Cannabis et fibromyalgie

Soft Secrets
02 Jun 2014

Une étude naturaliste


Une étude naturaliste

La fibromyalgie est un trouble d’origine inconnue mais très invalidant qui, précisément parce que l’on ignore son étiopathogénie (causes), conjugué à l’absence de traitements spécifiques efficaces, a finalement été reconnu comme une maladie. Une étude de type « naturaliste » (d’observation) réalisée à Barcelone vient d’être publiée. On y a évalué les avantages perçus de l’automédication avec du cannabis sur un groupe de femmes souffrant de cette maladie. Il s’agit de l’une de ces rares études scientifiques dont les résultats peuvent se révéler d’une utilité clinique immédiate autant pour les patients que pour les médecins.

On pense que la fibromyalgie est un trouble d’origine neuropathique, c’est-à-dire, causé par une altération du système nerveux.

Les points douloureux de la fibromyalgie

S’il existe différentes théories qui tentent d’en expliquer les causes, tous les spécialistes s’accordent à dire qu’il s’agit d’une maladie d’origine organique, avec des causes physiques reconnues, même si à l’heure actuelle, il n’existe aucun marqueur clinique permettant de poser un diagnostic et que le diagnostic repose uniquement sur les manifestations cliniques décrites par les patients. Ces théories vont d’un dérèglement des systèmes de neurotransmission (principalement la dopamine et la sérotonine), jusqu’à un dysfonctionnement des mécanismes physiologiques liés à la régulation du stress (ce que l’on appelle en jargon médical, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien). D’autres théories expliquent que les symptômes sont dus à une altération du système immunitaire. Quoi qu’il en soit, le traitement avec du cannabis semble cadrer avec chacune de ces théories, puisque l’on sait, par exemple, que le système endocannabinoïde est impliqué dans les fonctions physiologiques telles que la régulation des systèmes dopaminergiques et sérotoninergiques ou la régulation de la réponse physiologique au stress. En outre, le système immunitaire contient un très grand nombre de récepteurs CB2, ce qui le rend très réactif aux cannabinoïdes, autant endogènes qu’exogènes. De fait, le principal symptôme de la fibromyalgie est un seuil de tolérance à la douleur très bas et la sensation subjective de la douleur est moyenne, en raison, entre autres, des trois processus physiologiques mentionnés. Par conséquent, indépendamment des causes, il semble cohérent de penser que le traitement de la fibromyalgie avec des cannabinoïdes peut constituer une option thérapeutique envisageable. À plus forte raison lorsque d’autres troubles présentant une douleur neuropathique et dus à des altérations immunitaires, comme la sclérose en plaques, sont traités avec des cannabinoïdes (le Sativex, premier médicament commercialisé contenant des extraits de cannabis, a récemment été autorisé en Espagne précisément pour traiter la sclérose en plaques). De fait, tout un groupe varié de syndromes cliniques fonctionnels restent pour l’instant sans explication médicale claire, comme la migraine ou le colon irritable, parmi lesquels se trouve la fibromyalgie, et pour lesquels le traitement avec du cannabis s’est révélé efficace chez certains patients. C’est pour cela que le chercheur Ethan Russo a proposé l’explication selon laquelle la cause commune à ces troubles repose sur un dérèglement du système cannabinoïde endogène (http://es.scribd.com/doc/43672268/Clinical-Endocannabinoid-Deficiency-CECD-Russo), ce qui, pour l’instant n’est qu’une hypothèse parmi tant d’autres pour expliquer ces syndromes cliniques ; parce qu’ils partagent un certain niveau d’efficacité dans le traitement avec du cannabis, l’idée semble pour l’instant plausible. D’autres symptômes propres à la fibromyalgie, en plus de la douleur qui, comme nous l’avons dit, est le principal symptôme, sont une fatigue chronique, une raideur matinale, un sommeil constant et des problèmes affectifs.

L’étude en question, réalisée à l’Institut Municipal d’Investigació Mèdica de Barcelone, a été publiée dans la revue scientifique gratuite PLoS One (http://www.plosone.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0018440).

Etudes et statistiques
Un total de 56 femmes, d’une moyenne d’âge de 50 ans, atteintes de fibromyalgie participèrent à cette étude. Seule la moitié d’entre elles prenaient du cannabis à des fins d’automédication. Toutes les femmes souffraient d’un degré de maladie oscillant entre modéré et fort, conformément aux critères de l’American College of Rheumatology. Les femmes ont été recrutées auprès de quinze associations différentes de patients atteints de fibromyalgie et d’un club de consommateurs de cannabis, tous situés à Barcelone. Les deux groupes étaient comparés en termes de variables sociodémographiques, de manifestations cliniques de la maladie (types de symptômes subis) et de traitements pharmacologiques reçus, tant allopathiques que basés sur les médecines alternatives. 40 % des femmes du groupe cannabis en consommait depuis moins d’un an, 32 % depuis 1 à 3 ans et les 29 % restants depuis plus de 3 ans. Seulement 8 des 28 femmes avaient consommé du cannabis à des fins récréatives avant de tomber malade. Toutes les patientes consommaient de la marijuana : 54 % la fumait, 46 % la cuisinait avant de la consommer et 43 % combinait les deux pratiques. 11 femmes en prenaient tous les jours ; 5, entre 2 et 4 jours par semaine ; 3, moins de 2 jours par semaine, et 8, seulement à l’occasion. Chaque prise impliquait entre 1 et 2 cigarettes pour les femmes qui la fumaient et une cuillerée pour celles qui la mangeaient. 12femmes fumaient une cigarette de marijuana par jour ; 5, entre 2 et 3, et 3, plus de 3 par jour. En ce qui concerne les sources d’approvisionnement, 14 femmes obtenaient la marijuana par l’intermédiaire de la famille et des amis ; 7, auprès du marché illicite ; 5, cultivaient leurs propres plants, et 2 se fournissaient auprès d’une association de consommateurs. Parmi toutes les femmes du groupe cannabis, 19 tenaient leurs médecins informés de leur consommation. Enfin, 19 femmes du groupe cannabis (68 %) rapportèrent avoir diminué leurs traitements pharmaceutiques sur ordonnance grâce à l’automédication avec le cannabis. Les patientes qui utilisaient le cannabis comme automédication s’en servaient autant pour soulager la douleur que pour réduire les autres symptômes associés à la fibromyalgie.

On a fourni aux deux groupes une série d’échelles afin d’évaluer le niveau de gravité de la maladie : le « Questionnaire d’impact de la fibromyalgie » (http://www.institutferran.org/documentos/FIQ_espa%C3%B1ol_IFR.pdf), « l’Indice de qualité du sommeil de Pittsburg » (http://www.drmonteverde.net/files/GMM_2008-…pdf) et un questionnaire sur la qualité de vie nommé « SF-3 » (http://www.chime.ucla.edu/measurement/SF-36%20Spain.pdf). En outre, on a demandé aux femmes du groupe cannabis d’indiquer, sur une échelle de 1 à 5, le soulagement perçu après consommation de cannabis sur une série de symptômes : douleur, troubles du sommeil, raideur musculaire, troubles de l’humeur, anxiété, maux de tête, fatigue, fatigue matinale et troubles digestifs. Les patientes rapportèrent un soulagement pour la quasi-totalité de ces symptômes, dans des proportions allant de 81 % pour les troubles du sommeil à 14 % pour les maux de tête. Aucune femme ne constata d’aggravation des symptômes après consommation. On leur demanda également de noter de 0 à 100, deux heures avant et deux heures après la consommation, la diminution d’une série de symptômes : douleur, raideur, relaxation, somnolence et bien-être. Pour tous ces symptômes, elles ont ressenti une amélioration significative en comparant les notes effectuées deux heures après la consommation à celles effectuées deux heures avant. Enfin, des trois échelles susmentionnées fournies aux patientes, seule la sous-échelle « santé mentale » du questionnaire SF-36 présentait des différences entre les groupes, le groupe cannabis donnant une note plus élevée, ce qui impliquait que les bénéfices subjectifs rapportés ne se manifestaient pas nécessairement sous la forme d’une amélioration clinique. D’autres études ultérieures devront donc déterminer si le bénéfice rapporté par les patientes atteintes de fibromyalgie qui ont recours à l’automédication avec le cannabis est pertinent d’un point de vue clinique.

Cannabis et traitements pharmacologiques

En résumé, il s’agit d’une étude naturaliste qui présente des limites intrinsèques au moment d’en tirer des conclusions définitives, mais qui garantit parallèlement le bien-fondé écologique, puisqu’elle reflète bien le quotidien des patientes souffrant de ce type de pathologie. Quoi qu’il en soit, il convient de souligner que les patientes du groupe cannabis étaient réfractaires aux traitements habituels et en étaient arrivées à la solution du cannabis en dernier recours. Il serait intéressant d’étudier si, chez les femmes dont la maladie est moins résistante au traitement, le cannabis pourrait se révéler plus efficace que les traitements pharmaceutiques utilisés, qui entraînent d’importants effets secondaires. Quoi qu’il en soit, le fait est que la consommation de cannabis leur a permis de réduire d’autres médicaments, de ne pas subir des effets secondaires importants après la consommation et de ressentir une diminution des symptômes. Étant donné que les médicaments utilisés présentent une faible efficacité dans le traitement des symptômes, toute forme de soulagement à un coût physiologique modique peut déjà constituer un grand progrès dans le traitement de leur maladie. Dans un autre ordre d’idées, des études comme celle-ci permettront à l’avenir de déterminer si des maladies comme la fibromyalgie sont dues à un dérèglement du système endocannabinoïde et ainsi, de mieux connaître l’étiopathogénie de cette maladie très invalidante.

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