Les mutations ou la perpétuelle évolution du cannabis
La forme de notre chère plante est très connue, voir même légendaire. Depuis votre paquet de feuilles jusqu’au bob de votre petit cousin, on n’imagine plus, aujourd'hui, un seul produit dérivé sur lequel on ne la retrouve pas. Mais l’aspect de cette plante si singulière est-il resté inchangé au cours des siècles ? Notre fleur bien aimée a-t-elle toujours eu cette forme ou cette couleur verte qui fait d’elle un végétal si reconnaissable ? Depuis des cas de multiplications apicales incongrues, en passant par des couleurs originales, jusqu’à des aspects foliaires inoubliables, voici le tour des différentes mutations dans l’univers du cannabis !
Par Hortizan
Avant tout, petit rappel sur ce qu’est une mutation. Il s’agit d’un événement naturel aléatoire affectant la composition ou l'organisation de l’ADN, autant sur son aspect qualitatif que quantitatif. Responsable de la diversification biologique, elle est donc le moteur créatif de toutes les espèces que l'on connaît aujourd’hui. Dans cet article, nous parlerons autant des mutations survenues à l’état naturel, sans intervention humaine, que celles où l’homme a joué un rôle.
Une structure diversifiée, des plants méconnaissables
La polyploïdie et la fasciation - Le cannabis est une plante diploïde, c'est-à-dire qu’elle porte deux ensembles de chromosomes. La polyploïdie, quant à elle, consiste alors à ce qu’un individu dispose de plus de séries que ces deux ensembles de chromosomes. Ces phénomènes contribuent donc pleinement à l'évolution de nombreuses espèces végétales, disposant de nouveaux atouts. Beaucoup de plantes cultivées sont polyploïdes : pomme de terre, coton, blé, caféier, citronnier, concombre, banane, clémentine….
Dans le cannabis, la polyploïdie peut se traduire par des traits positifs, comme par exemple des récoltes plus généreuses et des graines plus importantes, ou à l’inverse clairement négatifs. C’est l’exemple de la fasciation (déformation anormale d’une plante), où certains apex voient leurs fleurs se diviser et se multiplier. Cette mutation peut être aléatoire et naturelle, ou artificielle. Attention cependant, la fasciation peut également résulter d’une maladie transmise par un insecte et n’est donc pas systématiquement dû à une mutation. Certaines recherches récentes sur la polyploïdie du cannabis démontrent que de nouveaux traits pourraient encore être découverts. Nous ne rentrerons pas dans le détail ici, mais ces recherches pourraient peut-être un jour nous procurer de nouvelles génétiques encore inconnues. Affaire à suivre.
La phyllotaxie en volutes - On connait tous la forme classique d’un pied de cannabis : sur chaque nœud repose deux feuilles et deux rameaux. C’est cela, la phyllotaxie : l’emplacement des feuilles et rameaux sur la tige. Sauf que mère nature ne respecte pas toujours ce schéma ! Un nœud peut porter trois feuilles et rameaux, voire même plus ! Dans certains cas, les plantes paraissent plus denses. Cela est plutôt esthétique, et pourrait même représenter un avantage au niveau de la production, si ce trait est correctement exploité !
Embryons jumeaux - Il s’agit d’une mutation qui ravit plus d’un cultivateur : la polyembryonie. Agréable surprise, elle révèle deux germes contenus dans une seule graine. Chaque individu disposant donc de sa propre racine, il est ainsi possible de les séparer lors des premiers jours de leur vie. Une de ces deux plantes sera une réplique exacte de la mère, c’est l’occasion rêvée de bouturer ! À noter qu’il est également possible d’obtenir des triplés, même si ce type de mutation est encore bien plus rare !
Le cannabis “tentaculaire” - Les “creeper”, aussi qualifiés de cannabis dit “rampant” ou “tentaculaire”, sont des individus provenant d’une mutation les poussant à privilégier la production de branches latérales, au point de toucher le sol. Certaines de ces plantes iront alors jusqu’à développer de nouvelles racines à ces points de contact ! Ce type de mutation rare existant principalement dans des régions tropicales, ses individus favorisent évidemment une humidité importante, ce qui pourrait expliquer en partie ces capacités surprenantes.
Le cannabis “filamenteux” ou aussi dit “fibreux” - Certaines génétiques équatoriales, originaires d'Amérique du Sud, d’Asie du sud-est ou bien d’Afrique produisent des fleurs dites “filamenteuses”. Ces plantes vont développer des calices sur la longueur des branches plutôt que de former des fleurs compactes. Cela résulte alors à l’apparition de têtes complètement déstructurées, avec des bractées (partie florale à la base de la fleur) poussant bout à bout (exactement comme la Dr Grinspoon). Initialement considéré comme étant une adaptation aux climats humides, ce trait est également présent chez des landraces ne se développant pas dans des régions tropicales, comme c’est le cas de certains phénotypes de Beldia de Chefchaouen, pourtant originaire du Rif Marocain.
Des mutations foliaires incroyables
Les mutations foliaires sont très diverses. Avant de rentrer dans le détail de celles-ci, en voici une assez classique et intervenant naturellement sur une beldia marocaine (cf. Photo 1.1).
Bud foliaire - Un trait surprenant : une fleur se développe au milieu de la base de la feuille, juste à l'extrémité du pétiole. Il s’agit de développement de calice ou de fleur pouvant même porter semence dans certains cas. Cependant, cette anomalie génétique représente tout de même un très faible intérêt concernant la production, produisant des calices ou mini buds de taille moins importante.
Dentelure marquée - Toujours naturelle, cette mutation marquant les feuilles d’une dentelure plus importante, parfois aussi qualifiée de “serrated” (feuilles crantées), intervient naturellement sur certaines ruderalis Sibériennes (cf. Photo 1.2).
Ducksfoot - La Ducksfoot, aussi appelée “Webbed leaf” est une variété landrace indica issue d’Australie. Génétiquement pure, elle produit des feuilles dites “palmées”, ressemblant aux pattes de canards, d'où son appellation. Sa forme originale a pu permettre la création de nouvelles génétiques plus discrètes avec des formes foliaires très particulières (cf. Photo 1.3).
ABC - L’Australian Bastard Cannabis, aussi appelée ABC, Cannabis Australis ou Mongy weed, est une variété peu connue originaire d’Australie. Ses origines sont tout aussi énigmatiques que son feuillage. Plusieurs versions existent quant à l’origine de cette génétique, mais elles se contredisent entre elles. Certains affirment que l’ABC serait le résultat de croisements avec des souches Sativa importées par des botanistes Anglais, d’autres qu’elle serait arrivée avec des éleveurs de dromadaires arabes dans les années 1800. La dernière théorie, (pas forcément la plus crédible) serait qu’il s’agit d’une landrace Australienne, génétiquement isolée lors de la séparation des continents. C’est un fait compliqué à vérifier, car les premières traces de pollens de cannabis fossilisé font remonter son origine à 28 millions d’années. Alors : ancêtre, lointain parent, ou hybride mystérieux ? Une étude récente entreprise par Medical Genomics appuie cette dernière thèse, suggérant de nombreuses disparités dans le profil génétique de l’ABC vis à vis des variétés modernes.
Jusqu’à présent assez compliquées à trouver pour le cultivateur moyen, les graines d’ABC, ses descendantes (“subterfuge”, (cf. Photo 1.4)) ainsi que ses hybrides sont à présent commercialisés au grand public. Elles ne sont cependant pas recommandées comme culture unique, étant donné qu’elle requiert un minimum d’hybridation afin de produire un produit de qualité portant également le trait de cette mutation si originale.
Freakshow, le Cannabis Lusus Monstra - Parmi les mutations travaillées par l’homme, on retrouve notamment cette nouvelle lignée appelée Freakshow. Elle est issue d’un cross (Big Bud x Skunk#1) x (Big Sur Holy Weed x Banana Kush), réalisé par le breeder Shapeshifter. Un long travail de stabilisation fut nécessaire pour verrouiller ces traits uniques. Cette lignée à dominante Sativa a ainsi permis la création de ces feuilles pour le moins originales, qualifiées parfois de feuilles “fougères”. Derrière l’intérêt esthétique se cache également l’avantage de la discrétion. La plante ne ressemblant pas vraiment au schéma classique d’une feuille de cannabis, elle trouvera facilement sa place sur un balcon aromatique, ni vu ni connu
Dizzy vine, le cannabis “liane” - Au risque de surprendre certains d’entre vous, le cannabis entretient une très proche parenté avec une autre plante que nombreux d’entre nous adulent également : le houblon. C’est tout de même une surprise de révéler les traits communs à ces deux plantes. La “Dizzy Vine” des Spice Brothers reflète cette proximité, en développant des lianes similaires à la vigne. Nous ne nous étendons pas plus sur ce sujet, les informations étant extrêmement limitées, de par la rareté des cas, intervenant apparemment sur des phénotypes d’ABC. Alors, hoax ou pas ? Jusqu’à présent, un seul cas a été photographié et référencé.
Des couleurs saisissantes
Les mutations peuvent participer à la production de couleurs peu communes : Fleurs rouges, troncs ou tiges violets, stigmates roses, ou même trichomes pourpres, chaque partie peut être affectée d’une manière complètement différente. Certains terroirs semblent même plus propices au développement chromatique que d’autres. Comme exemple, la Wailing Valley, perdue en Himalaya, reflète parfaitement cette tendance : pistils roses, fleurs rouges, feuilles pourpres voire même noires, … Ces plantes développent ces évolutions de couleurs pour des raisons qui leurs sont propres : résistance au froid ou au soleil, attraction de pollinisateurs, endozoochorie (dispersion des graines via l’intermédiaire d’animaux) (cf. Photo 2.1 et 2.2).
La variégation, trait plus commun mais compliqué à stabiliser - La variégation est l'incapacité d’une plante à réaliser la photosynthèse sur certaines feuilles. Naturellement présente dans le monde végétal, elle peut également être recherchée et travaillée par certains breeders. Le gros problème ? La stabilisation de ce type de gène : il s’agit d’allèles récessifs, et par conséquent plus compliqués à stabiliser. Néanmoins, cela pourrait tout de même représenter un intérêt pour son esthétisme ou à des fins de culture camouflée. C’est exactement cette recherche qui a été réalisée sur la Pueblo Picasso, produisant des feuilles bicolores. Ici, le trait a bien été stabilisé, sa descendance produisant également cette variégation très reconnaissable (cf. Photo 2.3).
Le cannabis albinos - L’albinisme représente l’incapacité d’une plante à réaliser la photosynthèse. Elle entraîne systématiquement la mort rapide des plus jeunes pousses, celles-ci épuisant leurs réserves jusqu’à en mourir (cf. Photo 2.4). Représentant un cas extrêmement particulier, stabiliser l’albinisme paraît donc improbable.
Les mutants sont donc bien plus présents qu’il n’y paraît dans l’univers du cannabis et de la botanique au sens large. Extrêmement diversifiées, ces mutations permettent parfois la création de nouveaux phénotypes, voire même de nouveaux génotypes. Cette diversité est même tellement large qu’il serait bien impossible de tout référencer en un article, mais vous pouvez consulter le livre de Robert C. Clarke, Cannabis Evolution and Ethnobotany, pour en apprendre plus sur le sujet. Une chose est sûre, la mutation originale dont vous êtes aujourd’hui les témoins dans vos propres jardins sera peut-être une nouvelle variété de demain. Car c’est avant tout cela le premier avantage de ces nouvelles mutations : l’évolution permanente des espèces, la disparition de certaines, ainsi que la création de nouvelles.
Remerciements à Al de Khalifa Genetics, Cristalin d’Underground Seeds, FygTree, Trident Seeds, Delicaseeds et Slymer2078 pour leur précieuse aide à l’élaboration de cet article.