrêté, Larry Brooke le fondateur de GH à été d’un grand support. Sa devise était « revanche through success » et c’est avec cet esprit là que nous sommes venus créer General Hydroponics Europe, qui en fait n’existe qu’à cause de mon arrestation. Petite anecdote que je ne trouve pas forcement drôle : à l’époque, la Californie « sous traitait » des prisonniers à des petites villes qui construisaient des prisons et se payaient en hébergeant des prisonniers « basse sécurité », un business très lucratif. Avec la légalisation, ces prisons sont devenues obsolètes et celle ou j’ai été logé (Coalinga) a été revendue à Ziggy, le fils de Bob Marley, pour y faire pousser de l’herbe. Aujourd’hui, ma cellule abrite une culture de cannabis ! J’avoue qu’il y a là une certaine ironie et mes amis californiens se sont fait une joie de m’envoyer les articles de journaux sur le sujet. Les temps changent…
Vous utilisiez déjà des ordinateurs pour concevoir les engrais ?
Notre chimiste Carl Hermann les utilisait déjà. J’ai hérité de lui les programmes qu’il a créé pour pouvoir formuler les engrais. Si je n’avais pas ces outils là, je serais très handicapé. Il m’a tout appris. C’est lui qui m’a montré comment faire les formulations et qui m’a donné les outils pour le faire. Et de mon côté, je lui ai montré ce dont les plantes avaient besoin. C’était un super chimiste mais il ne connaissait pas bien les plantes.
Actuellement, tu utilises un logiciel ?
Pour concevoir mes engrais, j’utilise un logiciel créé par Carl et je m’en suis créé un autre sur cette base. Ce sont des tableurs Excel que l’on doit créer soi même.
Comment fabriquez-vous les engrais pour l’hydroponie ?
On part toujours de sels minéraux. La difficulté est que chaque sel minéral amène deux éléments. Par exemple, si il te manque du calcium, tu ne pourras pas amener uniquement du calcium. Tu auras en général de l’azote avec. Du coup, tu peux te retrouver avec trop d’azote. Donc, tu vas enlever du nitrate de potassium mais du coup, tu n’auras pas assez de potassium… C’est assez complexe.
Le processus n’est pas le même pour les engrais organiques ?
Pour l’organique, c’est différent. Au départ, on n’amène qu’un élément ce qui peut paraitre plus simple mais la difficulté est que les matières actives sont beaucoup plus diluées. Il n y pas comme dans les sels minéraux des concentrations de matière active à 40, 50, 60 % ou même 80 %. C’est une autre complexité. La difficulté est dans la recherche de matières premières. Quand tu les as trouvés, la formulation est beaucoup plus simple. Je suis très heureux et très fier d’avoir conçu mon nouveau produit, un engrais organique en poudre soluble qui peut être utilisé aussi bien pour la terre que pour l’hydro.
Tu es l’inventeur de la bioponie, l’hydroponie bio. Quelle est la différence de rendement entre l’hydroponie et la bioponie ?
Pour la bioponie, la perte de rendement est d’au moins 20 %. Mais j’espère l’améliorer grâce à mon nouvel engrais organique. De plus, je n’avais pas jusqu’à présent pu le tester avec du canna sur des grandes surfaces. J’ai maintenant ma serre de chanvre et je peux donc faire des tests en bioponie. La différence entre un engrais minéral et un engrais bio est que l’engrais minéral est immédiatement absorbée par la plante. Un engrais organique est plus un engrais de fond. Il doit être décomposé par des micro organismes avant de se rendre accessible aux plantes. C’est ça le cœur du sujet. L’engrais organique est un peu plus complexe à gérer au départ. Pour un engrais bio, il faut qu’il soit certifiable en agriculture biologique ; Il faut que chaque ingrédient soit reconnu à 100 % par le cahier des charges de l’agriculture biologique.
Globalement, la culture hydroponique est-elle plus écologique que la culture en terre ?
C’est une très bonne question mais il est difficile d’y répondre. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Avec l’hydro, tes plantes sont mieux nourries et en meilleure santé qu’en terre même si tu es un bon jardinier. Tu as accès aux racines et il n y a pas l’effet tampon de la terre. En hydro, les plantes poussent très vite et ont beaucoup plus de résistance aux insectes. Sur cet aspect là, c’est plus écologique car il y a moins d’infestation et elles sont plus faciles à gérer. On utilise jamais d’insecticides mais uniquement des prédateurs. On utilise moins de surface et moins d’eau et on épuise pas la terre. Pour les côtés négatifs, en hydro, on utilise obligatoirement de l’électricité et du plastique.
Olivier F