La Principauté des Quartiers Nord fait chanvre à part
Actu-fiction!
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Depuis les champs de cannabis qui dominent la ville, les dernières lueurs des braseros tardent à s’apaiser. La colère des Quartiers Sud aussi. Vendredi, pour la première fois, une partie de leurs habitants ont tenté de prendre d’assaut l’enceinte qui les sépare de la très prospère principauté des Quartiers Nord, à laquelle ils demandent à être rattachés. Il a fallu une entrevue, accordée en fin de journée par Jean-Claude Gaudin (114 ans, lire son interview), maire de Mazargues et président de la Communauté des quartiers du sud, pour calmer la foule, sans doute très provisoirement. Reçu au palais de la Castellane par le prince en personne, l’élu de Mazargues a réclamé une nouvelle fois la création d’une vaste métropole, afin de partager toutes les richesses. Une nouvelle fois, Enzo Zidane lui a rappelé que le Sud aurait dû «saisir l’occasion et partager lorsque c’était possible», dans les années 2010.
Les Quartiers Nord avaient alors bien piètre réputation. Les trafics de drogue, florissants mais illégaux, provoquaient des rivalités, des dettes, autant de contentieux qui se réglaient brutalement, le tribunal de commerce cannabistique n’existant pas encore. Un projet de grande métropole regroupant toutes les richesses et pauvretés de Marseille et de ses environs avait été voté et Jean-Claude Gaudin, alors maire de toute la ville, avait aidé le gouvernement de l’époque à faire passer la loi. Mais de nombreuses communes avaient refusé de s’y plier et s’étaient alliées à une sénatrice marseillaise, Samia Ghali (la grand-mère du général Ghali). Elle avait alors menacé de faire sécession, d’armer les Quartiers Nord avec l’argent du fonds d’aide aux communes du conseil général (une collectivité qui gérait ce que l’on appelait alors le «département»). Des premières milices, coiffées de bonnets bleus et blancs, avaient été montées. Devant la menace croissante, le gouvernement avait cédé et proposé un référendum dans les trois ans. Mais les écarts s’étaient aggravés pendant ce temps entre le Nord et le Sud. Le déséquilibre se traduisait par des montées de tensions de plus en plus fréquentes. Le tissu social marseillais était en jeu, un barrage filtrant avait fini par être installé sur la Canebière. Et, en 2017, le résultat du référendum avait été massif.
«New Deal». Dans un premier temps, les Quartiers Sud s’étaient préparés à faire face à une possible recrudescence des violences. Un mur avait été dressé au nord de la Canebière - celui-là même que les habitants du Sud ont tenté vendredi de prendre d’assaut. Le contre-amiral Muselier, engagé dans la marine sudiste après quelques déboires politiques, avait formé une flottille de navires de plaisance prête à attaquer le Nord par la mer en cas d’agression. Mais la menace avait disparu brutalement avec la légalisation du cannabis en 2020, et le contre-amiral était parti se faire élire sur l’île Maurice.
Du jour au lendemain, les règlements de compte avaient disparu. Profitant du programme de validation des acquis délinquants, dans le cadre de ce que l’on avait alors appelé le «New Deal», un grand nombre de jeunes avaient passé leurs diplômes de commerciaux, de diplomates, d’agents de surveillance ou de chimistes. Puis l’autorisation des plantations avaient permis aux Quartiers Nord, mieux préparés, de développer l’activité de façon quasi industrielle, créant de nombreux emplois, récoltant de juteuses taxes. Malgré sa mise sous tutelle, le président du conseil général avait réussi à préempter une partie des collines qui surplombent la ville. Et son frère y avait lancé massivement les plantations de cannabis puis de liseron duveteux, lorsque l’on avait découvert les propriétés hallucinogènes de cet arbuste rare.
Stones. Selon nos informations, le partage de l’impôt cannabistique a fait partie des discussions, vendredi, entre les Quartiers Nord et ceux du Sud. En attendant un hypothétique rattachement, le Sud réclame en effet une compensation financière car, les jours de vent d’est, ses habitants sont stones. Bien que grand consommateur de haschisch depuis une quarantaine d’années, Jean-Claude Gaudin a lui-même insisté sur ces nuisances. Le prince Enzo lui aurait rétorqué que, sur ce plan-là aussi, les arrondissements du Sud ont laissé passer leur chance.
De fait, peu après la légalisation, un homme d’affaires, Bernard Tapie, avait proposé d’exploiter de façon intensive le pavot dans le parc national des Calanques, qu’il avait acheté quelques années plus tôt, en même temps que les îles du Frioul, grâce à l’argent obtenu par un arbitrage favorable après la vente pourtant juteuse du journal la Provence au biquotidien Lou Ravi. Jean-Claude Gaudin avait alors refusé sous la pression des chasseurs des Quartiers Sud, qui craignaient de ne plus rapporter des calanques que des lapins aux yeux rouges.
La principauté des Quartiers Nord avait ensuite obtenu le monopole du cannabis, seule la Canebière parvenant à garder quelques droits de plantation devant l’ex-Conseil d’Etat, en s’appuyant sur l’étymologie de son nom, qui renvoie au chanvre.
Les Quartiers Sud s’étaient alors progressivement desséchés. Privés de la jeunesse et des taxes du Nord, ils avaient multiplié les structures d’accueil de croisiéristes, puis les maisons de retraites pour touristes. Mais la clientèle commence à manquer et désormais la révolte gronde. «L’égoïsme du Nord le perdra», prédisait vendredi Quentin, l’un des plus jeunes manifestants (53 ans).
Check-point. Prochaine étape la semaine prochaine, avec un rendez-vous à haut risque pour Marseille. L’AS Campagne-Lévêque, leader du championnat des Quartiers Nord et du championnat de France Elite, reçoit l’Olympique de Marseille (CFA2). La police craint des débordements. Le président de Campagne-Lévêque, petit neveu de l’ex-sénatrice Ghali, a proposé de financer des drones pour surveiller le match et de travailler avec les milices du Sud pour surveiller le check-point du Vieux Port. Jean-Claude Gaudin a refusé, arguant qu’il en est là de la responsabilité de la police européenne. Il propose pour sa part d’envoyer l’armée.
Auguste Bertrand
(Article d'actu-fiction publié samedi, dans le cadre d'un numéro spécial -ici en zone abonnés, pour les 40 ans de Libé)
Source: www.liberation.fr