Dépénalisation du cannabis : le mauvais tour du Président Macron

Soft Secrets
28 Jan 2018
L’intervention du ministre de l’intérieur Gérard Collomb sur la radio Europe 1 jeudi dernier est le dernier épisode de ce feuilleton sur la contraventionnalisation. Alors que l’on aurait pu espérer, il y a encore quelques mois, un assouplissement de la législation sur le cannabis, c’est finalement un renforcement des lois prohibitionnistes que propose aujourd’hui le Président Macron. A l’époque ou il était ministre de l’économie du gouvernement Hollande, Emmanuel Macron se distinguait par une certaine liberté de parole. Alors que François Hollande avait choisi le statu quo sur l’ensemble de son quinquennat, en refusant toute évolution dans le domaine du cannabis et en souhaitant « maintenir l’interdit », le futur candidat Macron se disait lui, intéressé par certains avantages de la légalisation. Après avoir demandé un temps de réflexion, Emmanuel Macron avait finalement tranché dans son livre « Révolution » publié en septembre 2017 : ce sera la dépénalisation ! A l’instar de Justin Trudeau, le premier ministre canadien, le candidat Macron incarnait cette nouvelle génération d’hommes politiques briseurs de tabous et prônant aussi bien le libéralisme économique que sociétal. Le candidat Macron A l’époque, les candidats de gauche, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon avaient choisi d’aller plus loin en proposant la légalisation totale du cannabis. Mais les sondages étaient alors très favorables au séduisant Macron et certains consommateurs de cannabis ont alors peut-être décidé de voter pour lui par calcul. En l’absence d’accord entre Hamon et Mélenchon, le centriste Macron représentait la seule alternative à l’inévitable alternance et au retour de la droite dure. Emmanuel Macron a alors amené quelques précisons sur cette nouvelle mesure. Il s’agissait en fait d’un type de dépénalisation : la contraventionnalisation. Comme nous l’ont expliqué à l’époque Macron et ses porte-paroles, la contraventionnalisation serait bien juridiquement une dépénalisation puisque les simples usagers ne pourraient plus être déférés devant les tribunaux et seraient sanctionnés d’une simple amende. Les plus optimistes d’entre nous ont alors pu penser qu’il s’agissait d’une véritable évolution, premier pas vers l’inévitable légalisation du cannabis. Le double discours Macron et son équipe pratiquaient à l’époque un double discours. Devant les jeunes et les personnes favorables à la légalisation, ils mettaient en avant le terme « dépénalisation ». Devant un électorat plus âgé et de droite, désemparé après la chute du candidat Fillon, le futur Jupiter et ses partisans présentaient cette nouvelle mesure comme un outil sécuritaire au service d’une politique de « tolérance zéro». La mise en place de ces contraventions permettrait à chaque fumeur interpellé d’être réellement sanctionné, ce qui n’est pas le cas actuellement. Même si la loi prévoit jusqu’à un an de prison ferme et 3750 euros d’amende, dans les faits, la plupart personnes interpellées se retrouvent seulement avec leur cannabis confisqué ou avec un simple « rappel à la loi », sans amende ni passage devant le tribunal. A la fin de l’été 2017, quelques mois seulement après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la république, la Mission parlementaire sur le contraventionnalisation a commencé les auditions des experts : policiers, magistrats, professionnels de santé ou associations d’usagers de cannabis. Dans le rapport remis cette semaine au gouvernement, les deux rapporteurs de la Mission parlementaire proposaient chacun une mesure différente. Le député républicain Robin Reda proposait une mesure proche de la dépénalisation qui permettrait de mettre des amendes aux consommateurs mais interdirait de les mettre en garde à vue ou en prison. Le député En Marche Eric Pouillat proposait lui, de conserver l’« amende délictuelle forfaitaire », une mesure qui existe déjà depuis 2016 mais très compliquée à mettre en place dans les faits. Il s’agit d’une mesure « à la tête du client » qui permet aux policiers et aux gendarmes de choisir entre la contravention ou le garde à vue suivie du tribunal. C’est cette formule qui a été préconisée par les forces de l’ordre durant les auditions. Avec cette mesure, la consommation reste un délit et il est toujours possible d’aller en prison pour simple usage de cannabis. Le Président Macron l’a confirmé jeudi par l’intermédiaire de son valet Gérard Collomb : c’est bien la mesure la plus répressive qui a été choisie. La contraventionnalisation sera présentée au printemps par la ministre de la justice Nicole Belloubet dans le cadre de la réforme pénale. Le « syndrome Jospin » Comment expliquer ce manque de courage politique lorsqu’il s’agit de réformer les lois sur les drogues ? Ce blocage s’explique simplement par la peur d’être accusé de « laxisme » par les hommes politiques de droite. Pour mieux comprendre cette situation, il faut remonter à la fin des années 90. A l’époque, l’ambiance était plutôt favorable à une prochaine légalisation du cannabis. Le premier ministre Lionel Jospin avait déclaré avoir déjà essayé le cannabis dans sa jeunesse et commençait à réfléchir à une éventuelle dépénalisation. Plusieurs événements, dont l’augmentation des statistiques de la délinquance et l’attitude de Lionel Jospin, ont fait basculer l’opinion publique. Les terribles attentats de New-York le 11 septembre 2001 ont créé une forte demande sécuritaire, et dans une grande confusion, le débat sur la légalisation a totalement disparu de l’espace public. En avril 2002, le candidat du PS Lionel Jospin a été éliminé dès le premier tour de l’élection présidentielle malgré un bon bilan économique. C’est bien cette accusation de laxisme dans le domaine de la sécurité qui a fait perdre Lionel Jospin et le cannabis faisait partie du package . Depuis, à chaque fois que la question de la légalisation du cannabis est évoquée par des hommes politiques, la droite tire à boulets rouges. La plupart des politiques de gauche et même du centre n’osent pas aborder le sujet de peur d’ouvrir cette fenêtre de tir. C’est bien cette peur d’être accusé de laxisme qui a fait reculer Emmanuel Macron. Des usagers en prison Selon le rapport de la Mission parlementaire, le montant de l’amende devrait se situer entre 150 et 200 €. Si l’amende n’est pas payée dans les 45 jours, la personne interpellée sera jugée devant un tribunal. Tous les consommateurs interpellés qui ne sont pas sanctionnés ou ont un simple rappel à loi pourraient être concernés par ces amendes. En partant sur une fourchette basse, soit 100.000 personnes et des amendes à 150 €, cette mesure pourrait rapporter 15 millions d’euros par an (100.000 x 150). Une partie de cet argent devrait servir à financer les tablettes hi tech dont seront équipées les gendarmes et les policiers pour tester les produits et vérifier les antécédents des personnes interpellées. Une véritable légalisation pourrait bien sur rapporter beaucoup plus, grâce aux taxes, aux charges sociales et à l’argent économisé par l’état. Cette mesure, qui concerne potentiellement plus de 5 millions de français, permet de mieux sanctionner les usagers et se trouve très éloignée de la dépénalisation évoquée par Emmanuel Macron. En ajoutant de nouvelles sanctions, cette future loi permettra de renforcer la prohibition et rendra le travail des forces de l’ordre plus efficace. L’usage du cannabis restera totalement illégal et il sera toujours possible d’envoyer des consommateurs de cannabis en prison. Aucune personne ne devrait être emprisonnée pour avoir consommé ou cultivé du cannabis. On dit souvent que cette loi n’est jamais appliquée mais selon les dernières statistiques disponibles, 1283 peines de prison ferme auraient été prononcées en 2015 en France pour simple usage de drogue. (OF)
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