CBD molécule vedette : entre protection des consommateurs et progression du marché

Olivier F
02 Nov 2022

Paul Maclean a étudié 5 ans à la faculté de droit de Nice Sophia-Antipolis, où, en 2015, il a obtenu un Master 2 Juriste d'affaires. Après du temps passé dans le milieu bancaire, c’est en 2020 qu’il devient conseiller juridique pour un groupe français actif dans la commercialisation de produits CBD à 360 degrés. Aujourd'hui, puisque ce cannabinoïde (psychoactif mais pas psychotrope) a éveillé l'attention d'un grand public curieux de ses vertus, nous avons demandé à ce spécialiste de nous éclaircir sur les points les plus intéressants d’un marché qui se développe grâce à la dichotomie législative entre États membres et l'Union européenne.


Par Fabrizio Dentini

SSFR : La molécule CBD est devenue une star dans ce pays. Pourtant, la situation réglementaire qui vise à l’encadrer est prolifique en malentendus. Quels sont les principaux ?

Les principaux malentendus concernent le taux de THC de 0,3 % ou encore le statut de produits alimentaires contenant différentes formes de la molécule de CBD.  Concernant le taux de 0,3 % de THC, l’arrêt du 30 décembre 2021, [qui interdit la vente des fleurs du CBD] nous fournit dans son annexe la méthodologie permettant de déterminer la légalité des fleurs autorisées à la commercialisation. Cette annexe nous indique que la détermination du taux de THC dans les plantes se fait dans les champs, sur un nombre d’échantillons de 50 à 200, à partir de 10 jours après le début de la floraison. Cet arrêt ne donne en aucun cas une méthodologie applicable à un échantillon saisi lors d’un contrôle, par conséquent toutes ces interpellations, sont dépourvues de fondement juridique. Ensuite, concernant les produits alimentaires, l’incompréhension est totale. Certains pensent que le CBD va être classé comme « Novel Food », alors que c’est en réalité déjà le cas.

Que voulez-vous dire ?

Il est peut-être utile de définir ce qu'est le « Novel Food » et à quoi il sert, puisque cela porte à confusion. Cette classification s'applique à tous produits alimentaires qui n'étaient pas consommés régulièrement sur le territoire européen avant 1997 (date de création du règlement). Le but étant de protéger les consommateurs de produits sur lesquels nous n'avons pas un recul suffisant. Le CBD, comme molécule, est un « Novel Food », donc nécessitant une autorisation de l'EFSA [ European Food Safety Authority ] pour être mis sur le marché européen. Par contre, le Cannabis Sativa L. n'est pas un « Novel Food » et ainsi, si l'on utilise du cannabis à faible de teneur en THC comme ingrédient, on ne tombe pas sous la règlementation « Novel Food ». En conséquence, pas d'autorisation nécessaire. C'est un peu contradictoire, mais c'est le procédé d'extraction ainsi que la concentration possible après extraction qui pose un problème.

Quel problème se pose au niveau de l'extraction ?
L’isolat ou les extraits de CBD sont déjà classés comme « Novel Food ».  L’isolat étant la forme de la molécule extraite et cristallisée avec un niveau de pureté pouvant aller jusqu’à 90 %. Le problème étant que, même si certains produisent de l’isolat d’une grande pureté à base d’un procédé au CO₂ supercritique, les 10 % restant (dans le meilleur des cas), sont souvent des restes de produits chimiques utilisés lors de l’extraction. Certains producteurs optent pour une solution moins couteuse à base d’éthanol qui, pour conséquence, va laisser des traces d’éthanol dans un produit comestible. Heureusement, certains producteurs proposent des produits comestibles au CBD fabriqué directement à partir de la fleur et donc, pour être précis, on devrait parler de produit comestible à base de cannabis à faible teneur en THC. Je répète, le cannabis n’étant pas classé comme « Novel Food » ces produits ne nécessitent pas d’autorisation préalable à la mise sur le marché.

Revenons à l’arrêté du 30 décembre 2021, quelle cohérence trouvez-vous à sa base ? Pourquoi autoriser les extraits et interdire les fleurs dont ces extraits sont issus ?

Justement, aucune cohérence n'existe, pour reprendre les mots de l’un des avocats intervenant lors du recours contre cet arrêté, « on veut autoriser le jus de pomme et interdire la pomme ».

Comment une chaîne d'approvisionnement saine peut-elle se développer si l'épée de Damoclès représentée par la suspension de cet arrêté pèse sur la planification des entrepreneurs ?

Cette question soulève en réalité deux points, le développement d’une chaine d’approvisionnement d’une part et le caractère sain de celle-ci d’autre part. En effet, à cause de l’insécurité juridique il est ardu de trouver des investisseurs. Néanmoins, le danger réel provient de l’absence de règlementation des produits du « CBD ». L’entêtement dogmatique du gouvernement à interdire purement et simplement la fleur de CBD a pour conséquence le développement des pratiques nuisibles à toute la filière. À titre d’exemple, la fleur traitée à l’éthanol, le rajout de terpène artificiel, la présence de pesticides et de métaux lourds dans une grande partie des fleurs présentes sur le marché.

Selon vous, les actions futures de l'administration tiendront-elles compte du droit européen ou persisteront-elles à interdire les fleurs ?
Malheureusement, cela semble peu probable et la route s’annonce encore longue. On espérait qu’après l’arrêt « Kanavape », pourtant clair, le gouvernement change sa position dogmatique. Cette position renforcée encore par la Cour de cassation le 23 juin 2021 : « Les articles 34 et 36 TFUE [Traité de fonctionnement de l'union européenne] s’opposent à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du CBD légalement produit dans un autre État membre ».

Malgré les paradoxes de la loi, la filière française a fait preuve d'une certaine maturité en ce qui concerne la valorisation du CBD au-delà des inflorescences. Lors des salons professionnels du printemps dernier, nous avons vu des entreprises qui peuvent fournir des produits cosmétiques, des liquides pour vapoter et des comestibles. À la lumière de ces développements, pensez-vous que le consommateur soit protégé par le cadre réglementaire actuel ?

Non, c’est bien le problème. Reprenons l’exemple des produits alimentaires : la plupart son fabriqué à base d’isolat, un ingrédient classé comme « Novel Food» depuis 2019. La mise sur le marché de produits contenant cet ingrédient est donc soumise à l’autorisation accordée par l’EFSA organisme, que, à l'heure actuelle, n’a attribué aucune autorisation. Pourtant, les produits sont bien présents. Si le fabricant se permet d’ignorer la règlementation européenne, peut-on lui faire confiance et consommer son produit ? Bien sûr, on peut me rétorquer que des études sur la molécule de CBD n’ont indiqué aucun effet néfaste pour la santé. Mais, ici, nous parlons d’isolat ou d'extrait, la méthode d’extraction dans ce cas laisse potentiellement des traces de produit chimique et doit être encadré strictement dans l’intérêt de la santé des consommateurs. Un constat similaire peut être fait pour les produits de vapotage, très peu encadrées lorsque ceux-ci ne contiennent pas de nicotine. À l’heure actuelle, on ne peut pas parler de cadre règlementaire, mais plutôt d’absence de celle-ci.

Les variétés contenues dans le catalogue de l'UE et donc légales pour la culture, ont été sélectionnées pour mettre en valeur d'autres parties de la plante à usage textile et certainement pas la fleur. Comment comptez-vous accompagner les producteurs pour que le législateur actualise cette décision ?

Cette question est très compliquée. Notamment, car personne ne semble à même de présenter une procédure afin de faire inscrire une nouvelle variété au catalogue européen. En réalité, il y a bien une commission chargée de proposer des nouvelles variétés à l’inscription au catalogue. En revanche, il n’existe aucun moyen de la saisir ni de proposer directement une variété à l’inscription. Il va falloir soit proposer d’autoriser les variétés qui ne sont pas inscrites au catalogue, soit instaurer une procédure claire afin d’inscrire de nouvelles variétés. Aucune de ces deux solutions est vraiment satisfaisante. Le catalogue permet un contrôle des variétés et sert de garantie au consommateur. Cependant, la mise au point et la stabilisation d’une nouvelle génétique à proposer à l’inscription, même en cas de procédure facilitéé, va prendre de 2 à 4 ans.  

En République Tchèque, le taux de THC autorisé est de 1 %. Ce taux, étant valable dans un pays de l'UE, ne devrait-il pas automatiquement être valable dans tous ses pays ?

Cette limite est déjà reconnue en France par l’arrêt « Kanavape » donc la législation française ne peut pas s’opposer à la commercialisation d’une fleur à 1 % légalement produite en République tchèque. En revanche, la même fleur produite en France ne serait pas légale au vu de l’interprétation actuelle des forces de l’ordre. Pour le moment donc, contrairement aux idées reçues, aucun taux « partagé » n'existe au niveau européen. Chaque pays est libre de fixer le taux qu'il veut à ses producteurs. En France, par exemple, on astreint à un taux de 0,3 %, ce taux étant déterminé selon les modalités de l'annexe de l'arrêté du 30 décembre 2021. Par contre, comme mentionné précédemment, s'il est autorisé de faire du 1% dans un autre état de l'union, la France ne pourra pas s'opposer à la commercialisation de ces fleurs sur son territoire sauf à rapporter une preuve d'un danger pour la santé publique. Cette situation crée un état de concurrence déloyale entre les producteurs français et les producteurs issus de pays avec un taux autorisé supérieur.

En cas de confiscation des inflorescences, puisque la loi prévoit des analyses pour déterminer le taux de THC dans les plantes au champ, mais pas dans les fleurs vendues en ligne ou en boutique, comment le commerçant doit-il se comporter ?

Contactez un avocat spécialisé sur la question, et être irréprochable dans tous les autres aspects de son entreprise. À l’heure actuelle, toutes les procédures à l’encontre d’acteur du marché du CBD ont débouchés sur des non-lieux. Les seules condamnations étant dues à des incohérences comptables ou des activités illicites sans rapport avec la vente de « fleur de CBD ».

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Olivier F