Tunisie: l'intransigeance de la loi anti-cannabis fait déborder les prisons
Au moins un an de prison ferme pour simple consommation
Au moins un an de prison ferme pour simple consommation
En Tunisie, consommer du cannabis est systématiquement puni d'au moins un an de prison ferme. Une législation "rigide" qui "détruit des vies" et fait déborder les prisons, selon un collectif militant pour une réforme des peines.
Depuis la promulgation de la loi en 1992, "des dizaines de milliers de Tunisiens ont été condamnés. Pourtant (...) le nombre de condamnés et de consommateurs ne cesse d'augmenter. C'est la preuve que cette loi n'a rien de dissuasif, elle a échoué", dit "Al Sajin 52" (Le Prisonnier 52, d'après la loi relative aux stupéfiants), dans une lettre ouverte au chef du gouvernement.
Car la consommation de "zatla", la résine de cannabis, est sanctionnée par un à cinq ans de prison et la loi interdit aux magistrats de prendre en compte des circonstances atténuantes.
Résultat, plus de 50% des 13.000 personnes en détention provisoire et environ un tiers des quelque 11.000 condamnés ont été arrêtés en lien avec des affaires de stupéfiants, surtout le cannabis, selon des chiffres de l'ONU.
Et en raison du surpeuplement carcéral, "tu fumes un joint et tu te retrouves dans la même cellule qu'un mec qui a tué et un autre qui a violé", déplore M., un jeune Tunisien préférant garder l'anonymat et qui a passé "7 mois, 9 jours, 14 heures et 36 minutes en prison".
"Je fume régulièrement (du cannabis) mais je suis un gars bien et je viens d'une famille sans histoires. La prison était ma phobie. Et depuis que j'en ai fait, j'y pense toujours", trois ans plus tard, dit-il à l'AFP.
- Pas de dépénalisation -
Le collectif ne milite "pas pour la dépénalisation parce qu'il faut viser quelque chose d'atteignable et que les mentalités ne sont pas prêtes", explique à l?AFP Amal Amraoui, 25 ans, l'une de ses fondatrices.
Mais "nous voulons que la prison ferme soit abolie. Qu'on laisse l'amende, ou qu'on remplace la prison ferme par du sursis, des travaux d'intérêt général", plaide-t-elle, en déplorant les études et les carrières brisées par la prison.
"Les gens commencent à en prendre conscience. Avant, ils croyaient que les gens arrêtés étaient des racailles, aujourd'hui ils se rendent de plus en plus compte que ça peut arriver à n'importe qui, quel que soit le niveau social ou d'éducation", ajoute-t-elle.
L'idée d'une réforme de la loi est toutefois souvent mal vue, les consommateurs de cannabis continuant d?être perçus comme des criminels par une grande partie de la population.
Ainsi, récemment encore, Hechmi Hamdi, un homme politique coutumier des sorties médiatiques tonitruantes et dont le parti est arrivé deuxième aux élections de 2011, a appelé à décréter "l?état d?urgence" contre le cannabis, qualifié de "fléau national".
- "Humaniser" la loi -
Les ministères de la Justice et de la Santé examinent néanmoins les moyens d'"humaniser" la législation, explique à l'AFP Nabil Ben Salah, le directeur général de la Santé. Mais une dépénalisation n'est pas à l'ordre du jour.
"Les gens ont tendance à banaliser le cannabis alors qu'il est très nocif, notamment pour le cerveau des adolescents, et qu'il est capable de détruire énormément de cellules du cerveau", fait-il valoir.
Selon M. Ben Salah, une réforme envisageable serait d'autoriser le juge à prendre en compte les circonstances atténuantes avant de prononcer sa sentence.
Mais l?avocat d'Al Sajin 52, Ghazi Mrabet, évoque un système résistant aux évolutions car il existe selon lui un véritable "business" autour des arrestations liées au cannabis.
"Il arrive que des gens dont l'enfant a été arrêté pour consommation viennent me voir en étant prêts à tout pour qu'il n'aille pas en prison", y compris soudoyer policiers et magistrats, dit-il à l'AFP.
"Quand je refuse, ils s'adressent à d'autres avocats qui, d'après ce que me rapportent des clients, font en sorte que le test d?urine soit négatif ou que le nom disparaisse du PV", assure-t-il en évoquant un lucratif système de pots-de-vin.
D'un autre côté, "certains juges rendent leur verdict les larmes aux yeux" parce qu'obligés de condamner à de la prison ferme, affirme-t-il, en réclamant un "débat national".
Source : http://www.rtl.be