L’amélioration génétique dans la culture du cannabis

Soft Secrets
30 Sep 2020

Alexandre Zwojsczyki, 37 ans, est horticulteur et floriculteur. Après son diplôme en 2005 à Aix-en-Provence et 4 stages de 3 mois à l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) d’Avignon, il est actuellement Directeur de production chez Cann’alp et breeder pour Paradise Seeds. Pendant le dernier séminaire organisé par Terra Aquatica, il s’est adressé au public en parlant d’un sujet très intéressant : l’amélioration génétique du cannabis.


Par Fabrizio Dentini

 

Les paroles de ce provençal passionné de la nature m’ont touché car, dans une dimension directe et conviviale, il a approché un thème qui est au coeur de notre travail : comment voit-on progresser le marché du cannabis? Dans quelle direction se développe-t-il ? Est-ce que les plantes évoluent tout en gardant leurs caractéristiques millénaires, ou au contraire, les lois de l’argent peuvent elles compromettre un métier qui, en s’éloignant de l’artisanat, risque d’emmener nos plantes sur la route de la dégénération génétique ?

SSFR : Comment as-tu commencé à t’intéresser au cannabis ?

Alexandre Zwojsczyki : J’ai cultivé ma première plante de cannabis à mes 14 ans. C’était une graine trouvée dans le cannabis local, quasiment du chanvre, qu’on appelait alors la «Crystal» car c’était les premières plantes ou l’on voyait un peu de trichomes. A mes 21 ans, j’aimais tellement le règne végétal, que j’ai décidé de fréquenter le Lycée de l’horticulture-floriculture pour la haute production florale.

Qu’est-ce que tu aimes dans le règne végétal?

La supériorité des plantes par rapport aux humains. L’être humain est faible alors que le végétal est puissant : les plantes se défendent toujours. Les hommes peuvent essayer de les détruire, mais une plante trouve toujours un moyen pour vivre. Les humains peuvent essayer de l’éradiquer mais les plantes seront toujours là. Elles sont comme les Dieux. [caption id="attachment_75820" align="alignnone" width="1920"] N22X, début de la 7ème semaine. Le jaunissement est déjà présent suite à l’absence d’azote a partir de la 6ème semaine.[/caption]

Que veut dire pour toi travailler à l’amélioration génétique des plantes ?

Ҫa veut dire que d'un âne intéressant nous pouvons faire un cheval de courses. Ҫa veut dire travailler avec des génétiques très performantes qui respectent le cahier de charge définie. Par exemple, on veut une plante rapide, ultra productive, résistante aux ravageurs et aux cryptogames, bonne en terpènes et remplie de cannabinoïdes, donc très résineuse. Voilà pourquoi on améliore les plantes, pour atteindre le résultat : améliorer la performance de la plante même en relation avec notre objectif, c’est à dire, de regrouper tous les paramètres et tous les facteurs pour trouver la plante parfaite.

Ton approche de la cannabiculture suit une philosophie horticole ?

Le travail est pour 70% constitué par l’observation de la physiologie des plantes (la structure, la couleur, les nervures et les espaces internodales, la prolifération racinaire). Les 30% restants, c’est l’eau car je travaille en hydroponie active et donc, mes plantes me donnent immédiatement des infos qui m’aident à comprendre ce qui leur arrive, leur fonctionnement, leur consommation et leur régulation. Les trois variables fondamentales sont le Potentiel Hydrogène PH, l’EC et l’oxygène. À grande échelle, comme les personnes, chaque variété et chaque plante fonctionne d’une manière différente. Par exemple, on sait que les Indica consomment plus de fertilisants que les Sativa. Concernant la consommation de la solution nutritive, le mode de vie est différent d’un variété à l’autre.

Parle nous de ton travail en Suisse. Tu fais quoi exactement ?

Je travaille pour l’amélioration cannabique, dans le sens de voir comment et à travers quelles techniques on peut arriver à créer des fruits magnifiques, des super fleurs. En pratique il s’agit de faire évoluer et épurer les fleurs de tout fertilisation, d’azote, de phosphore, de potassium… La base pour les super fleurs sont des plantes saines et la construction de chaque plante à partir de la base pour qu’elle soit et reste saine. Par exemple, je n’utilise pas de phytosanitaires chimiques et je préfère travailler à l’ancienne avec les ferments lactiques, l’ail et le bicarbonate de soude contre les champignons tandis que, contre les bêtes, j’utilise des animaux antagonistes livrés par Koppert. En pratique c’est ce qu’on appelle de la culture raisonnée, ce qui veut dire donner aux plantes seulement ce qu’il leur faut et rien de plus. Enfin, l’esprit commercial exige qu’on produise vite. Mais au contraire, nous, on travaille pas comme ça. La vitesse, résultat de la pression pour gagner plus d’argent. Nous respectons le temps de la nature : on sèche bien nos plantes entières et, après, on manucure à la main. [caption id="attachment_75821" align="alignnone" width="1920"] Ultra V1, début de la 7ème semaine.[/caption]

Cette attention à deux phases que beaucoup des gens considèrent sans importance ?

Le séchage fait 50 % de la finalisation de l’herbe pour la dégustation. En fait les, feuilles protègent les fleurs et les cannabinoïdes de l’oxydation et de la poussière et surtout avoir une plante reliée au tronc lui permet de garder la sève et l’humidité relative qui est nécessaire pour faire sécher les fleurs lentement et proprement. Pendant la dégustation, la différence avec les fleurs séchées en ligne est énorme. Donc il faut bien sécher la plante à l’envers, minimum pour 13 jours, avant de la manucurer, un truc de base que beaucoup de monde ne fait plus. Cette opération étant nécessaire pour enlever la chlorophylle alors que celui qui la saute a sacrifié l’amour des plantes pour l’amour de l’argent. Après les 13 jours de séchage, on manucure pour ensuite, affiner l’herbe encore de 5 à 7 jours avant la distribution. De tout façonn grâce à la qualité, l'avenir de notre travail verra une nette séparation entre le cannabis commercial et le cannabis artisanal.

Tu as créé ton espace tout seul. Décris-nous dans quelle surface tu travailles et comment a-t-elle été optimisée pour la production ?

Au départ, le hangar faisait 300 m2 sur 10 m de haut. Après les travaux d'optimisation, maintenant, je peux travailler sur une superficie de 565 m2 grâce à une mezzanine. Cet espace comprend 250m2 pour la production d'inflorescences, 85m2 dédiés à la phase végétative, 3 espaces de 25m2 chacun pour la production de semences et 50m2 qui, d'une manière ultra optimisée, me permettent de sécher jusqu'à 1000 plantes à la fois.

Comment travailles-tu à la production des graines?

En ce qui concerne la production de semences, il s'agit d'un travail divisé en trois phases : sélection, analyse et fixation de la génétique. Quand on peut travailler avec un espace optimisé et se consacrer entièrement au résultat, ce processus dure une année entière. Dans la première phase, se croisent les élites mâles et femelles, puis j'effectue des tests sur les boutures, sur la phase végétative, deux tests sur la phase de floraison, le test de poids et le test de résistance aux animaux et aux champignons. À ce stade, je garde le patrimoine génétique (en faisant 3-5 boutures qu’on laisse en dormance) et je le multiplie. Puis, lorsque toutes les caractéristiques apparaissent comme souhaités, nous commençons le rétro croisement de deux plantes élites pour arriver à la "super élite" dont nous partons de la graine et à partir de laquelle nous sélectionnons ensuite la "super méga élite". Ce parti du travail prend 4 bons mois. Dans mon entrepôt je travaille avec 180 plantes par ligne et, en ce moment, pour la phase de floraison, je peux travailler jusqu'à 4 génétiques différentes et avec 4 conduites d'eau indépendantes. En ce moment, je travaille avec N22X (40% Sativa 60% Indica) et Ultra V1 (60% Sativa 40% Indica). [caption id="attachment_75822" align="alignnone" width="1920"] Culture de chanvre en Suisse pour la société Cann’alp.[/caption]

Comment gérez-vous votre système du point de vue de l'éclairage ?

Ma philosophie est : consommer moins pour polluer moins et produire plus en analysant mieux. Grâce à l'installation électrique conçue pour le travail que j'ai l'intention de faire, je peux profiter d'une tension électrique de 600 ampères sur 380 volts. Que je sache, la plupart des cultivateurs du cannabis, cultivent en travaillant avec des lampes de 1000 watts, alors que je préfère travailler avec des lampes de 600 watts par rapport à la pénétration lumineuse de ces dernières. Alors qu'une 1000 watts génère un espace de 2 / 2,5m2, une lampe de 600 watts génère et couvre un espace de 1 m2, mais dans ce cas, je peux rapprocher les lampes des plantes et cela les rend plus efficaces. De plus, je consomme 400 watts de moins pour chaque point lumineux. Si vous calculez sur les 80 lampes que j'utilise, c'est une belle économie. Mes rangées mesurent 1 m de large et 20 m de long x 4. J'ai toujours 9 plantes par mètre carré et cela me permet de pouvoir les observer et les déplacer toutes facilement et harmonieusement. Je peux les observer cetimètre par centimètre et cette observation est la base de l'amélioration. Trois fois trois fois trois est ma figure d'or. Et cela crée ce que j'appelle l'effet amphithéâtre : pouvoir déplacer les plantes en fonction de l'exposition à la lumière, les plus petites au centre et les plus grandes sur les côtés et, à l’envers, quand une plante du milieu pousse trop, je la déplace sur les extrémités.

L'une de tes préoccupations concernant le marché du cannabis moderne est que le gens ne respectent plus le code de la nature. Pourrais-tu mieux nous expliquer ce concept ?

Aujourd’hui les plantes sont traitées comme des esclaves et des rats de laboratoire. Il n'y a plus de respect pour elles, juste du profit monétaire. Un des problèmes que je remarque : les molécules de synthèse, utilisées pour modifier les plantes, peuvent provoquer la déstabilisation génétique des plantes elles mêmes, qui restera enregistrée dans leurs codes ADN pour devenir, parfois, irréversible. Un autre problème majeur concerne les landraces. Je pense à ceux qui se rendent dans des pays tiers pour récupérer des graines landrace et offrent, en échange, aux paysans du lieu, des poly hybrides pour atteindre une production massive. Les nouvelles génétiques s’hybrident avec les landraces et ainsi les landraces sont perdues. Dans 15-20 ans, il va falloir revenir en arrière sur les génétiques anciennes car, à force de poly hybrides, on déstabilise les génétiques, on les fragilise, elles produisent moins et sont plus gourmandes en fertilisation. Tout l’envers de ma façon de travailler. La consommation pousse le marché à l'extrême.

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