Faire le joint entre le cannabis et la rétinne

Soft Secrets
19 May 2014

Le CHU de Nancy étudie les effets de la drogue sur le cerveau visuel


Le CHU de Nancy étudie les effets de la drogue sur le cerveau visuel

Pour la première fois, le CHU de Nancy étudie les effets de la drogue sur le cerveau visuel.

Ils fument au minimum sept joints par semaine. Souvent beaucoup plus : trois, quatre, cinq par jour. Parfois, peu en semaine et beaucoup le week-end. Certains roulent le premier avant midi. D’autres attendent le soir. Ce sont des hommes, des femmes. Des chômeurs, des cadres sup, des étudiants. Ce sont 250 fumeurs de cannabis recrutés par le CHU de Nancy (Meurthe-et-Moselle) pour participer à une étude, la première du genre, qui cherche à comprendre les effets du THC (tétrahydrocannabinol) sur le «cerveau visuel». Ce sont des volontaires «en grand questionnement sur les conséquences de leur consommation», soulignent le psychiatre Vincent Laprévote et le professeur de psychiatrie Raymund Schwan, qui pilotent cette recherche baptisée Causa Map. La détermination de ces fumeurs à «en savoir plus» a d’ailleurs été la première surprise des chercheurs.

Eux anticipaient surtout des difficultés à travailler sur un produit illégal. Pour trouver des témoins, ils ont lancé un appel dans les médias locaux. Contre toute attente, ils ont très vite croulé sous les candidatures. Comme si la curiosité du public répondait à celle des chercheurs. «Le cannabis est un produit massivement consommé en France. Et pourtant, on sait finalement très peu de choses sur ses effets», soulignent-ils. La littérature scientifique a étudié des fonctions très complexes comme la mémoire et l’attention, «donc des fonctions en aval du fonctionnement de l’information», précise le duo de chercheurs. Son ambition : étudier le problème «à la base». C’est-à-dire «observer là où l’information arrive en premier : la rétine de l’œil, qui est un prolongement du cerveau».

Béquille. D’un point de vue administratif, observer des consommateurs de cannabis demande beaucoup de précautions : on ne peut pas faire un listing de fumeurs de joints, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) y veille. Les données récoltées sont anonymisées, via un code pour chaque témoin. Ils sont par ailleurs reçus discrètement, comme si de rien n’était : hors de question qu’ils fassent l’objet d’une forme de repérage lors des consultations. Ils ont rendez-vous au service de neurologie du CHU, point.

Tout commence par un entretien avec l’un des médecins. «J’ai toujours bien vécu avec le chanvre, que je gère facilement, explique par exemple un homme de 36 ans. Mais si je peux aider la science à comprendre les effets d’une consommation chronique…» Une femme, atteinte d’une sclérose en plaques, assure que le cannabis lui «fait du bien». Elle veut participer pour «démontrer quelque chose». D’autres se sentent «prisonniers» de leur consommation. Les joints sont tantôt une béquille, un calmant, un somnifère, un antidépresseur, une récompense. A chacun le sien. «Les gens nous font confiance, souligne Vincent Laprévote. Ils viennent nous confier quelque chose.» Et sont comme soulagés de pouvoir parler d’une consommation que l’on tait la plupart du temps. Ce qui les distingue des accros aux cigarettes et des alcooliques ? «Justement, cette envie de savoir», insistent les chercheurs. De fait, les messages sanitaires sur le cannabis oscillent entre légèreté totale et discours alarmants(par exemple «tous finiront schizophrènes ou héroïnomanes»). «C’est important d’apporter de l’information, sans faire de l’idéologie dans un sens ou l’autre», soulignent Laprévote et Schwan.

Comme il n’existe pas de joint étalon, chacun raconte la dose de résine ou d’herbe qu’il roule : «Ça donne du relief aux consommations.»Et permet aux témoins de prendre conscience du budget que la fumette représente dans leurs vies. A tous, une aide pour arrêter est systématiquement proposée.

Bonnet de bain. Les chercheurs expliquent que le système endocannabinoïde est présent naturellement un peu partout dans le cerveau et dans la rétine. Il joue un rôle régulateur de transmission entre les neurones. Quand il est perturbé par du cannabis venu de l’extérieur, il y a des conséquences sur la vision, sur le cerveau visuel, le cortex occipital. Donc«observer la rétine de l’œil évite de faire un trou dans le crâne pour aller voir comment ça marche à l’intérieur». Ophtalmos, psychiatres, neurologues, toxicologues de Nancy, Strasbourg et Paris sont associés à cette étude. Soit une vingtaine de chercheurs.

Trois groupes test ont été constitués. Celui des fumeurs de joints est le plus gros. Un deuxième rassemble des fumeurs de cigarettes. Et le troisième, des gens qui ne fument ni cigarettes ni joints, rien. Soit 450 volontaires. Pour s’assurer que les témoins ne sont pas pris dans d’autres addictions (alcool, amphétamines), un bilan de santé et des tests urinaires sont pratiqués. Causa Map va les occuper deux demi-journées en tout.

Il leur est interdit de fumer dans les vingt-quatre heures qui précèdent leur convocation. «Et bien sûr, rien n’est fourni sur place», précisent les chercheurs. La phase la plus contraignante, c’est le port d’une sorte de bonnet de bain recouvert de 64 électrodes reliées à un ordinateur qui enregistre les signaux cérébraux. Rien que la pose des capteurs prend quarante-cinq minutes. Le test est calibré pour mesurer les étapes du traitement cérébral de la vision. C’est-à-dire comment le cerveau reconstitue ce qu’on a vu. Pour ça, les chercheurs montrent des visages : «Il n’y a rien de plus banal qu’un visage et pourtant, on est capable de les distinguer. C’est un excellent exemple de la façon dont le cerveau encode et reconstitue», résument-ils. Les résultats de Causa Map seront connus dans un an.

Marie-Joëlle GROS Envoyée spéciale à Nancy

Source: http://www.liberation.fr/
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