Ce Français atteint du VIH se soigne à la weed

Soft Secrets
10 Feb 2015

4 à 5 pilules de moins


4 à 5 pilules de moins

 


« Je préfère prendre de l'herbe que des médicaments », m'annonce Dominique [son nom a été changé] tandis que nous nous rencontrons chez lui, dans le sud de la France. Le cannabis, Dominique en consommait quand il était jeune à des fins récréatives. Il le fait aujourd'hui par nécessité, en avance d'une loi de libéralisation qu'en France, les malades attendent toujours. À 59 ans, dont vingt ans en compagnie du VIH et de l'hépatite C, Dominique est une pharmacie ambulante, contraint de prendre 17 pilules par jour pour lutter contre ses maladies.

Au début des années 2000, il avalait jusqu'à 30 produits par jour ; les uns étaient censés combattre les effets secondaires des autres. « À force, je devenais anorexique. J'en étais réduit à prendre des compléments alimentaires » explique-t-il, navré. Les diarrhées, l'hypersensibilité des terminaisons nerveuses (dû à la neuropathie périphérique), les contractures musculaires, les nausées et abcès à répétition, la dépression, les pulsions suicidaires – bref le meilleur du pire –, Dominique a tout connu.
Avec l'âge, il a partiellement renoncé aux autres drogues. Il a définitivement arrêté la cigarette, presque mis un terme définitif à sa consommation d'alcool mais persiste à rouler des joints au quotidien. 

« Je fume de l'herbe pure : ça me redonne de l'appétit, d'abord. Puis ça me sert de relaxant musculaire et me permet de garder le moral. Ça remplace au moins quatre ou cinq pilules de mon traitement traditionnel et je ne subis aucun effet secondaire. »
Et ce d'autant que la consommation de Dominique, raisonnable selon ses dires, provient en grande partie de sa récolte personnelle. Sur son balcon dans la région Midi-Pyrénées, il fait pousser quelques pieds d'une herbe bio qu'il estime moins forte et plus saine que celle que l'on trouve dans la rue, souvent bourrée d'engrais pour pousser au plus vite sous serre ou dans les placards



Désormais soucieux de sa santé, ce rescapé des années 1980 suit à la lettre les recommandations alimentaires du ministère : il mange cinq fruits et légumes, louant même les vertus des algues, cœurs d'artichaut et autres radis noirs – et se permet de compléter ce régime par un joint. Dominique n'est pas le seul porteur du VIH à y croire. Sur les forums internet et groupes de parole, nombre de malades affirment que le cannabis est plus efficace que ce que fournit actuellement l'industrie pharmaceutique. 

« L'expertise de ces malades mérite d'être mieux entendue. Il faut notamment se poser la question du rapport bénéfice/risque du cannabis, comparé par exemple aux opiacés, en ce qui concerne la lutte contre les douleurs persistantes » explique Antoine Henry, responsable communication et médias de l'association engagée dans la lutte contre le sida Aides. 

La commercialisation dans les semaines qui viennent du Sativex, un médicament à base de cannabis, ne devrait pas changer la donne, estime-t-on à l'Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine (UFCM iCare). L'association, qui milite pour un assouplissement de la législation, relève en effet que le produit est réservé seulement aux personnes atteintes de sclérose en plaque sur lesquels tous les autres traitements ont échoué – ceci excluant de facto les autres malades. Ensuite, autant son mode d'administration (spray buccal) que sa composition font polémique. Bernard Rambaud, le président d'lUFCM iCare – et lui-même porteur du VIH –, préfère ainsi soulager ses maux avec des variétés d'herbe sélectionnées pour un usage médical achetées en pharmacie aux Pays-Bas ou en Allemagne. Et plutôt que le spray ou les joints, il a opté pour le vapotage, les infusions ou les gâteaux. 

Quoi qu'il en soit, sa consommation d'herbe lui a permis de réduire fortement sa consommation d'opiacés prescrits par son médecin. « Et après ça, on viendra me dire que je me drogue. C'est aberrant, d'autant plus quand je pense à la dépendance entraînée par tous ces médicaments qui sont remboursés par la Sécurité sociale », soupire Rambaud. Un constat désabusé qui illustre combien l'Hexagone demeure à la traîne de ses voisins européens et américains sur cette question. 


Il n'en a pas toujours été ainsi. Dans la France de la fin du XIXe siècle, non seulement l'usage récréatif était légal (le nom officiel de l'ancêtre d'Altadis était à l'époque Régie des tabacs et du kif) mais encore le cannabis s'utilisait pour soigner toutes sortes de maux. Les laboratoires pharmaceutiques ne parvenant pas à isoler son principe actif, ni à le dissoudre dans l'eau en vue d'une injection (considérée alors comme un moyen moderne et efficace d'administration d'un médicament), ils l'ont peu à peu abandonné dans les décennies qui ont suivi, au profit des opiacés. 

En 1937, les États-Unis ont donné le coup de grâce en adoptant la Marihuana Tax Act, un texte fiscal qui a prohibé de facto la production, distribution et consommation de cannabis pour quelque usage que ce soit. Après la Seconde Guerre mondiale, cette interdiction s'est étendue à la quasi-totalité de la planète. D'autant que l'OMS a alors décrété que la plante n'avait « aucun intérêt médical ».
La diffusion du sida dans les années 1980 a en quelque sorte redonné sa chance au cannabis. À l'origine, les malades en prenaient pour lutter contre les effets secondaires des traitements, à commencer par la perte de l'appétit. Et ce, à défaut d'alternative. 

« Beaucoup de molécules comme les amphétamines ont un effet anorexigène. Peu ont l'effet inverse » souligne le Dr Bertrand Lebeau, auteur de La Drogue, idées reçues, paru aux éditions Le Cavalier Bleu. 

Au fil des ans et par le bouche-à-oreille, un nombre croissant de patients s'est converti à cette forme particulière de phytothérapie – fondée, comme sa racine grecque l'indique, sur les plantes. On ne dispose pas de chiffres sur la France mais des enquêtes américaines montrent une fréquence d'utilisation allant de 23 % à 37 % chez les patients. Cette résurgence du cannabis ne saurait cependant s'expliquer entièrement par des raisons médicales : « Les nouveaux traitements contre le SIDA ont moins d'effets secondaires » poursuit le Dr Bertrand Lebeau. Entre l'usage médical et récréatif, la frontière demeure ténue, aujourd'hui comme hier.

Source : http://www.vice.com/

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