40 ans de prohibition

Olivier F
09 Sep 2013

La communauté des cannabinophiles est très présente sur le web mais les livres en français sur ce sujet se font plutôt rares. Chaque sortie est donc un événement, surtout lorsqu’il s’agit du plus connu des écrivains cannabiques, Jean-Pierre Galland. Il publie aujourd’hui le premier volume de sa trilogie, Cannabis, 40 ans de malentendus, 1970-1996 qui raconte l’histoire de cette plante et de la lutte contre son interdiction.


Par Olivier F

JPG : ces initiales ne désignent pas seulement un format d’image numérique, ce sont aussi celles de Jean-Pierre Galland, écrivain, éditeur, cannactiviste, fondateur et président du CIRC. Né en 1951, il a fumé ses premiers joints dans les années 70 (voir l’interview dans Soft Secrets France 1/2013). C’est donc un témoin privilégié de l’essor de cette substance que nous affectionnons et qui fait maintenant définitivement partie de la culture française. Le célèbre Fumée Clandestine a été la bible de toute une génération de fumeurs et cultivateurs. Au début des années 90, internet n’existait pas encore, il n-y avait que des ouvrages en langue anglaise et certaines infos se diffusaient sous le manteau. Pour beaucoup, ce fut Jean-Pierre Galland qui leur fit découvrir réellement cette plante aux milles vertus à travers ses différents livres richement illustrés. Cela explique la forte popularité de JPG auprès des cannabinophiles et cannabiculteurs qui se sont alors sentis moins seuls. Avant les deux volumes de Fumée Clandestine, il avait déjà publié plusieurs romans et avait même fait partie de l’équipe de scénaristes de la série Chateauvallon.

En 2013, le Collectif d’Information et de Recherche Cannabique tourne au ralenti et se contente d’organiser la manifestation annuelle du 18 juin. Ce sont maintenant d’autres organisations qui ont pris le devant de la scène anti-prohibitionniste. Comme il nous l’explique dans sa préface, Jean Pierre Galland veut tourner définitivement la page du CIRC et cette trilogie servira en quelque sorte à mettre un point final à cette aventure riche en rencontres humaines et végétales.

Cette compilation sur le thème du cannabis réunissait plusieurs artistes français.

Quand on commence à lire ce livre, on a du mal à le reposer. Avec un talent particulier pour l’écriture, Jean-Pierre Galland arrive à nous tenir en haleine avec un récit dont on connait pourtant la fin. C’est l’histoire du cannabis, de sa culture et de sa consommation sous un régime prohibitionniste qui se caractérise avant tout par son inefficacité. Pour ce nouveau projet, résultat d’une année et demi de travail intensif, il a ressorti ses propres archives, recontacté de nombreuses personnes et réuni des centaines de documents : photos, affiches, posters, flyers, pochettes de disques, dessins humoristiques et articles de presse. La plupart se déchiffrent facilement mais pour certains, il faudra vous munir d’une loupe. Cela vous donne une idée de la richesse et de la densité de l’ouvrage. Ces documents sont d’autant plus précieux que ce premier volume concerne une époque pré-internet et qu’un certain nombre d’entre eux avaient disparu de la circulation ou n’avaient jamais été publiés.

Les plus jeunes d’entre nous apprendront beaucoup de choses sur cette période qu’ils n’ont pas connu et pourront constater que, depuis plusieurs décennies, il y-a des gens qui se battent pour que cette plante prenne enfin la place qu’elle mérite dans la société française. Quand aux spécialistes, aux connaisseurs, comme ceux qui ont vécu les années 90, ils se replongeront avec plaisir dans cette époque foisonnante pleine d’énergie et de créativité. Et ils découvriront forcement, eux aussi, au passage, quelques documents ou détails de l’histoire oubliés ou inconnus. Et personne n’est mieux placé que Jean-Pierre pour nous raconter tout ça.

Une loi très sévère

Le récit commence le 31 décembre 1970. C’est ce jour là qu’a été votée cette loi particulièrement sévère, encore en vigueur aujourd’hui. Pour la première fois, on sanctionne l’usage individuel même en privé (jusqu’à un an de prison ferme). L’article L.630 punit l’incitation et la provocation à l’usage des stupéfiants ainsi que la présentation sous un jour favorable. Cette loi fait suite aux événements de 1968, à l’essor de la contre-culture et des idées révolutionnaires. Le Figaro, déjà aux avants postes dans la lutte contre la drogue, titrait dans un éditorial en 1969 : « L’herbe a poussé entre les pavés disjoints de la révolution ».

Dans les années 60 et 70, l’usage du chanvre psychoactif redevient à la mode alors qu’il avait quasiment disparu : on dénombrait moins de 10 usagers dans le Paris des années 40 (source : Que sais-je ?) De nombreux jeunes découvrent le cannabis en voyageant : « Ils font la route, fument le chilum en Afghanistan et moissonnent au Cachemire. Ils ramènent dans leurs sacs à dos des variétés de haschich détonantes et des graines » nous explique Jean-Pierre. Il y-aussi la Hollande, qui bien avant la loi de 1976 (qui instaure les coffee-shops) séduit déjà les amateurs de cannabis : « Le Paradiso ou le Melkweg, des hauts lieux de la contre-culture Amstelldamoise tolèrent un dealer maison »

Concours de hasch à la Drug Peace House.

L’un des premiers magazines à avoir parlé du cannabis de façon positive fut Actuel dans sa première version (1970-1975). Une illustration qui rassemble ses 58 couvertures nous permet de constater que la marijuana y occupait une place particulière. Le journal se saborde à l’automne 75 mais reviendra à partir de 1979 dans une version totalement différente. A début de l’année 1977, le journal Libération publie chaque semaine un récapitulatif des prix des variétés de cannabis disponibles sur le marché. Il faut également citer le magazine de bande dessinées Viper inspiré par El Vibora, issu de la movida espagnole. Le journal est publié à partir de 1981 par les éditions Sinsemilla. On évoque dans ses pages l’usage décomplexé de toutes sortes de drogues.

Anti-prohibitionnistes

Le livre nous permet de découvrir certains anti-prohibitionnistes qui ont joué un rôle important mais qui sont restés peu connus. Il y-a par exemple François Chatelet, philosophe enseignant à la faculté de Vincennes qui participe au premier appel du 18 Joint en 1976. Ce jour là, il dépose un plant de cannabis au pied de la statue de Lamarck dans le jardin des plantes. Ce texte, publié dans le journal Libération a été signé par plusieurs intellectuels, artistes ou hommes politiques dont certains sont encore en activité.

Un chapitre complet intitulé Un homme remarquable est consacré à l-ex-procureur de la Drôme Georges Apap qui n’a jamais consommé de chanvre mais a toujours soutenu les anti-prohibitionnistes notamment lors de la création du CIRC. Il est l’auteur de la célèbre phrase : « Les drogues ne sont pas interdites parce qu’elles sont dangereuses, elles sont dangereuses parce qu’elles sont interdites ».

Plusieurs pages sont consacrées aux CIRC régionaux, ce qui permet de rendre hommage à tous ces militants de la première heure. En Provence, en Bretagne, en Vendée, dans le Languedoc, à Lyon ou à Metz, ce sont de fortes personnalités qui doivent affronter de nombreuses difficultés pour mettre en place leurs associations.

Le CIRC médiatique

Les choses s’accélèrent à partir de 1991 avec la sortie de Fumée Clandestine Vol.1 et la création du CIRC. JPG commence à intéresser les médias et Il est invité à débattre à la télévision. On le retrouve sur les plateaux de Jean-Luc Delarue, Guillaume Durand ou André Bercoff. En 1994, Une équipe du magazine 24 heures, diffusé sur Canal + et produit par l’agence Capa, le suit durant son voyage en Hollande pour la Cannabis Cup européenne.

Les premières rave-parties ont été organisées en France au début des années 90.

Partout en France, on organise des événements ou concerts cannabiques. On se souvient de plusieurs groupes qui ont soutenu la cause. La plupart ont aujourd’hui disparu. Il y-avait, entre autres, Billy The Kick, Ludwig Von 88, 100 Grammes de Têtes… Le CIRC est aussi invité à Genève pour la nuit des pétards d’or.

Bien avant les CSC, il existe déjà en France un cannabis club. Dans le département du Lot, des cultivateurs auto-producteurs créent un collectif appelé Fumée Douce et tentent de se constituer officiellement en association. En 1994, ils organisent la fête des vendanges cannabiques.

Le CIRC génère, des revenus grâce à son service minitel 3615 ou 3614. Cela lui permet de louer un local à Paris et d’y tenir une permanence hebdomadaire. Le collectif publie également un journal appelé Double Zéro et sort une compilation sur le thème du cannabis appelée Petites Musiques de Chanvre.

A partir de 1993, il reprend le concept de l’Appel du 18 Joint pour en faire un événement annuel. La première édition se déroule à Paris sous le nom de Journée internationale du cannabis. Cette première édition ne se passera pas comme prévu. Les militants projettent de déposer un bouquet de chanvre devant la statue De Lamarck comme en 1976. Ils prévoient aussi d’apposer une plaque commémorative sur la façade de l’hotel Pimodan ou se réunissait le Club des Hachishins. Un concert de soutien est également prévu. Ces projets seront hélas abandonnés mais la manifestation aura tout de même lieu avec la présence de l’américain Jack Herer. Un chapitre est d’ailleurs consacré au célèbre activiste, auteur de L’empereur Est Nu.

Jean-Pierre Galland rencontre des cannactivistes du monde entier et se lie avec certains d’entre eux comme Wernard Bruining, le patron de Positronics (à l’origine de la première version de Soft Secrets). En 1993, une structure au nom barbare, l’IRDRHR est créée, à l’initiative des hollandais Adriaan et Franz Bronkhorst, pour fédérer les associations anti-prohibitionnistes de toute l’Europe. Les deux frères ouvrent, dans un bâtiment de trois étages en plein centre d’Amsterdam, un lieu appelé Drug Peace House. Plusieurs militants du CIRC participent à l’aventure. On y organise des manifestations, concours de hasch ou réunions stratégiques avec des activistes de tous les pays.

En 1996, le président Chirac voulait faire interdire les coffee-shops.

Les méchants

A l’époque, les rôles des méchants étaient tenus par Charles Pasqua, ministre de l’intérieur et le Professeur Gabriel Nahas. Ce personnage a, pour des raisons politiques et idéologiques, passé beaucoup de temps à tenter de démontrer la nocivité du cannabis avec des arguments souvent peu crédibles. Sa particularité était d’attaquer en justice toute personne qui mettait en doute la pertinence de ses travaux. Ce rôle a maintenant été repris par le professeur Jean Constantin.

Le président Chirac, quand à lui, menace de fermer les frontières si le gouvernement hollandais n’ordonne pas la fermeture de l’ensemble des coffeeshops. Il n’obtiendra pas gain de cause mais la quantité maximale pour chaque client passe de 30 à 5 grammes.

Les dérives sécuritaires ne concernent pas seulement la droite. Quelques années plus tôt, le communiste Robert Hue s’était distingué en demandant à la population de dénoncer les drogués. En 1981, il est maire de Montigny-Lès-Cormeilles et organise une manifestation sous les fenêtres d’une famille marocaine accusée à tort de vendre du cannabis.

Le début des années 90, c’est aussi l’époque des premières rave-parties organisées en France. Soutenues par la plupart des médias, les autorités pratiquent à leur encontre une politique très répressive en prenant pour prétexte la consommation des drogues. On trouve dans le livre une sélection de flyers et articles de presse sur le sujet.

A la fin du livre, on évoque cette période ou Jean-Pierre Galland et le CIRC croulent sous les ennuis judiciaires et financiers. C’est tout d’abord France Télécom qui porte plainte pour incitation à l’usage des stupéfiants contre le collectif et obtient gain de cause. La justice ordonne la fermeture du 3615 CIRC, le privant ainsi de sa principale source de revenus. Un inspecteur de police particulièrement zélé s’occupe personnellement du CIRC Il contacte de sa propre initiative les fromageries Bel, qui fabriquent la Vache Qui Rit, et leur demande d’attaquer en justice le collectif qui avait parodié leur logo sur un de ses t-shirts.

Il y-a encore beaucoup de choses à découvrir dans ce premier volume et on a hâte de lire les suivants. Le deuxième couvrira la période 1997-2002. On y racontera, entre autres, l’essor de la culture de cannabis en intérieur.

Cannabis, 40 ans de malentendus, Vol.1 Editions Trouble Fête, 30 €

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Olivier F