L'Ambassade du Cannabis : micro à l'Afrique du Sud

Fabrizio Dentini
17 Sep 2025

En 2025, nous sommes entrés dans le centenaire de la naissance de l’interdiction mondiale du cannabis. Pour sensibiliser notre communauté aux conséquences de cet anniversaire désastreux pour les habitants de la terre, dans la première édition de l'année, nous avons commencé à raconter le travail de l'Ambassade du Cannabis pour restaurer cette plante au sein des sociétés contemporaines.


Aujourd’hui, nous vous apportons les propos de Myrtile Clark, activiste d’Afrique du Sud, membre de l’Ambassade du Cannabis et fondatrice de l'Association “Field of Green for ALL” avec le but de contribuer à un monde où les lois et les réglementations sont fondées sur des preuves et où les droits de l'homme sont au cœur de la politique sur le cannabis.

Bonjour chère Myrtile, comment vous êtes devenue militante pour la liberté du cannabis ?

Tout a commencé en 2010, lorsque mon partenaire et moi avons été perquisitionnés par la police. Ils ont trouvé chez nous 1,8 kilo de cannabis. Nous avons été accusés de possession et de trafic et nous avons été arrêtés. Comme le cannabis dans notre pays s'appelle DAGGA, les médias nationaux ont commencé à nous appeller la couple DAGGA.

Comment avez-vous réagi à cette intrusion ?

Nous avions le choix entre trois chemins. Accepter de salir notre casier judiciaire, avec les conséquences que l'on peut craindre au niveau professionnel et surtout en risquant une peine de prison de 7 à 10 ans. Nous pourrions soudoyer la police, ce qui est très courant dans ce pays et, certainement, l’option la moins chère. Finalement, profitant de notre situation économique stable, grâce à nos deux emplois, nous avons pu choisir de combattre la loi.

Comment avez-vous réussi à renverser la perspective et à passer de votre procès à celui contre le gouvernement ?

Depuis 1994, l’Afrique du Sud est une démocratie constitutionnelle et nous avons une « Constitution de classe mondiale » : une Charte des droits fondamentaux très solide née après l’apartheid. Grâce à cela, nous avons pu dénoncer le gouvernement pour avoir mis en œuvre des lois illégales selon la Constitution.  Notre procès a été suspendu par la Cour constitutionnelle et nous avons donc décidé d’attaquer le gouvernement devant la Cour suprême. Nous avons suivi une demande de la Cour appelée « suspendre une poursuite pénale » : cette demande suspend les accusations en cours jusqu’à ce que la dimension constitutionnelle soulevée soit résolue et, éventuellement, la Cour oblige le Gouvernement à modifier la loi conformément à la Charte constitutionnelle. En juin 2011, nous avons vu nos charges suspendues et cela nous a permis, en 2018, après avoir fait appel, de former un groupe d'avocats agressifs et de lancer une campagne de financement participatif, pour poursuivre le Gouvernement.

De 2011 à 2018, comment avez-vous travaillé votre défense ?

Au fil des années, nous avons aidé des milliers de concitoyens accusés d’infractions liées au cannabis à suivre notre même chemin. Car si la loi est la même pour tous, si mon mari et moi avons réussi à faire suspendre nos charges, le chemin aurait pu être suivi aussi par d'autres personnes avec les mêmes charges et une situation financière adéquate. Actuellement, outre mon cas, il y a au moins une centaine d'autres cas similaires et eux aussi ont obtenu la suspension des poursuites. À ce jour, mon dossier est suspendu et, depuis 2010, je suis en liberté sous caution.

Pouvez-vous nous expliquer comment et quand avez-vous rejoint l’ambassade du cannabis ?

Dès le début de notre travail de plaidoyer, nous savions qu’il serait important de ne pas nous concentrer uniquement sur les problèmes locaux, mais aussi d’établir une présence sur le continent africain et à l’international. Mon défunt partenaire Julian et moi-même avons assisté à notre premier grand événement international en 2016 à l’UNGASS à New York. Nous y avons rencontré certains des ambassadeurs actuels de l’ambassade du cannabis, bien que l’organisation n’ait été officiellement constituée qu’en 2024. Depuis, un groupe de militants dévoués au cannabis se réunit chaque année au mois de mars à la Commission des stupéfiants à Vienne.

l’Ambassade du Cannabis et fondatrice de l'Association “Field of Green for ALL”Team

2025 marque le centenaire de la naissance de la prohibition mondiale du cannabis. Dans quels domaines cette politique a-t-elle causé le plus de dégâts?

Nous disons toujours que la prohibition du cannabis est bien plus néfaste que les méfaits perçus de la plante elle-même. Au cours des 100 dernières années, des millions de personnes ont été persécutées, privées de leurs droits, enfermées dans des cages pendant de nombreuses années et même exécutées pour avoir consommé, cultivé et vendu cette plante. La prohibition a été promulguée dans le monde entier au milieu de la « guerre contre la drogue » (menée par les États-Unis) et la persécution qui en a résulté n’a jamais été fondée sur la science ou sur aucune preuve des méfaits du cannabis. Pendant la prohibition, de nombreuses communautés autochtones qui utilisaient cette plante depuis des siècles ont perdu la trace de leurs connaissances traditionnelles et leurs variétés uniques de la plante ont été gravement menacées par la biopiraterie, car les breeders parcouraient le monde pour collecter des souches sans aucune compensation pour les communautés concernées. À ce jour, Bahreïn, Brunei Darussalam, l'Iran, la République de Corée, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, le Qatar, Singapour, le Soudan, Taiwan et des États des États-Unis ont des lois qui autorisent la peine de mort pour le cannabis. La persécution des communautés non violentes du cannabis et la perte de leurs ressources génétiques et de leurs connaissances traditionnelles restent les effets les plus néfastes de la prohibition du cannabis.

À la lumière de votre expérience, quels aspects de la prohibition et de ses conséquences néfastes vous ont le plus frappé ?

Comme je disais, mon partenaire et moi avons été arrêtés à notre domicile en 2010 et accusés de « possession et trafic de dagga » (terme vernaculaire sud-africain pour le cannabis). Nous risquions une peine de 7 à 10 ans d’emprisonnement et nous avons décidé de contester les lois. Le manque de preuves crédibles des méfaits du cannabis qui sous-tendent les lois du monde entier est à l’origine du mécontentement de nos communautés et motive notre activisme. Lorsque nous avons contesté les lois, il appartenait à notre gouvernement de présenter ses raisons pour l’interdiction, mais, jusqu’à présent, nous n’avons eu droit qu’à des jugements moraux et à un processus long et frustrant de réforme législative. Aucun pays au monde n’a jamais réformé ses lois sur le cannabis à la lumière de preuves scientifiques. C’est toujours le potentiel économique des utilisations industrielles et médicinales de la plante qui a motivé la réforme, par opposition au sort des citoyens et à leur consommation de cannabis. En Afrique, nous voyons cela se produire, où les pays discutent de la délivrance de licences pour les médicaments et le chanvre, mais continuent d’arrêter leurs citoyens dans la rue, ce qui constitue une tragédie des droits de l’homme.

Pourquoi la fin de la prohibition représenterait-elle une avancée pour le respect des droits de l’homme ?

Les lois sont promulguées afin de protéger les droits des citoyens et comme protection contre divers préjudices. Au niveau international, nous voyons la réforme de la loi sur le cannabis adoptée dans l’intérêt de l’économie au-dessus des droits de l’homme. La fin de la prohibition serait une victoire pour notre droit à la liberté cognitive. Cela fait référence au droit fondamental d’un individu à avoir une autonomie sur ses propres pensées et processus mentaux, ce qui signifie essentiellement la liberté de contrôler ce qui se trouve dans son esprit sans interférence extérieure, en particulier en ce qui concerne les drogues et les technologies émergentes qui pourraient manipuler l’activité cérébrale. Il est souvent décrit comme le « droit de penser par soi-même » et comprend le droit de choisir comment accéder et utiliser les drogues et les technologies améliorant les fonctions cognitives sans coercition. Vous pourriez utiliser cette citation de Paul-Michael Keichel (Directeur de l’équipe juridique de Fields of Green for ALL): « L’humanité a le droit fondamental à la liberté cognitive. C’est, en substance, le droit de consommer des substances afin de changer d’avis comme on le souhaite, sans interférence de l’État ou de qui que ce soit d’autre. À condition de ne pas nuire aux autres ou de ne pas se faire de mal au point de représenter une charge inacceptable pour les ressources de l’État. »

Au niveau mondial, comment évaluez-vous la cause du cannabis ?

Dans le monde « développé », principalement composé de pays de l’hémisphère nord, nous avons assisté à une libéralisation des lois sur le cannabis avec un succès variable dans sa mise en œuvre. Il existe deux façons d’aborder le problème de la prohibition : en changeant les lois (en intentant des poursuites) et en changeant les « cœurs et les esprits » grâce à un partage continu des connaissances et à des programmes de sensibilisation/éducation. L’Ambassade du Cannabis est parfaitement placée pour aider les organisations de base sur ces deux aspects, mais elle reste limitée par des problèmes de ressources. Alors que de nombreuses entreprises (en particulier l’industrie pharmaceutique) bénéficient de la libéralisation des lois sur le cannabis, les utilisateurs, les cultivateurs et les commerçants de cette plante, principalement dans les pays « en développement », en particulier dans l’hémisphère sud, sont laissés pour compte. Nous avons un long chemin à parcourir et nous continuerons à souligner qu’il ne devrait y avoir « rien sur nous sans nous ».

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Fabrizio Dentini