Entretien avec l'autorité maltaise pour l'utilisation responsable du cannabis
Cette petite île méditerranéenne est devenue protagoniste en étant le premier pays d’Europe à choisir de réglementer la consommation et la production de cannabis en dehors d'un cadre médical. Aujourd'hui, dix mois après cette percée courageuse, nous rencontrons Mme Mariella Dimech, présidente exécutive de l'ARUC : l'Autorité maltaise pour l'usage responsable du cannabis.
Par Fabrizio Dentini
SSFR : Afin de comprendre la « voie maltaise » pour la légalisation, quels sont les principaux aspects que l'ARUC a gardés à l'esprit lors de l'élaboration du processus réglementaire ?
Nous devions principalement aborder les aspects des droits de l'homme, car une personne qui consomme du cannabis ne devrait pas être traitée comme un criminel, ne devrait pas être incarcérée et ne devrait pas voir son casier judiciaire souillé, ce qui l'affecterait pour le reste de sa vie. Deuxièmement, nous ne voulions pas promouvoir l'usage du cannabis mais nous étions très réalistes avec les statistiques et les recherches qui montrent qu'il y a un grand nombre de personnes qui en consomment. Par conséquent, le deuxième objectif était celui de suivre une approche de réduction des risques. La troisième chose est réduire le marché illégal avec une approche non lucrative pour cultiver et distribuer du cannabis récréatif à un prix très bas : la moitié du prix du marché illégal est à un prix inférieur à celui du marché médical car ce marché aussi est également cher.
Dans les pays où la prohibition est toujours en vigueur, l'approche choisie est souvent de criminaliser les comportements des consommateurs comme si la simple consommation de cannabis devait être stigmatisée tout court. Au lieu de cela, à Malte, le nom de l'institution que vous représentez révèle déjà l'accent mis sur l'usage responsable du cannabis. Croyez-vous qu'il soit possible de consommer cette plante et d'être une partie intégrante et productive du pays en tant que citoyen ?
Il faut d'abord définir la différence entre consommation et addiction. Donc, si quelqu'un est accro à quoi que ce soit, il ne fonctionnera pas. Donc si je suis accro au cannabis, à l'alcool, au travail, au sexe, à la nourriture, dans toute forme de dépendance, une personne ne fonctionne pas de manière saine. Deuxièmement, si vous êtes dépendant d'une drogue, est-ce la chose la plus saine ? Bien sûr que non, mais il existe un niveau de dépendance où vous pouvez encore fonctionner. Beaucoup de gens, par exemple, vont se réveiller le matin puis aller faire du jogging, puis aller à la gym, puis aller travailler et puis, le soir, en fin de journée avant d'aller se coucher, ils pourraient prendre un peu de cannabis parce que ça les fait se sentir bien, ils pourraient prendre un verre de vin ou un peu de whisky, soit une tasse de thé, soit se promener... Est-ce que je pense qu'une promenade est plus saine ? Oui et je le promouvrai toujours. Cependant, ces personnes sont-elles dysfonctionnelles si elles prennent un peu de cannabis en fin de journée ? Non, je ne pense pas qu'ils le soient.
Quel est le rôle réservé à l'information dans l'approche maltaise ?
Nous devons croire que lorsque les gens sont informés et éduqués, ils sont capables de prendre les bonnes décisions. Notre objectif est de les informer et la différence doit être qu'un jeune de dix-neuf ans peut aller chez un dealer et acheter du cannabis et être exposé à d'autres drogues, acheter un produit qui n'a pas été testé, soit être membre d'une organisation à but non lucratif, se rendre à cette organisation, demander, en étant informé, par exemple, sur les niveaux de THC et de CBD et sur les effets du cannabis. Ce dialogue est basé sur des connaissances et sur des faits et non sur un dealer qui veut faire de l'argent avec moi. Le client aura des droits et la personne qui vend aura des droits parce que c'est légal. ARUC va tester le cannabis, les produits chimiques, les pesticides, le métal dans le sol, les moisissures, le niveau de THC avant le stockage et après le stockage… Le cannabis sera propre et sans danger.
L'une des principales raisons qui poussent souvent les États les plus réformateurs à légaliser le cannabis est la protection de la jeunesse. Pensez-vous que les résultats sont satisfaisants de ce point de vue ?
Nous allons collecter des données, nous allons faire des recherches et je pense que je pourrai répondre plus objectivement à cette question lorsque j'aurai des statistiques et des données. Pour le moment, si vous avez dix-huit ans et plus, le cannabis est légal, mais l'information, l'éducation, la prévention et la réduction des risques sont là pour tous les âges. Notre objectif est que si les jeunes désirent consommer du cannabis, ils seront au moins exposés aux bonnes informations et quand ils sont éduqués, au moins ils savent ce qu'ils font.
Article publié dans le journal Soft Secrets France N°6-2022