Cannabis: les médecins redoutent la légalisation

Vers des assises nationales?
Vers des assises nationales?
Et si les joints étaient autorisés… Une étude de Terra Nova évalue les bénéfices qu’en retirerait l’État. Les addictologues pointent, eux, les risques pour les adolescents.
Pour limiter la consommation de cannabis, légaliser serait plus efficace que réprimer… C'est l'une des conclusions d'une étude du think tank Terra Nova, révélée par Le Monde, qui a analysé trois scénarios : la dépénalisation de l'usage du cannabis, la légalisation (production, vente et usage) dans le cadre d'un monopole public, et la légalisation dans un cadre concurrentiel. Selon les cas, ce seraient 300 millions d'euros d'économies par an et jusqu'à près de 2 milliards de recettes pour l'État. Mais la fin de l'interdiction du cannabis entraînerait aussi une hausse de la consommation, alors qu'environ 1,2 million de Français en fument déjà régulièrement.
Avec quelles conséquences en matière de santé publique? Les spécialistes s'inquiètent pour les plus sensibles, la population des 15-24 ans, dont le cerveau est en pleine construction. Le cannabis peut en effet entraîner des atteintes du QI, de la mémoire, des fonctions cognitives, des risques de dépression ou d'aggravation de maladies mentales. Autre élément inquiétant, le taux de THC du cannabis (la principale molécule active) a doublé en dix ans. "Cela n'a plus rien de baba cool. Ce que cherchent les 14-15 ans dans le pétard, c'est un effet rapide pour se calmer. Or une herbe très titrée en THC peut entraîner des décompensations, des états délirants, une ivresse prononcée", avertit le psychiatre Xavier Pommereau, directeur du Pôle aquitain de l'adolescent au CHU de Bordeaux.
De la répression pour les jeunes
Pour ce spécialiste, "le scénario de Terra Nova d'une légalisation avec monopole d'État, qui compare le cannabis à un bien marchand comme le tabac, ne peut s'appliquer. L'idée qu'en augmentant le prix du gramme de cannabis de 6 à 8,40 euros la consommation et le marché noir baisseront est à côté de la plaque d'un point de vue de santé publique! Si le cannabis de l'État n'est pas assez fort en THC, les jeunes iront ailleurs. Et en matière de danger, il faudrait plutôt comparer cannabis et vodka", regrette-t-il. S'il n'est pas du tout hostile à une dépénalisation, Xavier Pommereau l'assortirait d'une répression ciblée à l'adresse des jeunes. "Un ado ne s'élève pas seul, il lui faut un cadre, interdire l'ivresse publique dans la rue, qu'elle soit cannabique ou alcoolique. Et tester systématiquement la présence de ces deux substances sur la route et dans les accidents domestiques les plus courants."
Pour le psychiatre et addictologue Laurent Karila, vice-président de SOS addictions et favorable à une dépénalisation, il faudrait organiser "des assises nationales, une réflexion rassemblant psychiatres, sociologues, biologistes, juristes et politiques pour faire enfin évoluer cette loi inappliquée qui entraîne des dépenses inutiles." Il se dit même ouvert à une légalisation à condition que "50% de l'argent récolté par l'État soit investi dans la prévention, la recherche, des centres de soins, et pas dans des campagnes ponctuelles". Un vœu pieux, selon le psychiatre Olivier Phan : "Pour les autorités, la légalisation, c'est l'abandon. Regardez ce qui se passe pour l'alcool ou le tabac, pourtant interdits aux mineurs! Pour les ados les plus faibles, le fait que la société interdise le cannabis nous donne encore les moyens de les repérer et de les aider." Le débat est relancé…
Source : http://www.lejdd.fr