L’histoire du cannabis en Nouvelle Calédonie

Soft Secrets
01 Jun 2018

S'il est un coin sur terre proche du paradis, c'est bien la Nouvelle Calédonie, un des plus grands lagons du monde, des températures tropicales, une vraie carte postale avec des plages de sable blanc, une nature luxuriante, une douceur de vivre et un aquarium inouï : le Pacifique. En 2016, des études ont révélé que plus d’un calédonien (de plus de 17 ans) sur deux a déjà consommé du cannabis. L’histoire de cette plante aura marqué plusieurs générations de toutes ethnies confondues, s’alliant à un style de vie relaxé, proche de la nature.


Par Xens-Mah

Dans cet article, nous essayerons de rester juste quant à l’histoire de cette plante et du peuple Calédonien l’ayant cultivée et consommée depuis bientôt plus de 60 ans, les expériences ont varié pour chaque génération, d’une culture et d’un style de vie basé sur le partage et le respect a émergé un marché noir avec une qualité en baisse constante et des prix en pleine flambée.

L'arrivée du cannabis en Nouvelle Calédonie

Le cannabis est arrivé il n’y a que quelques dizaines d'années sur cette île française du Pacifique, certains anciens de tribu parlent de 1950 (après la seconde guerre mondiale) avec la présence des Américains. d’autres évoquent les années 60-70 avec la période Hippie / Woodstock; il y a beaucoup de légendes à ce sujet et certains parlent même de plusieurs centaines d'années, chose qui n’aura jamais pu être vérifiée ou justifiée; même avec des fouilles géologiques, rien ne le supporte… Nous resterons donc sur les possibilités les plus raisonnables et plausibles. 

Les souches sativa mexicaines ont été les premières à vraiment se développer en Nouvelle Calédonie. Pendant plusieurs dizaines d’années, elles se sont adaptées au terroir et au climat, rapidement cultivées en tribu par le peuple mélanésien, dans différentes parties de l’île, aussi bien en montagne, que dans les vallées, ainsi que dans les plaines de terre rouge (riche en nickel) ou même sur îles et îlots sablonneux, le cannabis n’a eu aucun mal à proliférer. Un climat tropical, sans hiver rude, accompagné de pluies consistantes et douces, a permis à la génétique sativa de prendre les rênes sur cette région du monde.

Même si ces souches mexicaines ont su s’adapter et évoluer pendant plusieurs dizaines d'années, nous ne parlerons pas de landrace pour ces génétiques. Les “vieux” ou “anciens” mélanésiens interrogés nous ont révélé avoir rapidement adopté cette plante qui pour eux, représentait une source médicamenteuse, un relaxant, une plante attractive, odorante et vigoureuse. L’aspect financier est resté inconnu pendant très longtemps. Cette plante fut cultivée par passion et par respect de la nature. Avec comme vision, que si la terre nous a apporté cette plante, c’est qu’elle nous était destinée. L’effet psychoactif n’a jamais été perçu comme provocateur de violence par le peuple Kanak (peuple natif mélanésien de Nouvelle Calédonie), à l’inverse de l’alcool. Mais l’Etat Français a bien sûr, classé cette dernière au même niveau que les drogues dures lors des périodes de prohibition. La combinaison du cannabis et de l’alcool n’est évidemment pas recommandée et les effets sont effectivement néfastes sur le comportement social d’un humain, aussi bien en milieu tribal qu’urbain, provoquant des violences et des accidents parfois mortels. 

Pendant plus de 20 ans, la pollinisation et la sélection des meilleures souches sont perpétuées par le peuple kanak qui est dépendant en partie des récoltes maraîchères pour vivre. Ils ont une relation rapprochée avec la terre et la nature, qui est très précieuse et ancestrale. Ils ont appliqué des principes de sélection des meilleures souches de cannabis, comme avec les autres végétaux et plantes cultivées. En 1990 la Grande Terre (provinces Sud et Nord), ainsi que les îles, étaient remplies principalement de sativa de beaucoup de phénotypes spécifiques à leur région de culture. Des génétiques adaptées aux différents terroirs de la Nouvelle Calédonie, une vraie typologie territoriale unique, toutes particulières et différentes, en matière d’effet et de terpènes. Beaucoup de passionnés venant d’ailleurs n’en revenaient pas de cette diversité cannabique, ainsi que la culture “roots” l’accompagnant.

La belle époque

Beaucoup de personnes parlent de la “belle époque” en se référant à une période allant des années 80 jusqu'en l’an 2000, car le cannabis n'était pas encore vu comme une source profit, mais plus comme un moyen de partage. Il n’y avait pas que le peuple Kanak qui le cultivait bien sûr, mais ayant le plus de terre et n’ayant que très peu de visite des autorités françaises en terre tribale, c’est avec ce peuple que le cannabis a connu un développement géographique et génétique fort et consistant sur plus de 20 années consécutives.

Certaines souches atteignent des tailles exubérantes, prenant plus de 5 mois de croissance et 6 mois pour finir leur floraison, résultant à des plantes de plusieurs dizaines de kilos. Des photos d'époque le prouvent, et plusieurs histoires de famille nous ont fait part de plantes atteignant parfois les 5 mètres de haut et de circonférence. Il était commun pour un habitant de Nouméa de partir en milieu tribal ou rural et de s’y procurer des quantités relativement élevées (entre 50 et 400 grammes), parfois gratuitement ou en échangeant des biens de première nécessité : vêtements, sucre, café, tabac, outillage, toujours sur la base d’un troc respectueux. N’ayant pas de vision sur les prix dans les milieux cosmopolites du reste du monde, pourquoi considérer une plante n’ayant besoin d’aucun traitement pour être consommée comme une source de revenue profitable ?

Ces échanges étaient appréciés des deux partis car les mélanésiens n'étaient quasiment pas véhiculés durant cette époque, et le fait de venir en tribu pour faire un échange directement sans qu’ils n’aient à se déplacer, leur rendait bien sûr service. Très peu de nouvelles génétiques ont été introduites en Nouvelle Calédonie avant les années 2000. Il y a eu par la suite, l’introduction de strains dites “modifiées”, notamment des souches de Skunk, qui marqueront beaucoup les esprits, car dans un monde ou la Sativa domine, une plante courte, rapide et compacte avec une odeur bien plus forte et pugnace, ne passa pas inaperçue par ce peuple ainsi que tous les consommateurs. Le terme Skunk ou “Skank” restera utilisé pendant une longue période pour qualifier un cannabis de qualité supérieure. Même si ce dernier n’avait aucune véritable relation directe avec la fameuse génétique de l'époque.

Un changement de vision

Après les années 2000, un vrai changement a pu être constaté : la commercialisation de la plante et le terme de “business” furent rapidement associés au cannabis, qui pendant longtemps aura su garder sa fierté mystique. Avec un accroissement de la population dans la ville principale de Nouméa, les besoins en consommation de cannabis en milieu citadin et dans toutes les strates sociales, s’est lui aussi accru; et certaines personnes ont saisi cette opportunité pour “monter” plusieurs fois par mois en tribu, acheter ou échanger du cannabis et revenir sur la capitale pour le monnayer, amassant des sommes considérables.

Au début cette tendance était plus ou moins stable sur la ville de Nouméa : le prix de 20-30 grammes (une grande enveloppe ou un journal) de cannabis de bonne qualité était compris entre 10 euros et 40 euros. Il y avait beaucoup de phénotypes et de cannabis différents. Les régions de cultures étaient souvent synonymes de qualité pour leur savoir-faire et leur génétique particulière. Par exemple: Canala, Houaïlou, l’Île des Pins; endroit où il était facile de dénicher des pieds en bord de route, vers les terrains de football des communes et bien sûr, dans les champs maraîchers.

De plus la culture du reggae jamaïcain favorisa l’image du cannabis à cette époque. Le rastafarisme, qui avait conquis le coeur et les cultures kanak et aussi françaises, permit de relaxer les esprits et les mœurs. Il était courant de laisser la porte de chez soi ouverte, les vols étaient rares durant cette époque. C’était un vrai petit coin de paradis où l’expression la plus commune était “casse pas la tête”. Certains lieux étaient reconnus comme des endroits où il était facile de se procurer de l’herbe en centre-ville et ses périphériques: le monument Américain, le port Moselle, le débarcadère de la navette pour les îles ainsi que différents Nakamal : Soweto, Kowe Kara…etc.

Pendant cette époque il suffisait de frotter la pierre d’un briquet pour faire signe que vous cherchiez de l’herbe et quelqu’un venait à votre rencontre très rapidement. Cette belle époque aura marqué les esprits, il était possible de rencontrer des inconnus en bord de route, développer une amitié instantanément et visiter des plantations qui faisaient parfois plusieurs hectares en toute impunité, comme si cela était légal. Ceux qui ont vécu cette époque vous parleront de champs à perte de vue, de culture du partage, du respect de la terre. Le racisme disparaissait dans cet état d’esprit plutôt “roots”. Il était normal qu’une plante se partage, et le plus souvent en milieu naturel, rendant l'expérience unique, ce qui conquit beaucoup de coeurs et d’esprits.

Pendant ces années, l'arrivée de nouvelles génétiques européennes, comme la White Widow,l’Amnesia, la Purple, marqueront aussi les esprits car ces génétiques se “marieront” parfaitement avec les souches locales offrant des phénotypes adaptés avec des rendements faramineux. Avec une terre riche, un soleil brillant 300 jours par an, des pluies éparses (pas de période de mousson) et des températures comprises entre 18 et 38 degrés, le cannabis ne demande rien de plus pour exposer le maximum de son potentiel dans cette partie du monde.

L’apparition du business

En 2005, il était dorénavant impossible d’acheter un journal pour quelques dizaines d’euros. Sur Nouméa . L’enveloppe postale (entre 8 et 14 g) pour environ 40 euros fut la normalisation du tarif pour la ville. Suite à des cyclones et des périodes de sécheresse, une notion de pénurie a commencé à s’installer sur Nouméa, plus communément appelée la “dèche”. Certaines personnes ont saisi cette normalisation du prix, et de cette demande en hausse, pour grassement s’enrichir, enchaînant les “aller-retour” plusieurs fois par semaines, il était dorénavant possible de faire des milliers d’euros avec quelques kilos achetés à moins de 200 km du lieu de revente. Ce qui annonça la fin totale de la “belle époque”.

Du fait que certains résidents de Nouméa profitent largement de ce marché au détriment des cultivateurs en milieu tribal (le prix de revente était parfois supérieur à 100 fois du prix acheté) il ne faudra pas longtemps aux cultivateurs tribaux de s'aligner avec les tarifs de la ville. Pourquoi vendre le fruit de son labeur 100 fois moins cher à quelqu’un qui n'a fait que 2 heures de trajet ? Comprenant un manque à gagner, il n’aura fallu que peu de temps pour complètement faire disparaître cette notion de partage et de plante mystique; le business est d’ordre et cette plante est devenue une monnaie pour beaucoup. En parallèle, les autorités françaises commencent sérieusement à faire la chasse aux cannabis : il n’y a qu’une seule route qui mène à la capitale, ce qui rend les contrôles faciles et inévitables. Cette chasse au cannabis cultivé en milieu rural et tribal contribuera elle aussi à une hausse des prix du marché. Officiellement, plus d’un million de plantes ont été arrachées par les gendarmes depuis les années 2000, nous rappelons que la population excède à peine les 250 000 personnes. Et plus de 2 tonnes sèches ont été saisies, ces chiffres sont bien loin de la réalité, car toutes les saisies ne sont pas quantifiées et annoncées au grand public.

La descente aux enfers

En 2010, il était quasiment impossible de trouver du cannabis de bonne qualité a moins de 10 euros le gramme aux abords de Nouméa. Certaines communautés non locales (wallisiennes, vietnamienne et autres) commencent aussi à percevoir un marché lucratif en plein essor. Des réseaux conséquents s’organisent, et se font démantelés, les prix eux, ne font que monter. La qualité elle, n’est plus là car « le temps c’est de l’argent » et personne ne veut prendre le temps de sécher et de curer les plantes comme il se doit. Il devient maintenant difficile de trouver une enveloppe sur Nouméa. On parle dorénavant de sachets, avec un prix côtoyant ceux des coffee-shops d’Amsterdam pour une qualité médiocre : des branches, des feuilles des graines, de la moisissure, et parfois même différents insectes.

La jeunesse mélanésienne voit dans le cannabis une source de revenue rapide. L’expertise, la patience et le savoir-faire laissent place à des plantations hâtives, récoltées avant l’heure, pleines d’engrais minéraux de qualité largement contestable et une mise en sachets plastique sans séchage ni manucure, altérant largement terpènes et trichromes. Il est maintenant difficile d’avoir un pied de cannabis dans son jardin sans se le faire voler, même si ce dernier n’est pas prêt à être consommé, car il représentera une possible source de revenus pour le voleur…Pourquoi passer des mois à cultiver la terre et dépenser de l'énergie quand les autres peuvent le faire pour vous? Même en milieu tribal, les vols commencent à se multiplier, ce qui pousse aux règlements de comptes, provoquant parfois des fusillades mortelles ou des attaques à l’arme blanche. Le cannabis est maintenant perçu par le milieu tribal mélanésien comme une source d’ennuis potentiels, créant de la jalousie et des conflits.

L’auto-production

En 2014-2015, on peut constater l’apparition des premiers growshops sur Nouméa. Les habitants de Nouméa subissent des prix exorbitants, parfois allant jusqu'à 25 euros le gramme d’herbe qui pousse en extérieur pendant les périodes de “dèche”. Dix ans avant cela, nul n’aurait jamais pensé à faire pousser cette plante en intérieur, certaines personnes rigolant même du fait que des plantations en Europe soient faites dans des hangars sous lampes… Pourquoi payer une facture d'électricité pour faire pousser une plante ? Depuis 2015, le nombre de growshops s’est multiplié par 8. La culture de souches locales est abandonnée, et ce au profit des strains venant d’Europe et d’Amérique. Certaines personnes continuent les voyages en tribu pour le “business”, mais la tendance est maintenant à l’autosuffisance pour les consommateurs réguliers.

Même avec des conditions climatiques parfaites, et un sol riche, il est préférable de faire pousser en intérieur pour éviter les vols ou les dénonciations. Ceci implique bien sûr un surcoût car le prix de l'électricité est un des plus chers au monde, dû à un monopole du marché de l'énergie. De plus, une climatisation est requise les ¾ de l'année, ce qui alourdit nettement la facture en fin de mois, et donc le prix final du produit. Au moins, les cultivateurs ne sont plus dépendants d’un marché volatile, des conditions climatiques et de prix non justifiables pour une qualité souvent médiocre.

Conclusion

Pour les personnes ayant vécu en Nouvelle Calédonie depuis plus de 30 ans, le constat est accablant … La culture sociale relative au cannabis a totalement changée, cet attitude “roots” à quasiment disparu. Cette île longtemps considérée comme le paradis des amateurs de sinsemilla a laissé place à un marché sans contrôle, et des prix non justifiés, parfois exorbitants. Une chasse à la plante perpétuelle par les autorités pousse encore plus ces prix à la hausse. C’est un marché noir qui détruit les tissus sociaux plutôt que de les resserrer comme c'était le cas dans le passé; lorsqu’il y en avait pour tout le monde. La patience n’est plus d'actualité, il faut tout maintenant, et sans attendre, sans même apprécier les choses simples que la nature a à nous offrir. Il est difficile de voir un futur positif pour cette plante avec le peuple de Calédonie. Une dépénalisation est souhaitée par la majorité de la population mais n’est pas encore d’actualité dans les rangs politiques. L’alcool est souvent responsable des drames dans ce pays, et le cannabis y est malheureusement associé et stigmatisé par les médias et le gouvernement, parfois légitimement et le plus souvent à tort. Certaines îles françaises et relativement proches, ont eu une destinée différente, notamment Tahiti dont nous parlerons dans un prochain numéro.

L'arrière-cour d’un jardin de Nouméa.
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Bud de Sativa de Nakety (Canala)
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Tribu de Gondé (Houailou)
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Sativa de Thio, 140 jours de floraison.
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