Préserver la diversité végétale : comment freiner l’érosion génétique
Malgré les difficultés à quantifier l'érosion génétique, il semble qu'elle concerne tous les éléments de la diversité animale et végétale. Ce phénomène se manifeste lorsque la diversité génétique d'une espèce diminue, due à l’intervention humaine ou à cause de modifications de l’environnement (Guarino, L. ,2003). Ses causes, autrefois majoritairement naturelles, sont en évolution.
Par Hortizan
La Terre est entrée depuis peu dans une nouvelle ère : l'anthropocène. Cette époque géologique représente l'avènement de l'humanité comme principale source de modification de la planète. Désormais, les disparitions en termes de gènes sont pratiquement toujours dues à l’impact de l’homme : pollution, dégradation, fragmentation ou destruction des habitats naturels, surexploitation, introduction d’espèces exotiques, changements socio-économiques, évolutions des pratiques agricoles, ou encore catastrophes naturelles, .... Les conséquences sont souvent irréversibles et toutes accélèrent l’érosion génétique de la biodiversité, menaçant ainsi environnement et humanité.
En diversité génétique, il faut différencier deux aspects. La diversité spécifique : Elle caractérise la diversité au sein des espèces, chacune étant directement liée aux cultivars ou variétés qu’elle exprime. C’est cette richesse qui permet à l’espèce de se maintenir, d’évoluer ou de s’adapter. L’autre aspect est celui de la diversité écosystémique, elle englobe les biotopes et leurs biocénose (ensemble des êtres vivants peuplant un écosystème). Au niveau mondial, on recense aujourd'hui 2 millions d’espèces animales. Il en existerait cependant entre 8 et 20 millions, dont bon nombre pourraient disparaître avant même d’être découvertes.
Des espèces menacées
Côté botanique, on recense actuellement 390 000 espèces de plantes, mais leur diversité est menacée. En effet, la dernière étude du Royal Botanic Gardens de Kew, à Londres, estime que 40% des plantes sont en risque d’extinction. Au service de cette institution, Rafaël Govaerts a recensé depuis 1988 chaque espèce déclarée éteinte, en se basant sur le registre de l’année 1753 Species Plantarum de Carl von Linné. Suite à la recherche de deux variétés d'Armeria (une fleur rose de la famille Plumbaginaceae) observées en 1850 près de Vila Nova de Milfontes au Portugal, il témoigne : « La zone sauvage a été entièrement remplacée par la culture intensive d'oliviers. La plupart des endroits où je suis allé ont été tellement transformés que cela laisse peu d’espoir d'y retrouver des spécimens de plantes déclarées éteintes ».
Il y a un siècle, les espaces naturels représentaient 85 % de la planète. Il n’en constitue plus que 23 % désormais. (Allan, Venter & Watson, 2017). Au niveau géographique, ce sont les zones tropicales qui souffrent le plus. Selon l’Université du Maryland, les tropiques à eux seuls ont perdu 12,2 millions d’hectares de couvert arboré rien que pour l’année 2020. La diversité botanique constitue la base de notre écosystème et de notre alimentation : près de 350 millions de personnes vivent à proximité de forêts et en dépendent à des fins alimentaires et financières.
La situation est d’autant plus grave que toute disparition peut produire un effet domino. Par exemple, l’université de Zurich a récemment sonné l’alarme au sujet de l’extinction du ciste à feuille de sauge Cistus salviifolius, à la base de l’alimentation de l’abeille charpentière Xylocopa, elle-même essentielle à la pollinisation du Myrtus. Chaque espèce peut donc constituer un maillon essentiel de nos écosystèmes. La disparition de ces plantes signifie donc non seulement une perte pour la biodiversité, mais aussi pour l'humanité, car beaucoup représentent un potentiel médical et alimentaire encore insoupçonné.
L’érosion ne concerne pas seulement les milieux naturels, mais également les landraces (variétés s’étant adaptée à son environnement au fil du temps, et de manière isolée par rapport aux autres populations de son genre). Ces génétiques uniques représentent pourtant une ressource inépuisable pour le développement de nouveaux hybrides. En Grèce, la proportion de blé “landrace” à décliné de 80 à 10% entre 1930 et 1970. Les blés landraces utilisés dans la fabrication de pain sont devenus rares en Turquie, Irak, Afghanistan, Pakistan, pourtant encore communs il y a 50 ans. En Chine, environ 10000 races de blé y étaient cultivées en 1950, mais seulement 1000 étaient toujours en usage dans les années 1970. Au Cambodge, de multiples races de riz ont disparu à cause de la guerre et des famines. Des centaines de variétés rarissimes seraient désormais disparues si l’Institut international de la recherche sur le riz, situé aux Philippines, n’en avait pas préservé une immense partie.
De l’autre côté du globe, au Guatemala et au Mexique, l’expansion des villes a contribué au déplacement ou à la disparition de nombreuses populations de Téosinte Zea mexicana. L’hybridation de ce proche du maïs fait pourtant l'objet de nombreuses recherches pour sa résistance aux maladies, sa tolérance aux sols secs et sa richesse nutritionnelle. Au-delà de la perte en matériel génétique, ces disparitions impactent également les populations qui en dépendent, une perte estimée à plus de 10 milliards de dollars par an !
La fragmentation des écosystèmes contribue également à l’érosion génétique. Cela consiste à diviser les habitats naturels en plusieurs parties, généralement à des fins agricoles ou logistiques. Ce phénomène à pour conséquence d’empêcher une ou plusieurs espèces de se déplacer comme elles le devraient. L'exemple de la construction du barrage hydroélectrique de Khlong Saeng, en Thaïlande du sud, expose bien ce phénomène : la réalisation de ce projet a nécessité l'inondation d'une zone autrefois couverte de forêts pluviales. La fragmentation des collines a conduit à la formation d'îles qui ont isolé la faune originelle, composée en partie de petits mammifères. Au cours des 8 années qui ont suivi, l'évolution de 3 espèces a été étudiée : le Maxomys surifer, un rat épineux rouge, la Chiropodomys gliroides, une souris d'arbre, et le Tupaia glis, un Toupaye commun aux allures d'écureuil. Grâce à une nouvelle technique de marqueurs ADN, les chercheurs ont pu étudier les séquences génétiques et leurs évolutions afin de définir les processus de l’érosion génétique dans la nature. Conclusion : les petites populations semblent perdre leur variabilité génétique plus rapidement que les populations plus importantes. (Srikwan and Woodruff, 2000).
La raison est simple : L’érosion génétique est à la fois une cause et un signe de la vulnérabilité des petites populations. Elle résulte systématiquement d’une dérive génétique aléatoire ou d’une consanguinité (Wright, 1969).
Dans des populations enfermées ou restreintes, l’absence de variation génétique induit une perte de gènes hétérozygotes (possédant un patrimoine génétique formé de gènes non identiques). La différence n’est pas perceptible d’une génération à l’autre, mais une population restreinte sur plusieurs générations peut rencontrer une perte importante de variabilité génétique. Génétiquement parlant, une population limitée à 10 individus va perdre 50% de ses gènes hétérozygotes en environ 20 générations. Autrement dit, 5 fois plus vite qu’une population 10 fois plus grande ! (Woodruff, Encyclopedia of Biodiversity, 2001). En d'autres termes, les petites populations isolées perdent bien leur diversité plus vite et sont moins en mesure d'évoluer et de s'adapter aux changements à venir.
Diversité du cannabis
Par ailleurs, notre plante favorite n’est pas à l’abri. Il y a 50 ans, la majorité des fleurs de Cannabis étaient importées et provenaient d’endroits comme le Mexique, l’Afghanistan, la Colombie ou la Thaïlande. Le Hasch provenait également de régions spécialisées aux variétés adaptées à des terroirs. Très diverses, beaucoup de ces génétiques ont été importées puis croisées afin de produire une infinité d’hybrides encore cultivés aujourd’hui. En 1990, les passionnés découvrent de nouvelles génétiques produisant des fleurs violettes, une vague de croisements “purple” apparait alors parmi la communauté. Peu de temps après, l’OG Kush et ses terpènes si particuliers inondent le marché de ses croisements, avant que la tendance évolue vers la Sour Diesel. Le marché évolue, la compétitivité s'accroît, et de nombreux cultivars sont développés. Cet effet a eu pour conséquence la montée en puissance de marques comme Cookies, qui a pu lancer tout un panel basé sur la famille du même nom (Sherbet, Gelato, Runtz, Gary Payton, …).
La renommée déjà acquise de ces hybrides pousse beaucoup de breeders à utiliser ces plantes dans leurs créations, c’est pourquoi on retrouve les Gelato, GMO, Papaya, Tangie/ ou Trop, Runtz, Banana ou Zkittlez dans autant de croisements. À l’inverse, les landraces ne bénéficient pas d’exposition, leurs sélections et croisements peuvent se révéler plus compliqués et sont donc moins fréquemment sélectionnés pour la réalisation de nouveaux croisements. En dépit de leur importance, les landraces sont en danger. C’est notamment le cas pour la Beldia du Maroc, mais aussi pour de nombreuses souches provenant d’Asie ou d’Amérique du sud, telle que la Punta Roja.
Ces génétiques sont menacées de disparition à cause de conflits locaux, d’hybridations dues à de nouvelles souches importées, ou à cause des politiques de certains gouvernements. Malgré la légalisation, les autorités américaines continuent de mener leurs programmes d’éradication de cannabis sauvage. En Afrique du Sud, le gouvernement tente de maîtriser les champs illicites en pulvérisant des produits nocifs, au détriment des populations alentour. Au Kazakhstan, le gouvernement hésite entre poursuivre l’éradication du cannabis sauvage ou au contraire en tirer profit. Ce pays, probablement à l’origine d’un pilier de l’évolution du genre Cannabis, est aujourd’hui la plus grande superficie de cannabis sauvage sur notre planète. Chaque parcelle éliminée ou fragmentée constitue une accélération du phénomène d’érosion génétique, alors même que ces plantes pourraient présenter des propriétés gustatives ou médicinales qui nous sont encore inconnues.
Cette richesse de la nature est essentielle pour l’humanité d’aujourd’hui comme pour celle du futur. Cela signifie que nous devons trouver de nouveaux moyens de préserver cette biodiversité : en changeant nos manières de cultiver grâce à des moyens plus naturels, en préservant des génétiques diversifiées, en cultivant des souches locales, et en protégeant les habitats naturels déjà bien réduits. Préserver la diversité génétique des plantes et des animaux nous aidera à préserver l’humanité.