Étienne Fontán: vétéran de la guerre di Golfe et activiste cannabique globale

Fabrizio Dentini
21 Sep 2025

Étienne Fontán est vétéran de la guerre du Golfe et, depuis 26 ans, possède et gère le Berkley Patients Group, l'un des plus anciens dispensaires de cannabis d'Amérique du Nord et le plus ancien des États-Unis.


Au cours de sa vie, il a sillonné 47 États américains pour organiser des rassemblements et des ateliers de sensibilisation sur le sujet du cannabis. Aux côtés d'autres anciens soldats, il a combattu le gouvernement américain et il a fait pression pour que la Veteran Administration modifie sa politique concernant le cannabis médical. Aujourd'hui, dans le cadre de notre voyage pour le centenaire de la prohibition, nous avons l'honneur d'accueillir les propos de ce militant historique, en contact avec les figures les plus connues du mouvement américain, pour comprendre la dynamique prohibitionniste et comment la désamorcer à l’échelle mondiale.

Quels problèmes de santé avez-vous développés suite à votre expérience de soldat pendant la guerre du Golfe ?

Je souffre de douleurs chroniques et du “Syndrome de la guerre du Golfe”, dû à une exposition aux armes nucléaires, biologiques et chimiques. Pendant la guerre, étant gravement blessé dans un environnement très pollué, mes blessures se sont infectées, ce qui m’a rendu très malade et affaibli (je pesais à peine 40 kg !).

Quels problèmes un soldat rencontre-t-il lors de son retour à la vie civile ?

Mon histoire d’ancien combattant débute le jour où l’on m’a appelé pour aller au combat : j'ai eu le droit à 72 heures pour dire au revoir à mes amis d'université, pour rédiger mon testament et dire au revoir à ma famille. Au bout de ces trois jours, je suis parti à l'entraînement, puis directement au combat. A mon départ, les amis me répétaient : « S'il te plaît, reviens en un seul morceau. » À mon retour, la question qu’on m’a le plus posée était : « As-tu tué quelqu'un ? ». En tant que combattant, il est difficile de répondre à cette question tous les jours. La première année après le retour a été très difficile. Je ne dormais pas bien la nuit, je somnolais toute la journée, je n’arrivais pas à sortir du lit, l’envie pour faire des choses me manquait. Je consommais beaucoup d'alcool (j’étais capable de boire une bouteille entière de Jack Daniels en une seule nuit !). Je souffrais de stress post-traumatique dû au combat : j’avais peur de sortir, d’être attaqué ou de me retrouver au milieu d’une explosion.

Comment avez-vous vécu la découverte du cannabis, et comment vous a-t-il aidé ?

J’avais déjà découvert l’usage thérapeuthique du cannabis médical lors de ma réhabilitation d’une blessure de guerre qui m’avait obligé à rentrer soudainement d’Allemagne.  Ensuite, pendant l’année suivant mon retour de la guerre, et dans ce contexte sombre et angoissant qu’est le retour de combat, le cannabis est arrivé comme une vraie bouée de sauvetage, me permettant d'arrêter l'alcool, stimulant mon appétit et diminuant mes angoisses. J'ai donc déménagé en Californie, où j'ai eu accès à du cannabis de haute qualité, riche en terpènes. J’ai alors compris ce que le cannabis médical signifiait pour moi : il m'a aidé à vivre ma vie, à me reprendre en main, à retrouver confiance et à affronter le monde au lieu de rester un soldat caché chez moi.

Et que se passe-t-il lorsque vous vous adressez aux institutions ?

Dans les années 90, lorsque je suis allé signaler ma consommation de marijuana à l'Administration des anciens combattants, ils ont appelé rapidement la sécurité, ont demandé mon arrestation et mon expulsion comme criminel, prétextant que j'avais volontairement choisi de consommer des drogues non prescrites. Mon ami Michael Krawitz [Ndr voire edition 3-25] et d'autres personnes ont ensuite contribué à modifier la politique de l'Administration de la santé des anciens combattants, afin de nous permettre de discuter avec nos médecins. J'ai finalement obtenu l’autorisation médicale il y a quelques années, après 32 ans de thérapie par le cannabis.

Alors, maintenant, l'Administration des anciens combattants prend en charge le coût de votre thérapie ?

Non, ils ne prennent pas en charge le coût, ils me laissent simplement en parler, mais je dois payer moi-même la thérapie. Nous travaillons pour obtenir ce que les Canadiens reçoivent : c’est-à-dire, que pour les anciens combattants invalides à 100 % comme moi, l’accès à trois grammes de cannabis, quelle que soit la modalité, envoyés par la poste au domicile. Si j'étais Canadien, je commanderais sur l'application de la pharmacie nationale et je pourrais commander, par exemple, un gramme de haschich, un gramme de produit comestible et un gramme de produit topique. Je commanderais le tout et, dans les 48 heures, la livraison arriverait gratuitement à ma porte.

Je suppose que tant que ce produit sera toujours classé comme une drogue fédérale, ce ne sera pas facile…

C'est exactement là le problème, car, tant que ce n'est pas légal au niveau fédéral, nous devons nous conformer au 10ème amendement [Ndr. Les pouvoirs non délégués aux États-Unis par la Constitution, ni interdits par elle aux États, sont réservés à ces derniers, ou au peuple]. Nous essayons donc d'obtenir ce qu'on appelle un bon, une sorte de chèque en blanc du gouvernement à dépenser dans le dispensaire de référence si vous êtes dans un État où le cannabis est légalement accessible.

Le lobbying rime-t-il donc avec l'éducation de ses interlocuteurs? Même au niveau international ?

C’est ce que nous essayons de faire actuellement, éduquer à l’utilisation du cannabis et ses effets thérapeutiques. Parallèlement à cette action de terrain, nos efforts au niveau international sont d’un autre ordre, c’est un vrai un travail d’équipe : 26 personnes de 13 pays différents représentant l'Ambassade du Cannabis viennent de se rendre à l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour porter la voix de cette lutte (et je suis un des ambassadeurs !).

Étienne Fontán (à gauche), ancien combattant de la guerre du Golfe et défenseur du cannabis, avec d'autres militants

2025 est un triste anniversaire. Cela fait 100 ans que la prohibition est devenue une interdiction sur le plan international. Qu'en pensez-vous ?

C'est honteux et triste qu'après 100 ans, la logique n'ait toujours pas prévalu. Il est frustrant de constater que le traité n'a jamais été ratifié en bonne et due forme, que le cannabis n'y a pas été correctement intégré, que l'Afrique du Sud et l'Égypte ont eu recours à des politiques racistes pour profondément impacter cette plante. Ayant passé les 30 dernières années de ma vie à lutter pour la liberté dans mon pays, je trouve enrichissant de travailler avec d'autres militants du monde entier pour faire changer les choses et éviter que nous ayons à souffrir encore cent ans. Lorsque j'étais aux Nations Unies, trois personnes ont été exécutées à Singapour, non pas pour avoir touché la plante, mais simplement pour en avoir parlé. Elles ont été exécutées. Je ne peux donc pas, en toute conscience, rester les bras croisés et ne rien faire. C'est pourquoi nous œuvrons au niveau international pour atteindre l'objectif de 2030 : légaliser le cannabis dans le monde entier afin que plus personne ne soit exécuté à cause du cannabis.

En quoi consiste concrètement votre travail de lobbying aux Nations Unies ?

Notre groupe a pris la parole pour sensibiliser le public sur le centenaire de la prohibition. En cette année 2025, parallèlement à notre discours au sein de l’ONU, mais toujours dans le cadre de notre voyage de représentation, nous avons organisé un événement pour sensibiliser les dirigeants mondiaux à l’évolution des lois sur les drogues, afin de les inciter à modifier les législations actuelles. Notre stand informatif tenu suite au discours a aussi permis des échanges informels avec des dirigeants mondiaux, qui se sont souvent montrés curieux envers la thématique. Il est essentiel de prioriser le dialogue avec les représentants politiques dans le sujet du cannabis car, de la même manière que nous, militants, dans les années 90, les dirigeants ont besoin d’échanges de parole pour faire tomber des aprioris.

Selon vous, quelles sont les principales étapes à suivre pour combattre la prohibition ?

Il nous faut 100 ans de vérité pour combattre 100 ans de mensonges. La science nous soutient désormais grâce au système endocannabinoïde, au chanvre, au papier de chanvre, au béton de chanvre, au plastique de chanvre… Ce sont des produits accessibles à tout le monde. Il ne s’agit pas seulement de paroles, d’idéologies : notre lutte est pour rendre visible une vérité. Notre travail passe par l’éducation des représentants politiques, ce qui n’a pas été fait pendant très longtemps (sûrement volontairement).

Si l'on considère que,  jusqu'à il y a seulement 100 ans, le cannabis était libre d’usage, quels sentiments et réflexions cela suscite-t-il chez vous ?

Je voudrais revenir à cette liberté. Aux États-Unis, et notamment dans le contexte du 10ème amendement, nous militons en faveur de la culture à domicile, afin que cette liberté perdue paraisse plus proche. Nous souhaitons que tout individu puisse cultiver son propre cannabis, qu’il ait accès à des graines : pour cela, il faut des instituts de plasma germinatif sur chaque continent, afin d’avoir accès à des génétiques propres et sûres, ainsi qu'aux anciennes génétiques perdues, comme l'Acapulco Gold et les anciennes variétés équatoriales. Nous devons ressusciter ces variétés, car nous savons que le marché n'atteint pas leur qualité. Nous voulons donc pouvoir cultiver notre propre cannabis et en produire nous-mêmes. Je pense que c'est quelque chose que nous avons trouvé très bénéfique en tant que patients : nous avons ce qu'on appelle la silvo-thérapie, qui consiste à aider une plante à pousser pendant que vous traversez une période très difficile, ce qui est très utile pour l'âme, le corps et l'esprit ; cela vous aide à guérir.

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Fabrizio Dentini