Légalisation en Uruguay
Un décret d'applications de la loi sort aujourd'hui
Un décret d'applications de la loi sort aujourd'hui
Ce mardi 6 mai, l’Uruguay va publier les décrets d’applications de la loi votée en décembre 2013 et autorisant la consommation de cannabis. Présentés il y a quelques jours, ces textes fixent le prix (moins d’un dollar le gramme), le lieu de vente, dans des pharmacies volontaires, par autoproduction ou dans des clubs de producteur, la quantité maximale autorisé à l’achat, soit 10g par semaine. L’inscription sur un registre national sera nécessaire, excluant l’achat par des mineurs ou des étrangers. Enfin, les décrets déterminent les conditions d’agrément des producteurs (le gouvernement lancera un appel au privé pour accorder les licences nécessaires) et des clubs de consommateurs. Elle en interdit la publicité. La première récolte sera donc attendu au plus tôt à la fin de l’année.
L’Uruguay est devenu en décembre le premier pays au monde à voter une loi régulant toute la chaîne de production du cannabis sous autorité de l'Etat, à l'initiative du président Jose Mujica, afin de combattre le trafic de drogues. La consommation de cannabis des 3,3 Millions d’uruguayens est estimée entre 18 et 22 tonnes par an. La majorité de l’opinion reste opposée à cette légalisation qui veut expérimenter les avantages d’un marché contrôlé par l’état. Certains anticipent l’échec de ce projet, pointant l'éventuel difficulté de l'état à garantir le cadre de production, où la persistance d'un marché noir pour ceux qui n'iront pas s'inscrire, mais face à l’échec des politiques prohibitionnistes de guerre à la drogue, cette volonté d’expérimenter un marché régulé reste exemplaire.
Car la question reste bien de trouver une sortie à une guerre à la drogue qui a échoué à limiter l’augmentation des usagers, en Uruguay comme ailleurs. D’autant qu’à cet échec se sont ajouté les effets négatifs de cette guerre, ses dommages collatéraux, en Uruguay notamment : montée des mafias et des violence urbaines qui menacent la démocratie, interpellations nombreuses d’usagers qui les fragilisent et les précarisent toujours plus, même quand leur seul délit est l’usage d’une substance illicite.
Et en France? Depuis la proposition de loi de la Sénatrice (EELV) du Val-de-Marne, Esther Benbassa en Janvier, rien de nouveau, si ce ne sont les traditionnelles prise de position de l’Académie de Médecine, la dernière ayant donnée lieu à des propos particulièrement médiocres d’un des académiciens, les études qui continuent pour pister les effets négatifs de ce produit et les difficultés des usagers de faire entendre leur point de vue, etc..
Il reste donc à essayer de faire émerger le débat sur l’échec de la politique de prohibition et sur ses alternatives. En France comme dans beaucoup de pays industrialisés, l’usage de cannabis se fait dans une niche sociétale propice au développement des conduites addictives, avec quatre types de facteurs environnementaux :
- Des facteurs liés à un estompage des cadres et des modalités de contrôle collectifs des comportements individuels,
- Des facteurs liés à une culture de l’intensité, de l’excès et de l’accès immédiat à l’objet du désir,
- Des facteurs liés aux impératifs de gestion de soi-même dans une culture de la singularité et de la performance,
- Des facteurs liés à l’aggravation des déséquilibres économiques et à la précarisation d’une partie toujours plus importante de la population.
Ne pas en tenir compte, continuer de répondre par la seule alternative pénalisation ou médicalisation, c’est ajouter aux risques du cannabis ceux d’une politique inefficace, car n’agissant que sur le seul facteur de l’interdit pénal de l'usage. La proposition d’un marché régulé, ouvrant un cadre structuré à des usagers tout en limitant pour les non usagers l’incitation à l’usage auquel les expose l’actuel marché illicite n’est pas à confondre avec l’ouverture d’un marché « libre », dont les récentes « soirées cartables » bretonnes et leurs débordements montrent que s’il est respectueux des enjeux commerciaux, il ne l’est pas de la santé des adolescents! Alors regardons l’expérience uruguayenne avec intérêt, en plaçant sous l’autorité de l’état la totalité de la chaine, elle va plus loin et de façon plus cohérente que les marchés régulés de l’alcool qui existent loin de France, en Suède sur un mode, au Canada autrement, puisqu’elle veut poser une limite à l’usage qui ne fasse pas porter tout l’effort au seul usager, en bout de chaine, mais se répartisse de la production à la consommation. A ceux qui demandent des limites, elle répond, oui, mais équitables et partagées. Rien que pour cela, cette expérience nous intéresse.
Source : http://drogues.blog.lemonde.fr/