Un héros civil dans l'Hexagone de l'injustice

Olivier F
14 Mar 2023

Trop souvent dans la société contemporaine, les personnes les plus normales sont poussées par les circonstances les plus défavorables à se transformer en citoyens incroyables : de véritables héros civils. C’est exactement pour cette raison que l'histoire suivante nous montre ouvertement comment la France est encore scandaleusement loin de respecter les droits des patients qui consomment du cannabis médical, un remède indispensable selon les mots de Philippe.


Par Fabrizio Dentini

D’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Philippe Pruvot et j’ai 51 ans J’ai, d’abord, travaillé dans la décoration, mais j'ai eu un problème de santé à cause de la résine polyester qui m’a provoqué un empoisonnement du sang. Dans les années 2000, jusqu'au 2008, j’ai ouvert un growshop à Paris, Place Pigalle. Après ça, j’ai lancé un site internet pour la vente des premiers vaporisateurs pour l’huile et, en 2017, j’ai créé BDC Labstore : une entreprise d’extracteurs en circuit fermé et matériel pour faire des extractions avec du BHO. Depuis mon arrestation, en 2019, je travaille dans un skateshop avec un ami à Bourges.

De quelle pathologie souffrez-vous et depuis combien de temps ?

Depuis l’âge de 20 ans je souffre d’une fibromyalgie diffuse avec de violentes douleurs. Les symptômes sont très importants dans les jambes, principalement au niveau des muscles, avec difficultés à la marche au niveau des hanches, ainsi que de violentes migraines. Je souffrais de ces douleurs quasiment tous les jours avec des échelles différentes au niveau d’intensité. J’ai aussi des problèmes à la cervicale et à la colonne vertébrale, mais surtout à niveau du bassin. J’ai toujours l’impression qu’on me tire les hanches et qu’on m’arrache les os. Comment la fibromyalgie a-telle été traitée avec les remèdes officiels ? Y avait-il des effets secondaires des médicaments ? A l’époque où la maladie a été détectée, aucun traitement efficace n’existait à part des anti-inflammatoires. Ce qui malheureusement a eu de nombreux effets indésirables au niveau de mon estomac.

Ces médicaments me provoquaient douleurs hallucinantes et diarrhée et mon estomac les rejetait alors comme le rejet à l’heure actuelle. En fait, je suis au régime alimentaire à cause de mon estomac qui était tellement abîmé que, depuis une dizaine d’années, je ne peux plus prendre de médicament trop lourd parce que mon corps ne les accepte plus. Même le docteur  qui me suit actuellement, m’interdit les anti-inflammatoires.

En quoi et comment avez-vous trouvé que la consommation de cannabis vous était utile ?

A l’âge de 20 ans suite à un voyage au Pays Bas où j’ai rencontré une personne atteinte de sclérose en plaque qui m’a expliqué qu’il utilisait du cannabis pour couper ses douleurs. Je suis donc revenu avec de l’herbe de cannabis et c’est à ce moment que j’ai constaté que l’utilisation de cette plante m’apportait un réel confort. Je me suis retrouvé beaucoup moins nerveux avec des douleurs beaucoup moins denses et plus espacées et avec le retour de l’appétit. En quelques semaines, mon entourage a pu constater que j’étais beaucoup plus calme. C’est à ce moment là que j’ai expliqué à mes parents que je fumais de l’herbe de cannabis et que, d’un commun accord, nous avons décidé d’utiliser cette plante à très petite dose. À ce moment je me suis décidé à cultiver du cannabis pour avoir un produit sain et non trafiqué. C’est ce qui m’a permis d’avoir une vie sociale plus ou moins normale.

Comment obteniez-vous le cannabis dont vous avez besoin ?

Je le cultivais en accord avec mes parents. De mes 20 ans jusqu’à mes 35 ans, je consommais en combustion car il y avait peu d’informations et peu d’études sur le sujet.

D'après votre  expérience en tant que cultivateur médical, quelles génétiques ont été les plus utiles pour atténuer votre situation clinique ? J’ai cultivé pendant des années la White Widow et pas mal d’Indicas Afghanes et Pakistanaises. Plus tard, j'ai eu la chance de réussir à avoir un cut de Casey Jones de Devils Harvest Seeds et cela m’a vraiment rendu service. C’était un hybride magique.

Comment consommez-vous du cannabis médical ?

J’avais un ami qui était parti travailler au Canada dans une production de cannabis légale durant plusieurs années. À son retour, cette personne m’avait expliqué qu’au Canada ils utilisaient le cannabis médical en huile, après extraction, car les études démontraient qu’il y avait plus d’efficacité et moins de risque. A partir de là, je me suis intéressé à toutes les études que j’ai pu trouver, principalement aux Etats-Unis et au Canada, puisque le cannabis médical est légal est utilisé dans ces pays.

À la suite de cela, j’ai développé un extracteur pour extraire l’huile de cannabis avec des solvants (le butane, l’éthanol naturel, le diméthylether) dans des circuits fermés pour ma propre sécurité, sachant que les solvants utilisés sont très inflammables. L’objectif final étant d’avoir un produit parfaitement épuré et propre pour diminuer les risques au niveau sanitaire. Au fil du temps, j’ai acheté de plus en plus de matériel d’extraction, de filtration et de distillation, j’ai donc pu commencer à consommer que de l’huile de cannabis sous forme des gélules, ou d’huile sublinguale et d’huile à vaporiser que je fabriquais moi-même. Au fil du temps, j’ai amélioré mes connaissances en suivant des vidéos de préparation de cannabis médical aux Etats-Unis. J’ai appris à faire de la distillation grâce aux informations récoltées dans les Universités du cannabis en Israël, Canada, Etats Unis.

Avez-vous une ordonnance médicale indiquant votre besoin de cannabis à des fins thérapeutiques ?

Je n’ai eu aucune ordonnance médicale, car les médecins sont frileux. Ce type de produit est interdit en France. D’où mon autoproduction pour pouvoir me soigner.

Vous avez récemment eu des problèmes avec la justice. De quoi s'agit-il ? Combien de cannabis les gendarmes ont-ils trouvé ?

En 2019, suite à un colis de CBD envoyé par une entreprise Suisse, dans laquelle je venais de signer un contrat d’embauche, les douanes ont interceptés celui-ci et ils ont constaté que le taux de THC dépassait légèrement le taux autorisé en France. J’ai été donc interpellé, avec perquisition et saisie de tout mon matériel de laboratoire. Ils ont trouvé 3kg d’herbes fraichement coupé, 20ml d’huiles pure à 76% de THC, des gélules testées à 2,3% de THC, 20 pieds de cannabis et tout le matériel de mon labo au complet. Je suis resté 24h en retenue= douanière et après 96h en garde à vue avec les gendarmes.

Quelle ligne de défense votre avocat a-t-il suivie ?

J’ai été défendu par Maitre Ingrid Metton, du barreau de Paris. Sa ligne de défense étant uniquement le médical et non pas un dossier de stupéfiant. D’autant plus compréhensif que ma mère ayant contracté un lymphome en 2016, et traité par chimio thérapie, se voyant dépérir chaque jour d’avantage, a décidé de tenter le tout pour le tout et de prendre de l’huile de THC pour pouvoir s’alimenter, ne plus avoir de nausée et calmer ses douleurs (pari réussi, puisque aujourd’hui, ma mère est toujours là).

Qu'est-ce que le juge a décidé ?

Au départ, il était question de trois ans de prison dont un an avec sursis probatoire.

Envisagez-vous de faire appel ?

Non, je préfère ne pas faire appel. Devant l’incompréhension du tribunal de Coutances concernant l’utilisation du cannabis médical, je pense que l’appel aurait été perdu d’avance, et que j’aurai pu risquer plus gros. Le verdict définitif se réduisant à une peine de 18 mois de prison, dont 12 avec sursis probatoire. La partie ferme sera effectuée à mon domicile avec un bracelet électronique et je devrai payer une amende de 1500€.

Quelle a été votre première pensée lorsque vous avez appris l'essai du cannabis médical en cours en France ?

Grande joie pour moi lorsque j’ai appris que la France lançait une expérimentation sur le cannabis médical pendant deux ans, mais ma joie est vite redescendue lorsque j’ai appris que la fibromyalgie n’était pas comprise dedans.

Le juge est-il conscient que la fibromyalgie ne fait pas partie des pathologies autorisées à entrer dans l'essai ?

Le juge l’a constaté mais n’en est peut-être pas conscient.

Lors du procès, n'ayant pas de prescription médicale, comment avez-vous pu démontrer votre besoin essentiel en cannabis médical ?

Le juge avait demandé une expertise médicale et le Professeur Patrick Cherin, spécialiste en médecine interne à l'Hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris, en fournissent même des études, lui a donc justement précisé que dans mon cas le cannabis médical était la meilleure de solutions comme démontrent les nombreux cas aux Etats-Unis.

Allez-vous continuer à vous traiter avec du cannabis ou pensez-vous maintenant devoir abandonner cette importante ressource?

Je ne peux pas abandonner l’utilisation du cannabis puisqu’à ce jour c’est le seul produit efficace et naturel sur la fibromyalgie. Si j’écoute la loi, ayant été traité par un centre antidouleur, la seule thérapeutique offerte est un appareil à pulsions électriques que je dois porter plusieurs heures par jour, mais étant là seulement pour camoufler la douleur. Mais les médecins proposent des traitements lourds à base de morphine, dérivé d’opium etc… qui ont trop d’effets indésirables.

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