Le point sur l’expérimentation du cannabis médical avec Bertrand Rambaud

Olivier F
28 Feb 2022

Membre fondateur et ancien président de l’UFCM (Union française pour les cannabinoïdes en médecine), dont il est maintenant trésorier, Bertrand Rambaud milite depuis longtemps pour le cannabis médical. Il a participé au 2eme Comité scientifique de l’ANSM (Agence nationale de la sécurité des médicaments) dont le but était de définir les modalités de l’expérimentation du cannabis à usage médical, démarrée en mars dernier. Bertrand Rambaud, qui est lui-même usager de cannabis médical, est très critique envers cette expérimentation qu’il considère trop restrictive.


SSFR : Tu as participé au 2eme Comité scientifique sur le cannabis médical de l’ANSM. Comment as-tu été sélectionné ?

Bertrand Rambaud : A l’époque, les associations de patients ont pu participer au Comité scientifique principalement grâce à l’intervention de Béchir (fondateur de L630). Le comité était composé au total de 20 à 30 personnes, professionnels de santé et représentants des patients, et présidé par le Dr Nicolas Authier. A l’époque, ils n’étaient pas trop chauds pour me prendre à l’ANSM. Je les avais déjà critiqué de façon assez virulente et ils étaient sceptiques dès le départ. Au final, on a pu s’exprimer. On a vraiment pu parler de choses qui fâchent et de choses qui fâchent moins. On a réussi à faire un peu changer les choses à la marge. Donc, on a pu parler mais on a pas été suffisamment écouté. Aucune association de patients n’a participé aux réunions sur les critères d’inclusion. Ce sont les sociétés savantes qui ont défini ces critères. Et ils ont rajouté des critères d’exclusion qui sont disproportionnés. Quand j’allais acheter du cannabis médical dans les pharmacies hollandaises, il n y avait aucune contre-indication. En France, par contre, j’ai 5 critères d’exclusion.

Quels sont les critères d’exclusion ?

Dans mon cas personnel, il y avait problème de foie, problème cardiaque ou stress post-traumatique. Ce sont des contre-indications qui m’empêchent de participer à l’expérimentation en tant que patient. S’ils ne les enlèvent pas, je ne pourrai jamais avoir une prescription de cannabis médical. Ils devraient par exemple enlever des critères d’exclusion comme la dépression. La plupart des malades, quelle que soit leur pathologie, son passés par des phases dépressives, à cause justement, de leur maladie. Donc, ce sont des critères très restrictifs. Aucun médicament n’a été autant surveillé pour sa mise en place. Ils prennent moins de précautions avec de médicaments opioïdes comme le Fentanyl qui sont pourtant très dangereux avec des risques d’overdose.

Combien y a-t-il eu de réunions du comité ?

J’ai participé à une trentaine de réunions sur une période de de 18 mois. Nous avons commencé par des réunions en présentiel, puis à cause du Covid, nous avons poursuivi les réunions en vidéos-conférences sur Zoom. C’était des réunions qui duraient au moins un demi journée. Donc, c’était un travail important. Les réunions n’ont pas été filmées. Une personne était chargée de prendre des notes mais finalement nous n’avons jamais eu les comptes-rendus des réunions, comme c’était prévu. C’était un peu compliqué de ne pas avoir les compte-rendus des réunions auxquelles on avait participé. J’ai pu constater certains dysfonctionnements au sein du comité scientifique temporaire (CST).

Que reproches-tu exactement à l’expérimentation du cannabis médical ?

Cette expérimentation, je ne la renierai pas. Nous avons beaucoup travaillé pour qu’elle ait lieu. Mais elle est critiquable sur de nombreux points. Les « cols blancs » ont pris des décisions, l’avis de l’ANSM n’étant que consultatif. Nos recommandations n’ont pas été suffisamment prises en compte au niveau gouvernemental. Nous avons quand même pu faire bouger certaines choses. Au départ, l’expérimentation ne devait pas inclure les patients qui consommaient déjà du cannabis. Nous avons du beaucoup batailler pour faire annuler cette disposition. Je pense qu’ils devraient plus prendre en compte l’intérêt des malades.

Les décisions n’ont  donc pas été prises par l’ANSM ?

Non, elles ont été prises ailleurs. Prenons l’exemple de la conduite automobile pour les usagers de cannabis médical. Le sujet ne concernait pas le ministère de la santé mais le ministère de l’intérieur et celui  de la justice qui ont refusé notre proposition. Nous voulions obtenir une dérogation pour permettre aux patients de l’expérimentation de conduire leur véhicule pour continuer à aller travailler. Cela signifie que le patient devrait démissionner de son travail pour participer à une expérimentation ! Ce l’une des raisons pour lesquelles on a si peu de patients qui participent à l’expérimentation.

Les membres du comité étaient-ils tous d’accord entre eux ?

Avec les associations de patients, nous étions d’accord entre nous. Mais pas toujours avec les autres. J’ai senti surtout la peur de prescrire. On leur a présenté le cannabis comme un médicament alors que ce n’en est pas un. Ils le considèrent comme un médicament et se concentrent sur les cannabinoïdes THC et CBD. L’effet entourage, les terpènes et les flavonoïdes, c’est trop compliqué pour eux. De mon point de vue, si on veut prescrire du cannabis, il faut prendre en compte tous les composants de la plante. Il faut savoir précisément quel cannabinoïdes et quels terpènes utiliser.

Avez-vous également auditionné des experts dans les cadre de vos travaux ?

Non, les intervenants extérieurs ont été auditionnés par le premier CST. Pour le deuxième, nous avons participé à des réunions uniquement entre membres du CST.

L’expérimentation est limitée à cinq pathologies. Quelles sont les autres pathologies qui devraient être incluses cette expérimentation ?

Il y par exemple la maladie de Crohn… Je pense aussi à toutes les maladies psychiatriques qui ont été exclues d’emblée de l’expérimentation : bipolarité, hyper-activité, stress post-traumatique… Tous les malades qui ont ces pathologies sont laissés sur le bord de la route. Il y a beaucoup de recherche internationale sur ces sujets. Et on voit que le cannabis peut s’avérer très utile pour ces malades. Il faut voir ce qui se fait ailleurs et ne pas tenir compte de l’avis de l’Académie de médecine. Il faut avoir une vision globale.

Des entreprises israéliennes, canadiennes et australiennes ont été sélectionnés pour fournir le cannabis médical. Que penses-tu du choix de ces entreprises qui fournissent le cannabis gratuitement pendant l’expérimentation  ?

C’est l’ANSM qui a choisi les entreprises. Nous, ce qui nous a gêné, c’est déjà la gratuité. On aurait préféré avoir un budget. La gratuité ne garantit pas la qualité. Par exemple, l’entreprise Bedrocan, qui fournit les fleurs de cannabis médical en Hollande, ne s’est pas positionné sur le marché français à cause de la gratuité. J’aurais préféré qu’on prenne des entreprises européennes qui ont déjà fait leurs preuves. La gratuité avantage les grosses entreprises. Le premier critère pour sélectionner les entreprises était qu’elles acceptent cette gratuité. Et c’est finalement « big pharma » qui fournit les produits à base de cannabis pour l’expérimentation.

Le point sur l’expérimentation du cannabis médical avec Bertrand Rambaud
Le colloque sur le cannabis médical de l’UFCM à Paris en 2018.

Quel est, selon toi, le pays les plus avancé dans le domaine du cannabis médical et dont on pourrait suivre l’exemple ?

Je pense bien sûr à Israël. Ils sont vraiment à la pointe sur le cannabis médical. Ils font des recherches très approfondies. Le système canadien est pas mal. En Europe, l’Espagne a pris de l’avance dans la recherche grâce aux travaux de Manuel Guzman, de l’université Computense à Madrid, qui étudie l’action des cannabinoïdes, notamment sur le cancer. Le meilleur système de prescription est en Israël.

Quelles sont les meilleures variétés de cannabis médical adaptées aux différentes pathologies ?

Tout dépend des besoins spécifiques de chacun et de son système endocannabinoïde. Par exemple, pour soulager la douleur, le mieux est une variété indica avec un taux de THC assez élevé entre 15 et 20 % et environ 3 % de CBD. Dans mon réseau de patients, la plupart utilisent des variétés indica ou des variétés hybrides indica / sativa à dominante indica. Les variétés sativa ne sont jamais utilisées pour le cannabis médical.

L’expérimentation doit se terminer dans un peu plus d’un an et les prescriptions de cannabis devront normalement se généraliser…

Selon les retours que j’ai eu, les autorités sont satisfaites de cette expérimentation. 1000 patients ont été pris en charge depuis le début et les résultats sont satisfaisants. Mais de notre coté, nous ne sommes pas satisfaits. On savait qu’on allait obtenir de bons résultats mais on aurait aimé qu’il y ait plus de monde. On aurait aimé des  critères d’inclusion qui permettent d’avoir plus de personnes. Il devrait y avoir 3000 patients dans cette expérimentation. Au bout de 9 mois, nous en sommes à 1000 patients. Ce sera donc difficile d’atteindre les 3000. Ils incluront peut-être d’autres pathologies mais si ils continuent avec les critères actuels, ça ne servira à rien de généraliser les prescriptions. Avec ces critères, 90 % des patients sont laissés sur le coté.

Le troisième comité scientifique temporaire devrait permettre la création  d’une filière français de cannabis médical…

Les entreprises étrangères qui fournissent gratuitement le cannabis pendant deux ans deviendront logiquement les fournisseurs officiels. C’est le problème avec ce système de gratuité. Les médecins qui commenceront à prescrire auront plus confiance en des produits qui auront déjà été prescrits, c’est-à-dire ceux de l’expérimentation. De mon point de vue, ils ne veulent pas d’une filière française. C’est également les cas avec le CBD, comme on a pu le voir récemment. Il y déjà une entreprise française qui a été agréée pour le cannabis thérapeutique mais la gratuité permet d’ouvrir le marché à des grosses entreprises internationales qui n’en ont pas besoin et les petites entreprises françaises n’ont pas les moyens de se développer.

Le colloque international sur le cannabis médical de l’UFCM Icare aura-t-il lieu cette année ?

Après deux ans d’interruption à cause du Covid, le colloque sera normalement de retour cette année. Nous ne connaissons pas encore la date et ce sera probablement à la faculté de Strasbourg.

Olivier F

O
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