La dégénérescence clonale : une menace pour nos plantes mères
La dégénérescence clonale est un phénomène suscitant depuis longtemps l'inquiétude de notre communauté. Elle désigne le déclin de la productivité et de la performance des plantes clonées au fil des réplications successives. On attribue souvent ce phénomène à des changements génétiques qui se produiraient au cours des réplications. Cependant, des recherches récentes révèlent que les mutations génétiques ne sont pas la cause principale de la dégénérescence des clones.
Par Hortizan
En réalité, des facteurs externes tels que les déséquilibres nutritionnels, des infections pathogènes et le stress environnemental pourraient jouer un rôle plus important. Il est donc essentiel d’explorer les preuves contre la vision traditionnelle de la dégénérescence clonale, afin de considérer différentes techniques pour les sauver. Des procédés tels que la revitalisation de pieds mères ou la culture de tissus cellulaire pourraient représenter un moyen efficace de préserver la qualité de phénotypes si durement acquis.
La dégénérescence clonale ne serait pas due à des changements génétiques
Il est largement admis que la détérioration des clones est en lien avec une dégénérescence clonale. Le responsable de ce dépérissement serait des mutations de gènes qui s'accumuleraient au fur et à mesure des cycles de propagation. Cependant, plusieurs éléments remettent cette théorie en question. Clarifions les choses : évidemment, les plantes clonées ne se reproduisent pas sexuellement, elles ne réalisent donc pas de méiose (la division cellulaire qui se produit lors de l’accouplement), elle ne peut donc se retrouver avec de nouveaux chromosomes comme lors d’une reproduction sexuée. C’est même l’inverse : un clonage est une reproduction asexuelle, par propagation végétative, ce qui signifie que le matériel génétique reste inchangé au fil du temps.
Certaines mutations peuvent cependant survenir en raison de facteurs environnementaux. Cela peut par exemple inclure une exposition aux radiations, mais la fréquence de ces mutations est extrêmement rare.
Si la mutation n’est pas responsable de la dépréciation des pieds mères, il faut alors se pencher sur d’autres raisons, et ces facteurs peuvent être nombreux. Tout d’abord, il faut inclure les carences ou les excès de nutriments, qui peuvent avoir un impact notoire. En effet, de tels déséquilibres peuvent provoquer des problèmes physiologiques, et potentiellement affecter la croissance et la productivité des plantes. Cela s’explique par la raison que de nombreux nutriments sont utilisés par les plantes dans leurs défenses face aux ravageurs, maladies et virus. Un tel déséquilibre peut affaiblir leurs systèmes immunitaires et réduire leur capacité à résister à des infections pathogènes.
Enfin, des facteurs de stress environnementaux, tels que des températures extrêmes, la sécheresse ou l'exposition aux polluants affectant le pied mère peuvent également avoir un impact sur la santé des futurs clones. Certaines études récentes ont également tenté de découvrir si des facteurs tels que l'âge ou la stabilité génétique (en prenant des individus polyploïdes) avaient une influence sur la dégénération clonale. Cependant, ces facteurs qui paraissent être importants pour une reproduction sexuée le sont moins pour une reproduction clonale, et n'auraient que très peu d’effet sur les futurs clones (Do clones degenerate over time? Explaining the genetic variability of asexuals through population genetic models. Janko, Drozd, Eisner, 2011).
En grande culture, cependant, des facteurs externes impactant les pieds mères peuvent avoir un impact extrêmement important sur la santé des futures plantations. C’est un problème auquel nos vignobles français sont potentiellement exposés, car une immense majorité de nos vignes sont désormais du pied greffé. Heureusement, certains sélectionneurs sont soucieux de la diversité des expressions des diverses espèces de la vigne. Ainsi, lorsque ces derniers constatent une variabilité importante au sein d’un cépage (Pinot noir, Chardonnay, …), ils peuvent choisir de refléter cette diversité en produisant un certain nombre de clones reflétant la pluralité de la génétique. Cette diversité permet de mieux respecter le caractère de chaque cépage, et de limiter les risques de maladies ou de pertes dues à des conditions exceptionnelles.
Il est évident que les populations clonées, toutes similaires, disposent de moins de diversité génétique que les semis, et sont potentiellement plus susceptibles aux nouvelles conditions climatiques exceptionnelles et aux ravageurs exotiques. Cependant, utiliser une diversité de clones peut participer à la limitation de cet effet. Il est donc essentiel de comprendre l’ensemble des risques et mécanismes impliqués dans la dégénérescence clonale, afin de pouvoir développer des stratégies plus efficaces pour maintenir la santé et la productivité de ces diverses génétiques.
Certaines techniques permettent de sauver des variétés affectées par des années de clonages successifs
Premier procédé: La revitalisation. Cette technique méconnue, aussi qualifiée de régénération de pied mère, a récemment été présentée par Shantibaba. Ce processus consiste à régénérer une plante mère en la basculant de ses conditions homogènes d’intérieur vers l’extérieur. En l'exposant à la lumière naturelle et lui permettant de produire de nouvelles sections, le conservateur peut bouturer celles-ci afin de réaliser de futures propagations. Les plantes évoluant exclusivement en intérieur et sous lumière artificielle, en l'absence de fluctuations naturelles de lumière et de température, peuvent subir une altération de leur forme physique sur le long terme.
En exposant la plante sélectionnée aux conditions de lumière naturelle, il pourrait être possible de resynchroniser ses biorythmes avec les changements saisonniers qui se produisent dans l'habitat naturel de la plante. Ce changement d’environnement est censé l’aider à restaurer sa santé et sa vigueur. Une fois que la plante sélectionnée a produit de nouvelles branches, celles-ci peuvent être utilisées pour établir de nouveaux clones disposant du même patrimoine génétique que la plante originale. Cette approche peut être une manière efficace de conserver un phénotype particulier tout en réduisant les effets de la dégénérescence des clones sur le long terme. La revitalisation de la plante mère n'est pas une technique nouvelle, elle est utilisée depuis de nombreuses années par des cultivateurs et sélectionneurs pour maintenir la santé et la productivité de leurs collections de plantes mères. Bien que son efficacité puisse varier en fonction de l'espèce et des conditions de culture, elle est généralement considérée comme un précieux outil de préservation.
Dans un souci de préserver la qualité des cultures, il est généralement déconseillé de prélever des boutures sur des fruitiers ayant dépassé un certain âge ou présentant des signes de maladies. Le risque est conséquent : réduction de vigueur, virus et nombreuses maladies dans les futures plantations. Cependant, il est important de noter que lorsqu'un arbre est en croissance rapide, la maladie n'a pas nécessairement affecté la nouvelle croissance. Cela est dû à la totipotence cellulaire végétale, une faculté unique dont dispose la nature, et qui sert grandement aux laboratoires de cultures de tissu végétal. Pour résumer, la totipotence cellulaire végétale est la capacité qu'ont les cellules végétales à revenir à un état indifférencié. Autrement dit, un état où elles n'ont pas encore développé de fonctions spécialisées (en devenant une future feuille, branche ou racine) : on appelle cette cellule encore indifférenciée un méristème. Ces cellules ont alors les mêmes qualités que les cellules embryonnaires, et sont donc exemptes de toute maladie ou virus. Elles peuvent ainsi régénérer dans les conditions adéquates, et devenir une nouvelle plante, en tout point identique à la plante mère originale.
La découverte de la culture de méristème (aussi appelée culture in vitro) remonte à 1939, lorsque le professeur R.Gautheret réalise la possibilité de prélever et cultiver de manière indéfinie des tissus de tubercules de carotte (Gautheret, R.J., 1939). Dix années plus tard, en 1949, P. Limasset et P. Cornuet, chercheurs à l’INRA, réalisent cette même découverte sur des plants de tabacs virosés. En 1952, leurs collègues G. Morel et C. Martin, réussissent à sauver, grâce à la culture de tissu végétal, un plant de Dahlia, variété "le Rêve ", qui avait été infecté par 3 virus. De la même manière, ils réussiront à sauver la variété de pomme de terre, la “Belle de Fontenay", en 1954. Ces techniques seront reprises par de très nombreux chercheurs afin de préserver de multiples variétés, telles que le cerisier Prunus avium L. (Deogratias, Lutz, Dosba, 1986). De nos jours, la culture de tissus a trouvé une place importante dans les cultures de banane, de manioc et de canne à sucre, en raison de la grande sensibilité de ces plantes aux maladies.
Bien que des conditions d'hygiène rigoureuses soient requises, le principe derrière la culture in vitro reste relativement facile à mettre en pratique : On prélève un petit morceau de tissu végétal contenant le méristème à cloner, et on le désinfecte afin de maintenir le milieu de culture parfaitement sain. On le place ensuite sur un substrat stérile (un gélifiant, comme de l’agar agar, permettant de donner une texture ferme au milieu de culture). Afin de stimuler la croissance des cellules et la régénération de la plante, ce support doit contenir les nutriments nécessaires pour la croissance des cellules végétales : du sucre, des vitamines, mais également des hormones végétales (telles que la cytokinine et l'auxine). Les cellules végétales du méristème vont se multiplier et se différencier jusqu’à former de nouvelles plantes. Enfin, les nouveaux clones obtenus, génétiquement identiques à la plante mère, et pourtant indemnes de toute maladie ou virus, nécessitent une étape complémentaire afin de les acclimater avant de les transplanter.
La dégénérescence clonale est un donc un phénomène complexe encore partiellement incompris et pouvant être influencé par une très grande variété de facteurs. Sans pour autant parler de modification génétique, elle peut entraîner une réduction de la productivité et de la vigueur, ainsi qu’offrir un accès à diverses maladies. Heureusement, il existe de multiples techniques que les cultivateurs et les éleveurs peuvent approcher afin de maintenir la santé et la diversité génétique de leurs bibliothèques si précieuses. Il est donc essentiel de préserver certains de ces phénotypes à travers ces techniques de conservation, mais aussi de continuer la descendance de ces individus afin de créer de nouvelles génétiques qui sauront s’adapter aux conditions changeantes de demain.