Le crime organisé veut sa part du marché du cannabis
Un argument de plus pour décriminaliser sa production!
Un argument de plus pour décriminaliser sa production!
Le marché du cannabis se professionnalise et devient de plus en plus violent. Certains y voient un argument de plus pour décriminaliser la production.
Les milieux de la sécurité et de la prévention dépeignent tous le même tableau. Depuis quelques années, le marché du cannabis en Suisse devient de plus en plus violent et intéresse de nouveaux acteurs venant du crime organisé international. «La production, autrefois monopole de petits délinquants suisses, s’est diversifiée», remarque Olivier Guéniat, chef de la police judiciaire neuchâteloise. «Représentant plus d’un milliard de francs par an, elle a attiré des ressortissants de l’ex-Yougoslavie, déjà actifs dans l’héroïne et la cocaïne. Ceux-ci ne travaillent pas de la même manière.
Ils sont armés, mènent des expéditions punitives… C’est un risque pour la Suisse d’être de plus en plus gangrenée par les gangs. Il y a des enjeux gigantesques derrière, comme le blanchiment d’argent.» Une tendance que vient confirmer la fusillade de lundi dans une grande plantation de cannabis à Altstätten (SG).
Aux yeux d’Olivier Guéniat, les 3000 joints fumés par jour en ville de Neuchâtel laissent perplexe quant aux résultats du modèle prohibitif et questionnent quant à la nécessité d’essayer un autre modèle. Il faut, selon lui, que l’Etat prenne le contrôle de la filière, de la production à la distribution, en instaurant une réglementation appropriée et un autofinancement d’une prévention forte.
Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d’études des addictions (GREA), milite aussi pour une décriminalisation, y compris de la production de cannabis. Le durcissement du marché, sous l’effet de la répression, a des conséquences sur la santé publique. «Le dealer qui prend des risques supplémentaires veut une marge plus importante et diminue la qualité de ses produits. Parfois, ces produits de coupe sont plus dangereux que la drogue elle-même. Certains sont mortels.» Barbara Broers, médecin adjointe aux HUG et vice-présidente de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, y voit un autre danger: les acheteurs, dont ceux qui consomment pour des raisons récréatives ou médicales, entrent en contact avec des personnes peu recommandables et voient leur sécurité vaciller.
Non au modèle uruguayen
Le système adopté par l’Uruguay est regardé avec attention par les acteurs de la prévention. Ce pays a mis en place des associations de petits producteurs avec un nombre d’adhérents limités. Ceux-ci achètent une patente. Ils sont donc recensés et ciblés par des programmes de prévention payés avec leur cotisation. Mais pour certains parlementaires suisses, ce modèle reste inenvisageable. «Je suis opposé à tout assouplissement», réagit Yannick Buttet, conseiller national (PDC/VS). «J’ai l’impression que cela participe à la banalisation d’un produit pourtant très dangereux. L’idée, en arrière-fond, c’est de dire que ce n’est pas si grave. Décriminaliser la production n’est pas une idée pour l’avenir de notre pays», martèle-t-il.
L'édito
Les acteurs de la sécurité et de la prévention sont quasi tous d’accord. La décriminalisation du cannabis – de la production à la consommation – est nécessaire pour agir enfin avec efficacité sur l’offre et la demande de drogue. Les prises de position publiques de certaines personnalités comme Ruth Dreifuss en Suisse ou Kofi Annan au niveau international ont par ailleurs allégé le débat de ses clichés sur les supporters babas cool de la dépénalisation.
Pourtant, pas l’ombre d’une révolution dans la législation helvétique. On s’entête dans la voie répressive. Il faut dire que le cannabis n’est pas un thème très porteur électoralement. Rares sont donc les parlementaires prêts à endosser le costume du libérateur de joints et à se battre pour un changement de paradigme. Conséquence de ce manque de courage: la violence due aux trafics augmente, selon les experts. Et ce, paradoxalement, en partie sous l’effet de la répression.
Finalement, l’arrivée des trafiquants armés sur le marché suisse fera peut-être enfin réfléchir. Car si la drogue ne passionne pas grand monde, la violence reste un thème porteur, une valeur sûre dans l’arène politique.
Les parlementaires tentés de résoudre ces nouveaux problèmes avec une couche de répression supplémentaire feraient bien de regarder du côté du Mexique, pays qui a fini par engager son armée pour combattre la drogue. Seul résultat: une escalade incontrôlable de la brutalité.
Le courage viendra peut-être des villes. Elles sont plusieurs – notamment Genève – à vouloir essayer autre chose et se donner les moyens de trouver une solution. Si elles mènent à bien leurs expériences, leur politique pourrait faire tache d’huile. C’est en tout cas ce que l’on peut espérer.
Source : http://www.lematin.ch