Trafic de drogues: à Marseille, les jeunes en première ligne

Soft Secrets
12 May 2013

Les filières utilisent de plus en plus les adolescents pour la vente de cannabis


Les filières utilisent de plus en plus les adolescents pour la vente de cannabis

Enquête De plus en plus, les filières utilisent des adolescents. Dettes et vols peuvent conduire à des exécutions. Jeudi, c’est un garçon de 17 ans qui a été tué.

Par OLIVIER BERTRAND Correspondant à Marseille

Jeudi soir, un garçon de 17 ans est mort dans les quartiers Nord de Marseille, le corps criblé de 23 balles de pistolet-mitrailleur. Ces derniers mois, plusieurs tentatives ont visé des mineurs. Un adolescent de 17 ans, déjà, avait été abattu en décembre 2011. Comment expliquer que des victimes aussi jeunes soient la cible de règlements de comptes, longtemps réservés à des hommes plus âgés, inscrits dans le grand banditisme ? Peut-être par le rajeunissement des acteurs dans les réseaux de vente de cannabis. Et par leur plus forte exposition, en première ligne.

Chercheur à l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice, Nacer Lalam a travaillé sur une base de données de l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis). Il a découvert qu’en 2008, près de 10% des trafiquants de cannabis interpellés en France avaient moins de 18 ans, un tiers avait moins de 21 ans (1).

Semi-banditisme. Déjà présents en aval du trafic, à la culture du cannabis, les mineurs se retrouvent aussi en amont, à la vente au détail. Les peines plus faibles qu’ils encourent poussent les dealers à les placer aux avant-postes. Le développement des réseaux oblige aussi à recruter plus jeune, pour faire face au besoin de main-d’œuvre, et la progression d’aînés vers un semi-banditisme libère également des places pour la génération suivante.

Au départ, des gamins en rupture de scolarité trouvent dans ces réseaux de vente une socialisation de substitution. Un modèle de réussite, aussi, dans des cités où l’emploi se fait rare. Mais ce modèle est trompeur. Ancrés dans le présent, incapables de se projeter, les plus jeunes pensent trouver de l’argent facile. Ils réalisent plus tard que très peu s’enrichissent dans le trafic. Les petites mains ont surtout droit à la précarité. Les recherches menées sur le sujet montrent que leurs gains sont modestes, rapportés au nombre d’heures travaillées, aux risques encourus (2). Cela pousse les plus téméraires à brûler les étapes, échapper à la soumission, pour gagner vraiment de l’argent. Mais l’émancipation les met en concurrence avec des trafiquants plus aguerris, qui leur rappellent très vite que dans le trafic de drogue, il n’y a pas de prud’hommes. Les différends se règlent de façon plus expéditive.

Concurrence. Même pour ceux qui respectent une progression prudente, le risque d’exposition aux règlements de comptes augmente à mesure que l’on grimpe les échelons. Qu’est-ce qui motive ces tueries ? Les dettes, la concurrence. Un fournisseur avance, par exemple, quelques kilos de produit, mais le vendeur dépense à mesure qu’il vend et une fois la marchandise écoulée, il ne peut pas rembourser. L’endettement peut aussi venir des «carottages», les vols de produit, plus fréquents qu’ailleurs à Marseille, ville peu fiable, où les importateurs préfèrent livrer en quantités moins importantes, pour limiter les risques, raconte un policier de l’Ocrtis. Celui qui se fait voler sa marchandise se retrouve lui aussi dans l’incapacité de rembourser le fournisseur, s’il n’a pas payé d’avance. Cela se règle souvent dans le sang.

Même chose lorsque le produit tombe entre les mains de la police (avec 61,2 tonnes, les saisies de cannabis ont augmenté de 6,1% en France en 2012 selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales). En mars, à Marseille, la police a ainsi trouvé 80 kilos de résine de cannabis en faisant une descente aux Micocouliers, la cité d’Iskander, le garçon tué jeudi soir. Il était connu pour des infractions mineures à la législation sur les stupéfiants. Sa mort a-t-elle un lien avec la dette qu’a pu provoquer cette saisie ? C’est une des hypothèses sur lesquelles travaille la police judiciaire, saisie du dossier.

Éparpillement. Les règlements de comptes viennent aussi des frictions entre points de vente. Le trafic de cannabis s’est démocratisé à mesure que le prix baissait (selon l’Ocrtis, la résine a perdu un quart de sa valeur depuis le milieu des années 90 et le prix du gramme d’herbe a été divisé par deux). Cela provoque un éparpillement des lieux de trafic, des concentrations et des luttes pour protéger ou développer son chiffre d’affaires. Pas plus de tribunaux de commerce que de droit du travail : les rafales tranchent régulièrement les litiges. A Noël 2011, l’un d’eux s’était traduit par un triple homicide. Trois garçons âgés de 19 à 20 ans avaient été exécutés, leurs corps carbonisés, selon la méthode du «barbecue» (Libération du 11 janvier 2013). Deux étaient originaires des Micocouliers, comme Iskander. Sa mort a-t-elle à voir avec cela ? La PJ se pose la question.

(1) «La participation des jeunes dans le trafic de stupéfiants», publié dans «L’intervention sociale à l’épreuve des trafics de drogue», actes d’Ateliers professionnels tenus à Marseille en mai 2010. (2) «Le trafic de cannabis en France. Estimation des gains des dealers afin d’apprécier le potentiel de blanchiment» de Christian Ben Lakhdar pour l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 2007.

Source: Liberation.fr

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