Récréatif ou thérapeutique ?

Exitable
05 Nov 2019

A défaut d’être en avance sur quelque chose, la France continue d’être en retard. Dans ce grand maelstrom qu’est le monde, le pays d’Astérix résiste toujours et encore à l’envahisseur de la légalisation. Pire, même lorsqu’il entend avancer (donner un traitement aux patients qui attendent), il trouve le moyen de repousser les échéances en créant une expérimentation dans laquelle il n’y aura personne.


D’une avancée pouvant concerner plusieurs centaines de milliers de patients, on se retrouve aujourd’hui à discuter d’un essai clinique. C’est dire si le système médical est sclérosé, lui qui fait naître les Mediator et Levothyrox mais continue d’avoir du mal à reconnaître les propriétés thérapeutiques d’un cannabis déjà utilisé.

Mais voilà, notre sujet n’est pas celui du thérapeutique et ceux qui croient que l’un emporte nécessairement l’autre n’ont pas tort, mais nous n’avons plus le temps d’attendre. En Californie, entre 1996 – année de la légalisation du thérapeutique et 2016 – l’année du récréatif, vingt ans se sont écoulés !

Pouvons-nous encore patienter ne serait-ce qu’une semaine ? Depuis que vous avez commencé à lire cet article, une personne a déjà été interpellée pour « usage illicite de stupéfiants » (une toutes les trois minutes en France en 2019), on ne compte pas les retraits de points ou de permis pour des consommations prises la veille, les perquisitions aux domiciles des proches, les bracelets électroniques et autres conseillers de probation auprès desquels ils sont nombreux à pointer pour démontrer qu’ils ne sont pas délinquants. Voilà deux ans que je réalise une permanence juridique quasi-quotidienne et que nous avons vu défiler plusieurs centaines d’affaires. Combien de vies la justice brise-t-elle aujourd’hui ? Combien de parents ont perdu l’autorité parentale sur des affaires de cannabis ? D’ailleurs, quelle société absurde que celle qui considère comme délinquant celui qui consomme une drogue. Dans un monde parallèle, la prise d’un verre de vin pourrait-elle être sanctionnée d’un an d’emprisonnement et de 3750€ d’amende ?

Non, tout ça n’est pas sérieux… Nous n’aurons jamais le temps d’attendre que ces bons élus se mettent au travail sur un sujet qui nécessite une réponse immédiate. Beaucoup nous disent aujourd’hui de patienter sagement que le « Cheval de Troie » du thérapeutique fasse son œuvre, il faut rappeler que la légende n’est valable que parce que les habitants de Troie croyaient que le cheval était un cadeau. Ici, plus personne ne doute que ceux qui militent pour le thérapeutique sont aussi des soutiens de la régulation globale du cannabis.

Dès lors, il nous faut parler ouvertement de l’usage non-médical et dire que nous voulons aujourd’hui d’une société qui accepte les individus tels qu’ils sont et qui ne leur impose pas ce qu’ils devraient être. Plus encore, nous ne voulons plus des pudeurs de gazelle qui s’offusquent d’un, de deux ou de vingt plants à la maison alors que l’autoproduction se massifie. Nous ne voulons plus du regard social réprobateur et des tabous qui consistent à accepter le cannabis en soirée et à le rejeter le en journée. Le cannabis est un merveilleux révélateur de schizophrénie, en effet, il est consommé par tout le monde mais personne ne consomme réellement. Hors des sentiers battus du mouvement pour la légalisation, combien de personnalités publiques, d’élus, d’artistes, de hauts fonctionnaires ont un jour assumé leurs consommations ? N’est-elle pas là, la vraie schizophrénie ?

A ce titre, le temps où les consommateurs devaient se cacher est un temps révolu, il est l’heure de relever la tête, de remettre en cause les injonctions sociales et politiques et de dire à la face du monde que la France ne sera plus jamais en retard sur cette question essentielle.

La société a changé, avant-hier, nous étions des « toxicomanes » : la consommation de drogue était forcément addictive, il fallait nous soigner et nous éduquer (Éduquer le toxicomane, c’est d’ailleurs le titre d’un très bel article de Christian Sueur). Hier, nous étions des « usagers de drogues », c’est à dire des citoyens spécifiques, marginalisés parce que usagers de substances illicites. Aujourd’hui, le cannabis, c’est Monsieur et Madame Tout-le-monde et nous sommes dorénavant des « consommateurs » (et même plutôt deux fois qu’une pour certains).

L’homo habitus de Bourdieu se drogue, il prend son café le matin, boit son verre au déjeuner, fume son joint le soir et prend son taz lorsqu’il va en concert, et c’est bien ainsi. Il est temps que la société reconnaisse cette réalité et que la loi vienne s’adapter aux mœurs .

L’interdit n’a jamais fonctionné et ce système où la prohibition est devenue une idéologie à laquelle on rajoute une couche tous les six mois ne peut plus durer. La prohibition est l’antibiotique des idiots : plus il y en a et moins ça fonctionne, moins ça fonctionne et plus il en faut, les spécialistes parlent de phénomène d’autopoïèse.

Mettons-y un terme, en assumant nos consommations et ce que nous sommes. Et à défaut de mettre de la beuh dans la charrue, mettons la charrue avant la beuh, nous avons suffisamment perdu de temps et comme l’écrivait le grand Thiers, « le pouvoir, même le plus éclairé, ne peut pas toujours se défendre de certains mouvements d'impatience. »

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Exitable