L'expérimentation de la vente légale du cannabis au Colorado est un succès
Bientôt la fin de l'interdiction outre-Atlantique?
Bientôt la fin de l'interdiction outre-Atlantique?
Le Colorado, premier État à avoir condamné un vendeur de cannabis en 1937, en autorise aujourd'hui la vente dans des magasins, sous licence. Cette légalisation pourrait précipiter la fin de l'interdiction de la marijuana outre-Atlantique.
1937 a marqué le début de la guerre sans merci des autorités américaines contre la marijuana. Cette année là, Samuel Caldwell, un chômeur de 58 ans, est arrêté et jeté en prison pour d’avoir vendu de deux cigarettes de cannabis. Il est alors condamné à quatre ans de travaux forcés et à une très lourde amende. Une sentence sévère, que le juge de Denver, qui présidait son procès, souhaitait exemplaire : il considérait la marijuana comme étant "le pire de tous les narcotiques, bien plus néfastes que la morphine et la cocaïne".
Près de 80 ans plus tard – et après 26 millions d’arrestations pour des infractions liées au cannabis sur le territoire américain – ce magistrat doit se retourner dans sa tombe. Dans son propre État, le Colorado, les autorités locales autorisent la vente du cannabis et sa consommation en dehors des lieux publics depuis le 1er janvier 2014. Des dizaines de boutiques proposant de l’herbe à la vente ont ainsi ouvert leurs portes à travers cet État du sud-ouest américain, signe d’un considérable assouplissement des autorités américaines sur le sujet.
Devant les quelques boutiques du centre de Denver, serpente une longue file d’attente composée de fumeurs ravis. Parmi eux, se tient William Breathes, considéré comme le "premier critique de marijuana" pour ses articles exclusivement consacrés au cannabis sur le site d’actualité de Denver, Westword.
"Des couples d’un certain âge attendaient leur cannabis"
Le trentenaire a ignoré les coins "in" de la ville pour se diriger dans un quartier délabré, où il est entré dans une boutique pleine à craquer de consommateurs attendant leur premier sachet de cannabis légal. "D’un point de vue sociologique, la composition de la foule était intéressante : il y avait plein de gens d’un certain âge, des couples grisonnants, il y avait des touristes venus d’Hawaï, du New Jersey et du Texas, et puis quelques gars un peu roots, descendus de leurs montagnes", écrit William Breathes sur son blog.
Pour autant, acheter de l’herbe dans le Colorado ressemble davantage à une expérience clinique qu’à une soirée passée dans un coffee shop d’Amsterdam, où fumer de la marijuana est la plupart du temps autorisé. "Ici, des pancartes affichées sur le pas de porte des magasins rappellent les peines encourues en cas de consommation dans un endroit public", écrit le critique de marijuana, "et ceux qui veulent immédiatement fumer une taf le font à l’abri des regards".
William Breathes, "spécialiste du cannabis" depuis 2009, voit 2014 comme un tournant dans la légalisation du psychotrope aux Etats-Unis. "2014 est l’année où la balle va réellement se mettre à rouler", note-t-il . "Des mesures tendant vers une légalisation ou une décriminalisation de la marijuana ont été proposées dans d’autres États comme l’Arizona, l’Oklahoma, l’Indiana, l’Alaska, assure-t-il, interrogé par FRANCE 24. Il n’est pas naïf de considérer cette année comme celle d’un changement majeur sur le sujet".
Selon lui, le cannabis sera un jour légalisé au niveau national comme l’a été l’usage de la marijuana à but médical, désormais admise par l’État fédéral. Aujourd’hui, 20 des 52 États, ainsi que le district de Colombia (DC), autorisent la marijuana sur prescription médicale, et trois autres (New York, le Minnesota et la Floride) sont en passe de le faire.
Même certains des États les plus conservateurs semblent désormais s’assouplir sur la question. Ainsi, Rick Perry, gouverneur du Texas, l’un des États les plus répressifs en la matière, a pris de court nombre d’opposants et de partisans à la légalisation du cannabis en apportant publiquement son soutien aux "politiques de décriminalisation", jeudi dernier, lors du Forum économique de Davos, en Suisse.
"Le point de bascule"
William Breathes explique cette surprenante prise de position par le fait que le monde politique, républicains comme conservateurs, commence a prendre conscience du poids que représentent les puissantes organisations citoyennes à l’origine des initiatives anti-prohibition.
Selon un sondage Gallup rendu public en octobre, un nombre record d’Américains – 58% – se prononcent en faveur d’une décriminalisation du cannabis. Ils n’étaient que 48% en 2013, et 12% en 1969.
"Le public américain atteint un point de bascule", analyse Diane Goldstein, du groupe Law Enforcement Against Prohibition, une association de policiers qui mène campagne pour la légalisation du cannabis. "Une majorité d’Américains sont maintenant conscients de l’échec de la guerre contre la marijuana, du coût massif de la mise en application de la loi et de l’implication excessive du gouvernement fédéral sur un sujet mieux connu par les autorités locales".
Diane Goldstein, 52 ans, aujourd’hui retraitée, a été lieutenant de police à Redondo Beach en Californie. Elle est persuadée que l’expérience menée au Colorado rassurera les personnes encore rétissantes au sujet d’une légalisation. "Quand les gens verront, devant les boutiques de cannabis, des files d’attentes ordonnées, où aucun enfant ne fait la queue, quand ils verront que les gens ne fument pas partout, ils n’auront plus de craintes du tout. Sans parler des millions de dollars de bénéfices réalisés qui iront dans les caisses de l’État", affirme-t-elle à FRANCE 24.
Le Colorado entend récolter quelque 70 millions de dollars cette année, qu’il compte investir en partie dans la construction d’établissements scolaires, grâce aux taxes sur les ventes de cannabis. L’État impose une taxe spéciale de 25 %, en plus des 3 % réglementaires, sur chaque achat. Le prix du cannabis légal atteint ainsi des sommets : 64 dollars pour 3,5 grammes d’herbe. Une somme largement supérieure aux 25 euros déboursés dans la rue pour la même quantité. Mais les défenseurs de la légalisation assurent que les prix seront amenés à baisser du fait des 125 demandes de licence encore en attente. Et, assure-t-on, les consommateurs préfèreront payer plus cher mais rester dans la légalité.
Les magasins sont autorisés à vendre jusqu’à une once (28 grammes) par jour aux résidents du Colorado, et jusqu’à un huitième d’once, soit 3,5 grammes aux non-résidents. Les clients doivent être &a
circ;gés d’au moins 21 ans, et doivent fournir une pièce d’identité.
Le cannabis reste une drogue pour Washington
Bien que ces boutiques aient pignon sur rue au Colorado, le cannabis reste inscrit sur la liste des drogues établie au niveau fédéral, au même titre que l’héroïne et la cocaïne.
Une erreur, selon Diane Goldstein, pour qui le gouvernement fédéral devrait reclassifier la substance pour que les agences chargées de faire appliquer la loi, FBI en tête, puissent concentrer leurs actions "sur des sujets plus importants".
"Nos ressources fiscales sont limitées – nous préférons que la police enquête sur les crimes violents plutôt qu’ils courent après des gamins qui fument un joint, poursuit-elle. La plupart d’entre nous [les policiers] n’estimons pas que des lois soient décidées au niveau fédéral. C’est quelque chose que nous pouvons décider localement et gérer localement".
À l’instar de nombreux activistes pro-légalisation, Diane Golstein s’est montrée satisfaite – mais pas tout à fait comblée – par la petite phrase glissée la semaine dernière par le président Obama dans le New Yorker magazine : "Je ne pense pas que fumer du cannabis soit plus dangereux que de boire de l’alcool". Ses mots ont fait le tour du monde, provoquant l’effroi chez les partisans de l’interdiction, d’autant que Barack Obama a également admis qu’il avait fumé de l’herbe dans sa jeunesse.
Les partisans d’une décriminalisation se sont au contraire réjouit que le président ait abordé le sujet, mais ont unanimement regretté que le locataire de la Maison Blanche se montre si peu téméraire. "Je ne crois pas qu’Obama soit allé assez loin, a commenté l’ex-policière. Ce qu’il a dit était très important […] mais il a abordé le sujet avec trop de légèreté, comme presque tous les politiciens et les personnes chargées de faire appliquer la loi."
Source : http://www.france24.com/