Le cannabis sans pépin
La polyploïdie est un des plus grands moteurs de l’évolution. Cette particularité génétique consiste à ce qu’un individu dispose de plus de sets de chromosomes que les deux que l’on retrouve habituellement chez l’homme. Ce processus aboutit généralement à la création d’individus singuliers. C’est notamment le cas de la fraise du Chili (Fragaria chiloensis), que l’on qualifie d’octoploïde, car elle dispose de 8 lots de chromosomes.
Par Hortizan
Ces mutations contribuent à la vie terrestre et à ses diverses transformations depuis la nuit des temps. La polyploïdie existe chez certaines espèces animales, mais elle est d’autant plus présente dans le monde végétal : on estime que plus de 70 % des espèces végétales sauvages sont des polyploïdes ! Par ailleurs, la polyploïdie semble représenter un atout majeur pour l’homme. C’est pourquoi on en retrouve autant dans nos assiettes : citrons, bananes et raisins sans pépins ni graines en font tous partie ! Il était donc logique que l’humanité en vienne à appliquer ces techniques sur de nouvelles espèces, tel que le cannabis. C’est ainsi qu’une entreprise américaine vient d’annoncer la sortie de leur premier triploïde. Répondant au doux nom de "Pistil Guard", les plantes issues de ce polyploïde seraient dans l’incapacité de produire des graines, et cela même en contact direct avec le pollen. Voyons ensemble comment nous en sommes arrivés là.
Pourquoi la polyploïdie est-elle présente dans la nature ?
La vie dispose de bien des moyens pour accomplir son chemin évolutif, et a besoin de certains mécanismes pour pouvoir se développer. Je ne vous apprends rien, tout comme chez l’humain, les cellules végétales sont déterminées par les chromosomes servant à stocker, dupliquer et partager l’information génétique d’une cellule à l’autre au cours de la vie de tout être. Chez l’homme, on retrouve dans chaque cellule 23 paires de chromosomes. Mais chez le végétal, cela varie énormément : on en retrouve 3 pour la Luzula elegans, et jusqu’à 720 pour Ophioglossum reticulatum, la fougère possédant le plus grand nombre de chromosomes répertoriés. Cependant, au lieu de se regrouper en paires, les chromosomes peuvent également se présenter en plus grand nombre, et c’est ce qu’on appelle la polyploïdie ! Les individus polyploïdes peuvent alors présenter diverses particularités : le fruit devient plus gros chez le kiwi Actinidia chinensis ( Wu JH, Ferguson AR, Murray BG, Jia Y, Datson PM, Zhang J., 2012), le caféier allotétraploïde Coffea arabica s’adapte mieux aux divers climats (Marie-Christine Combes Gavalda, 2011), plus aucune graine dans la pastèque Citrullus lanatus, … Les avantages sont donc divers et variés, c’est pourquoi il ne fallait pas attendre plus longtemps pour voir ce système appliqué à notre chère plante médicinale.
La polyploïdie appliquée au Cannabis sativa
Dan Grace, le fondateur de Dark Heart industry & nursery, décrit la découverte de son entreprise : ce nouveau triploïde a pour fonction de ne produire aucune graine, et ce même lorsqu' il est exposé directement à du pollen : “ la capacité de cultiver du cannabis riche en THC à partir de graines et clones triploïdes stériles garantit une production sans aucune graine, ce qui représente un énorme avantage pour les cultivateurs que l’on soutient. Les avantages des plantes de cannabis devenues insensibles à l’épreuve du pollen sont très nombreux, et permettent d’envisager une production à grande échelle facilitée.” Cette innovation signifie que ce type de cultivar peut être désormais produit à grande échelle, tout comme certaines céréales tels que le blé, le maïs ou encore le chanvre industriel. Ainsi, en minimisant les pollinisations accidentelles, la nurserie à l'origine de cette découverte espère réduire les coûts de production : augmentation des rendements, réduction des dépenses et amélioration quantitative et qualitative des cultures font partie des arguments annoncés. Mais comment ces génétiques sans graines sont donc produites ?
Comment créer un triploïde stérile ?
Pour comprendre, l’exemple de la banane ( Musa x) est très parlant. Car oui, auparavant les bananes étaient un fruit rempli de graines ! Bien avant Darwin ou Mendel et leurs théories sur l’évolution et la génétique, un habitant d’une jungle asiatique aurait supposément découvert un plant de bananier développant des fruits sans graines. Il l’aurait divisé et multiplié jusqu’à ce que ce cultivar parcourt le monde entier ! Ce bananier sans graines est un triploïde, issu de la pollinisation naturelle d’un bananier sauvage diploïde (2 paires de chromosomes) et d’un autre tétraploïde (4 paires de chromosomes). Voilà donc la solution pour produire des plants sans aucune graine. Pour se dupliquer, tout bananier diploïde a besoin de recevoir du pollen disposant lui aussi de deux paires de chromosomes. Tout croisement de plante tétraploïde avec une plante diploïde produit des graines triploïdes (3 paires de chromosomes). Disposant ainsi d’un nombre impair de chromosomes, les séries des parents ne peuvent se compléter, empêchant l’individu triploïde de se reproduire. C’est ce même processus qui est à l’origine de toutes nos espèces sans graines ni pépins que l'on retrouve dans l’alimentation humaine quotidienne : pommes, bananes , pastèque, pomme de terre, soja, coton, blé, colza, caféier, citronnier, concombre, arachides, clémentine...
La polyploïdie encourage ainsi à la spéciation, autrement dit à la création de nouvelles espèces. Malgré les divers mécanismes biologiques censés empêcher la polyploïdisation, cette particularité réserve encore beaucoup de surprises. Cette technique revendiquée aujourd’hui par certaines nouvelles entreprises issues de la modernisation de nos méthodes de culture n’est en somme qu’un hasard de la nature, et continuera de bénéficier à l’humanité sous divers aspects, au stade naturel comme artificiel.