L'Ambassade du Cannabis face au centenaire de la prohibition

Fabrizio Dentini
15 Sep 2025

L’Ambassade du Cannabis (nom officiel : « Legatio Cannabis — 大麻大使馆 — سفارة القنب ») est une plateforme mondiale non-lucrative de lobby citoyen en défense des droits des personnes liées au cannabis, notamment usagers et cultivateurs. Aujourd'hui, à l'aube de 2025 et face au centenaire de la naissance du prohibitionnisme, nous parlons de son travail avec une vieille et estimée connaissance de notre journal : l'activiste et chercheur Kenzi Riboulet-Zemouli.


Comment et avec quel but est née l'Ambassade du Cannabis ?

Remontant à 1998 (lorsque le premier militant cannabique se rendit au « sommet mondial anti-drogues » de l’ONU le plus répressif de l’histoire) et, officiellement proclamée en mars 2024, l’Ambassade du Cannabis se présente comme un « État indépendant, sans territoire », visant à promouvoir, protéger et garantir les droits et la dignité des personnes usagères ou cultivatrices de cannabis, systématiquement stigmatisées, marginalisées et criminalisées par leurs gouvernements. C’est à cause de cette répression, qui a nié les droits fondamentaux de ces personnes pendant un siècle, que l’Ambassade du Cannabis s’est constituée comme un État indépendant sans territoire (un statut existant en droit international). 

Non seulement l’administration d’aucun pays n’aurait accepté d’enregistrer l’Ambassade du Cannabis en tant qu’ONG, mais en plus, le statut d’État indépendant permet à l’Ambassade de remplir, pour toutes les personnes cannabiques, le vide en termes de droits humains laissé vacant par leurs États. L’Ambassade du Cannabis vise donc à offrir un complément de citoyenneté, pour que chaque personne discriminée par son État pour cause de cannabis puisse faire valoir ses droits et recouvrer sa pleine dignité. En pratique, l’Ambassade est organisée en un Ministère des Affaires Internes (animant un réseau de membres, avec diffusion d’information et renforcement des compétences) et un Ministère des Affaires Externes (articulant les actions militantes et la recherche, essentiellement aux Nations Unies, d’où émanent les traités de prohibition mais aussi sur les droits humains).

L’année 2025 marque le centenaire de la naissance de la prohibition mondiale du cannabis. Dans quels domaines cette politique globale a-t-elle causé le plus de dégâts ?

La prohibition mondiale du cannabis, initiée en 1925 avec l’ajout du « chanvre indien » dans la Convention sur l’Opium, à la demande de l’Égypte et l’Afrique du Sud, a causé des ravages inégalés dans une multitude de domaines. Avant tout, c’est grâce au détournement de la science et à la mauvaise foi politicienne, baignée de racisme et de préjugés coloniaux sans fondements, que cette politique a vu le jour. Et malheureusement, en un siècle, la prohibition du cannabis a été un vecteur majeur de diffusion du racisme et du (néo)colonialisme. 

En termes de dégâts directs, les violations des droits humains (à la santé, vie privée, libertés religieuses, droits environnementaux…) sont particulièrement notables. D’un point de vue environnemental également, la répression a entraîné des dégradations écologiques en poussant à la culture indoor, en faisant la chasse aux land races traditionnelles mieux adaptées aux écosystèmes, en remplaçant les usages industriels du cannabis par des alternatives synthétiques, et même parfois en éradiquant les cultures de cannabis avec du glyphosate ou d’autres herbicides dévastateurs. De plus, l’impact économique a été significatif, favorisant un marché illicite hyper-hiérarchisé, aux profits concentrés entre peu de mains, et défiscalisés… tout en fomentant l’une des machines à corrompre l’État et à déstabiliser le tissu social des plus puissantes de l’histoire humaine. La liste est longue.

Au niveau mondial, comment évaluez-vous la cause de la liberté du cannabis ?

Depuis le début de nos activités en 1998, la cause de la liberté du cannabis et des personnes associées à cette plante a gagné énormément de terrain. Grâce au développement de la recherche scientifique (indépendante des financements et intérêts étatiques), des mouvements sociaux et de l’activisme, il y a eu une prise de conscience accrue des bienfaits du cannabis et une certaine reconnaissance des échecs de la prohibition (bien qu’encore trop limitée). Cependant, les perceptions ont essentiellement évolué surtout dans les domaines des usages médicaux et des avantages économiques. 

La liberté de se soigner en utilisant du cannabis, et la liberté d’entreprendre en lien avec cette plante, se sont énormément normalisées. Pourtant, il reste du travail à accomplir pour faire réaliser que le cannabis implique aussi d’autres libertés : dans le champ des usages adultes et de la liberté de disposer de son corps, mais aussi dans le domaine des droits et libertés culturelles, en particulier des cultivateurs de cannabis dans les zones traditionnelles, souvent membres de peuples autochtones. En 2025, pour le « Centenaire de la Prohibition du Cannabis-Année Mondiale de l’Histoire Cannabique » nous appelons la planète à un sursaut, pour se réveiller de ce cauchemar et travailler, pendant le siècle à venir, non seulement à démanteler ce qui reste de prohibition, mais aussi à s’attaquer aux réparations et compensations des dégâts causés.

2025.cannabisembassy.org

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Fabrizio Dentini