Interview Jean-Baptiste Moreau

Olivier F
27 Dec 2020

La Mission d’information parlementaire se compose de 29 députés appartenant principalement aux partis LREM et LR. La mission a été créée en 2019 mais ses travaux avaient été interrompus suite à la crise du Covid puis ont repris à la rentrée. Elle concerne les trois usages du cannabis : thérapeutique, récréatif et « bien-être » (CBD ou cannabis light). Robin Reda (LR) est le président de la Mission d’information et Jean Baptiste Moreau en est le rapporteur général.


Par Olivier F / olivier@softsecrets.nl

Jean-Baptiste Moreau est agriculteur, député de la Creuse et porte-parole d’Emmanuel Macron. Il est à l’initiative de la Mission d’information parlementaire sur les réglementations et l’impact des différents usages du cannabis dont il est le rapporteur général. Contrairement  au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et à d’autres ministres du gouvernement Macron, Jean-Baptiste Moreau se déclare favorable à la légalisation du cannabis thérapeutique et récréatif.

SSFR : Pouvons-nous faire le point sur les travaux de la Mission d’information parlementaire sur les réglementations et les usages du cannabis ?

Jean-Baptiste Moreau : Notre mission a pour but de mesurer les différents intérêts du cannabis et les différents usages et de voir comment faire évoluer la législation française pour se rapprocher de ce qui se fait au niveau européen. La mission est consacrée à trois domaines Il y a le cannabis à vocation thérapeutique avec l’expérimentation qui doit commencer au mois de janvier. Le décret vient d’être pris la semaine dernière. Pour le cannabis « bien-être », nous devons rendre un rapport en novembre / décembre. Nous avons besoin d’exploiter la fleur de chanvre et nous avons donc déposé un amendement au projet de loi de finance de la sécurité sociale qui arrive en débat normalement cet après-midi ou demain. L’objectif de cet amendement est de pouvoir exploiter la fleur de chanvre pour en extraire le CBD et pouvoir le commercialiser en France. Pour le cannabis récréatif, nous allons rendre un rapport en janvier / février. Nous allons mesurer l’intérêt et les inconvénients de faire évoluer la loi.

Les membres de cette mission d’information sont-ils globalement favorables à la légalisation du cannabis récréatif ?

Globalement, oui. Le président de la mission est Robin Redda, membre du parti Les Républicains. Il a clairement exprimé sa position en faveur de la légalisation, suite à la tribune des trois maires républicains dans le Journal du Dimanche. Il est comme moi, en faveur d’une légalisation encadrée. C'est-à-dire pour une interdiction aux mineurs car la consommation peut avoir des effets catastrophiques. Nous souhaitons faire évoluer la législation pour nous permettre de contrôler la qualité de ce qui est consommé car on voit bien que les taux de THC sont en train d’exploser dans le trafic de drogue, ce qui pose un certain nombre de problèmes de santé publique. L’objectif est aussi de stopper cette économie parallèle qui sert aussi à financer d’autres choses et qui créé des zones de non droit dans les quartiers. Une consommation modérée par des adultes ne créé pas forcement de danger pour la santé. Il faut bien sûr ne pas prendre le volant après avoir consommé, comme pour l’alcool. Les rapporteurs thématiques et moi-même sommes plutôt favorables à la légalisation mais nous ne voulons pas légaliser n’importe comment. La légalisation ne veut pas dire : « On autorise tout et n’importe quoi ! » Il faut tenir compte du réel et arrêter d’être dans la fantasmagorie qui entoure le cannabis.

Vous préconisez donc un monopole d’état pour la vente du cannabis ?

Oui, un monopole d’état avec un organisme de type SEITA, pour contrôler, vérifier et éviter de faire tout et n’importe quoi car ce n’est quand même pas totalement inoffensif.

Le taux de THC serait fixé à combien ?

C’est trop tôt pour le dire. On doit rendre notre rapport sur le cannabis récréatif en janvier / février. Pour le cannabis « bien-être », nous voulons nous aligner sur la législation européenne avec un maximum de 0,2 % de THC. En cas de légalisation du cannabis récréatif, nous ne savons pas encore. Nous allons étudier ça avant de rendre notre rapport.

La limitation du taux de THC ne risque t-elle pas de favoriser le marché noir qui, même avec la légalisation, pourrait se maintenir en vendant des produits plus puissants ?

Oui, mais en même temps, nous n’allons pas commercialiser des produits qui pourraient être dangereux pour la santé publique. Il faut aussi que les prix correspondent pour que le marché noir ne soit pas plus intéressant que le marché légal.

On assiste actuellement à une deuxième vague de perquisitions dans les CBD shops français. Est-il encore possible de vendre des produits CBD avec moins de 0,2 % de THC ?

Seul le CBD de synthèse est légal en France. C’est pour ça que nous voulons sortir un décret pour nous permettre de cultiver et d’extraire le CBD de la fleur de chanvre. Nous allons défendre notre position auprès du gouvernement très bientôt. Des experts nous disent que le CBD de synthèse pourrait aussi se transformer en THC. Il n’y a absolument aucune assurance qu’il n’y ait pas du tout de THC dans le produit fini. Cette espèce de distinction entre CBD de synthèse et CBD issu de fleurs n’a donc aucun sens.

La plupart des magasins vendent du CBD naturel importé de Suisse ou d’autres pays. Le CBD issu de fleurs est donc totalement illégal en France ?

Pour l’instant, c’est illégal. Seul le CBD de synthèse est légal. Les compléments alimentaires à base de chanvre sont légaux. L’huile alimentaire fabriquée avec les graines est légale mais l’huile de CBD extrait des fleurs de chanvre ne l’est pas. (NDR : interview réalisée avant la décision de la Cour européenne qui autorise l'importation de CBD)

Vous êtes agriculteur et député de la Creuse. Il existe un projet de culture de cannabis thérapeutique dans ce département dont on a beaucoup parlé dans la presse mais avec peu de précisions. De quoi s’agit t-il exactement ?

Pour le cannabis thérapeutique, il s’agirait plutôt de indoor. C’est indispensable à la qualité des produits et cela permet également une surveillance des cultures car le cannabis thérapeutique peut contenir des taux de THC importants. Par contre, la culture de cannabis avec des faibles taux de THC, destiné au secteur du « bien-être » pourrait se faire en plein champ. Le secteur du bien être pourrait s’avérer intéressant car en plus du CBD, nous pourrions aussi exploiter la plante de chanvre pour les compléments alimentaires ou les cosmétiques.

On dit souvent que l’on manque de champs pour cultiver des produits alimentaires à cause de l’urbanisation mais il y aurait des espaces libres pour cultiver du chanvre dans la Creuse ?

Ce ne sont pas de nouveaux terrains, ce sont déjà des terrains agricoles mais il est possible d’intégrer le chanvre dans la rotation. La plante possède un immense avantage, elle nettoie le sol des mauvaises herbes. Elle nécessite assez peu d’engrais et pas de produits phytosanitaires. C’est un bon élément de rotation. On peut par exemple, cultiver du chanvre, puis des céréales ou autre chose. Le chanvre pourrait être un complément de revenus pour les agriculteurs

Le gouvernement applique actuellement une politique très répressive dans le domaine du cannabis Vous êtes vous-même favorable à la légalisation encadrée du cannabis récréatif mais vous faites partie de la République en marche et vous soutenez le gouvernement Macron. Vous ne vous sentez pas un peu en décalage ?

Non, c’est bien le ministre de la santé Olivier Véran qui vient de signer le décret qui autorise l’expérimentation du cannabis thérapeutique.

Que pensez vous de l’amende forfaitaire ?

On va devoir tirer un bilan. Pour l’instant, elle vient juste d’être mise en place, onc on verra bien ce que ça donne. Mais je ne suis pas sûr que ça résoudra les problèmes de trafic et de consommation.

Si on votait aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour la légalisation du cannabis, quels seraient les résultats ?

Je pense que ça passerait. La légalisation serait approuvée. 

Il y a quelques années, La sénatrice Esther Benbassa avait essayé de présenter un projet de loi pour la légalisation au Sénat mais ça n’avait pas fonctionné…

Il faut d’abord passer par l’Assemblée, puis par le Sénat, puis retour à l’Assemblée. En commençant par le Sénat, c’est sûr que ce n’est pas demain la veille qu’ils vont y arriver.

Plusieurs maires de villes grandes ou moyennes sont favorables à la légalisation. Que peuvent-ils faire dans leurs villes pour changer les choses ?

Ils ne peuvent rien faire tant que le cadre législatif n’a pas changé. 

Vous avez déclaré avoir déjà consommé vous-même du cannabis…

Oui, c’était essentiellement dans un cadre festif lorsque j’étais étudiant.

Quand pensez-vous que le cannabis sera totalement légalisé en France, comme c’est le cas, par exemple au Canada ?

Il faudrait que comme au Canada, la légalisation fasse partie d’un programme présidentiel et soit donc validée par le suffrage universel. Ou que la légalisation soit validée par un referendum, je n’y suis pas opposé. Ca ne peut pas se faire en fin de quinquennat. Donc, je dirais pas avant deux ou trois ans.

La légalisation du cannabis pourrait-elle faire partie du programme d’Emmanuel Macron s’il se représente aux élections présidentielles en 2022 ?

Ce serait possible mais il faudrait le convaincre. Je ne sais pas. Je ne peux pas le dire aujourd’hui.

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Olivier F