Le traitement du traumatisme actuel oblige à sortir des idéologies qui ont conduit les gouvernements successifs à laisser progresser la gangrène socio-économique pour ramener la République dans tous nos quartiers. Derrière le discours sécuritaire de l’exécutif, le député socialiste Malek Boutih a proposé la «mise sous tutelle» par l’Etat de certains quartiers sensibles. Dans Le Point, il évoque des «élus corrompus qui passent des deals avec les voyous et les communautés par électoralisme». Néanmoins, il ne propose plus la régulation du marché du cannabis comme base de la reconstruction du vivre ensemble dans nos ghettos. Nous pensons qu’il est opportun de lui rappeler ses convictions passées.
Dans Le Monde daté du 15 juin 2006, on apprend que : «Dans une note de cinq pages, rédigée pour la commission nationale du projet du PS, M. Boutih milite pour la réforme de la loi de 1970. Il la qualifie de «ligne Maginot», et prône la «reprise du marché par la puissance publique» afin de lutter contre la «mafia». La «fin de l’hypocrisie apporterait bien-être et ordre là où la clandestinité et le malaise se sont installés». Car pour M. Boutih, le cannabis est «la clé de voûte de la ghettoïsation et de l’insécurité dans les quartiers populaires».
Victime d'une chasse aux sorcières
Nous avons participé à l’élaboration de ce document. Partant du constat d’abandon des quartiers face à l’afflux d’héroïne, avec les morts du SIDA comme corollaire, puis à l’extension exponentielle du trafic de cannabis, nous partagions tous cette analyse en forme d’alerte. Aujourd’hui, le premier bilan de l’expérience de marché régulé du cannabis au Colorado et dans l’Etat de Washington semble suffisamment positif pour inciter à adapter ce modèle. L’Uruguay expérimente aussi un système plus étatique. Pourquoi Malek Boutih oublie-t-il ses propositions toujours pertinentes ?
Dans le livre Tous les coups sont permis se trouve une explication à la crainte de M. Boutih. Après son rapport, même des notables socialistes le stigmatisaient comme «Malek Boutih, mais si vous savez, celui qui veut mettre le haschich en vente libre !». Il a été victime de la chasse aux sorcières qui s’abat sur les politiques qui osent se prononcer en faveur d’une réforme du statut légal du cannabis, Manuel Valls et Marisol Touraine participent à cet exercice délétère.
La classe politique doit sortir de l’émotionnel et de la stratégie de communication pour analyser la situation. Le gouvernement a besoin de moyens humains et financiers pour lutter contre le terrorisme et les gangs, il a besoin de restaurer le dialogue entre les institutions et les jeunes, il a besoin de rétablir une atmosphère vivable dans les quartiers soumis à une guerre du cannabis à coups de kalachnikov. La régulation publique apporterait des réponses à ces problématiques.
Sortir de la doxa prohibitionniste
La Seine Saint-Denis est en tête des infractions sur les stupéfiants alors qu’elle figure à la 42ème place de l’enquête ESCAPAD 2008 sur les jeunes de 17 ans déclarant consommer du cannabis au moins 10 fois dans le mois. La chasse à la boulette de shit autant que les points fixes de deal pourrissent la situation et favorisent le repli dans la distinction identitaire et/ou religieuse. Comme l’affirme la campagne Guerre aux drogues, guerre raciale : « (...) nous sommes tous concernés par cette question : la guerre aux drogues n’est-elle pas aussi une guerre aux banlieues, aux minorités, une guerre raciale ?».
Le député de l’Essonne ne serait pas aussi isolé qu’il semble le croire. Le récent rapport du think tank Terra Nova plaide pour une régulation du marché, des chercheurs au CNRS ou à l’EHESS ont publié récemment des analyses convergentes. La proposition de loi de la sénatrice Esther Benbassa autorisant l’usage contrôlé du cannabis est examinée en vue d’un vote en février. Le sénateur Jean Desessard, rapporteur de la proposition, vient d’auditionner un panel très représentatif. Il n’a pas oublié, comme souvent, de convier les organisations d’usagers. Il dispose des informations nécessaires pour proposer des améliorations au texte et actualiser notre modèle de 2006.
Nous appelons Malek Boutih à porter ces travaux devant l’Assemblée Nationale quel que soit le résultat au Sénat. Le gouvernement doit sortir de la doxa prohibitionniste pour privilégier une mesure indispensable au rétablissement de la République dans tous ses territoires.