L’usage de drogues ? C’est un phénomène massif, mais mal documenté. Pour y remédier, «il faut donner la parole à ceux qui les connaissent le mieux : les consommateurs». Voilà le credo d’Adam Winstock, un psychiatre londonien qui a lancé depuis plusieurs années une Global Drug Survey (GDS, enquête mondiale sur les drogues) faisant appel aux usagers volontaires. Pour la première fois, la France y participe, avec dix-sept autres pays. Libération y est associé et en dévoile les principaux enseignements.
Cette enquête ne délivre pas de résultats représentatifs, n’étant pas basée sur un échantillon déterminé. Mais elle éclaire sur les pratiques, peut aider les consommateurs à mieux gérer leur santé et inspirer les politiques de prévention qui, selon Winstock, manquent une partie de leur cible. Car en s’intéressant principalement «à une minorité d’usagers qui ont développé une dépendance», provoquent des délits ou des problèmes sociaux, ces politiques ignorent les gens qui «aiment boire et prendre des drogues» et considèrent que cela contribue à leur bonheur.
Or, le «moteur» derrière l’usage de drogues légales (alcool, tabac, antidépresseurs, etc.) ou pas (cannabis, cocaïne, etc.) «n’est pas la dépendance, mais le plaisir». Il faut donc partir de «l’aspect positif de leur pratique», affirme Winstock. Car «la plupart [des consommateurs] ne subissent pas de conséquences graves» et réduiraient mieux les risques si les messages officiels ne les enjoignaient pas à l’abstinence. Le psy a élaboré à leur intention un «code de bonne conduite», le High Way Code (jeu de mots sur high, défoncé), lancé aujourd’hui sur Internet. Son principe ? Quand on prend des drogues, «activité potentiellement dangereuse», il faut respecter des règles, ce qui augmente les chances d’arriver sain et sauf à destination, et même de «vivre une expérience agréable». Petite revue de l’enquête, produit par produit.
Alcool, le déni du problème
L’alcool reste «le plus gros problème et de loin la plus grosse charge pour les services de santé». Un risque largement sous-estimé par les consommateurs : seulement 38,5% des utilisateurs dépendants ou menaçant de le devenir en sont conscients. Les deux tiers ignorent leur problème - ou le nient -, 16,8% croient même que leur consommation est moyenne. Des résultats «très inquiétants», pour Adam Winstock. Mais l’envie est parfois là d’en sortir : 23,9% aimeraient boire moins, 14% disent avoir besoin d’aide. «Un des moyens les plus efficaces pour réduire la consommation excessive d’alcool consiste à simplement montrer aux personnes combien elles boivent», note le psy. D’où l’intérêt de tester sa consommation sur le site Drinksmeter.com, mis au point par Winstock.
Tabac, l’envie d’arrêter
65% aimeraient fumer moins, beaucoup cherchent une aide pour arrêter, mais il y a un paradoxe français : «Tous les substituts nicotiniques peuvent aider à réduire sa consommation, mais les fumeurs français n’ont pas l’air ouverts à cette approche, ce qui est curieux, car elle double les chances d’arrêter.» La cigarette électronique est prisée (71% la pensent moins dangereuse). Avec elle, 18% ont arrêté de fumer, mais 50% n’ont pas changé leur usage du tabac.
L’arrivée des drogues de synthèse
Facilement disponibles sur Internet, elles imitent des drogues existantes ou procurent des effets nouveaux. On ne peut pas les contrôler : sitôt qu’un produit est interdit, il est remplacé par un autre (lire ci-contre). Mais la GDS ne révèle pas de boom particulier : «Sur les trois dernières années, l’usage des produits de synthèse reste limité par rapport aux drogues plus traditionnelles.» 5% des participants à l’enquête en ont acheté (dont du cannabis synthétique), contre 10,5% en Grande-Bretagne. 81% ont fait cet achat sur Internet. De façon générale, la vente en ligne de toutes les drogues se développe : 14,7% des répondants l’ont déjà expérimentée. La motivation ? Un plus grand choix, une meilleure qualité, des prix plus bas.
Cannabis, toujours plus fort
La skunk, variété d’herbe la plus violente, est la préférée (57%), devant l’herbe «normale» (29%) et la résine (9%). Voilà pour les goûts. Dans la réalité, la résine est la plus utilisée, devant l’herbe, la skunk et l’huile. Les consommateurs ont des souhaits paradoxaux : ils désirent un cannabis plus pur et plus fort, mais craignent ses effets négatifs (torpeur hébétée, pertes de mémoire…). Deux tiers se fournissent auprès d’un dealer, payant de 6 à 12 euros le gramme. 22% font pousser leur herbe. Sur le mode de consommation, 90% le mélangent avec du tabac, forme la plus nocive. Seuls 3,6% utilisent un vaporisateur, moins risqué pour les poumons car il dégage les principes actifs sans combustion ni tabac. Et à peine 0,7% ingèrent. Rappelons que, selon les études, 1 utilisateur sur 10 est dépendant, et la consommation chez les ados peut provoquer des dommages graves. D’où l’utilité de mesurer sa consommation (sur Drugsmeter.com).
La MDMA revient
Après une certaine désaffection entre 2007 et 2010, due à une baisse de qualité et une composition incertaine, la MDMA (ecstasy) revient en grâce, avec l’utilisation de nouveaux composants alliée à un remarketing efficace : sous forme de cristaux (poudre) plutôt que de pilules, cette «vieille drogue trouve une nouvelle vie». En poudre, elle est plus facile à doser et à tester avant usage, ce qui est recommandé. Mais il devient aussi possible de l’injecter, ce qui est une très mauvaise idée.
Cocaïne, de pire en pire
La cocaïne reste populaire, mais sa qualité est pitoyable. En 2013, sur l’étude mondiale GDS, elle avait été notée pire drogue par les usagers (2,5 sur 10). Les sniffeurs français lui donnent la note médiocre de 3,5/10 et 70% pensent que sa qualité baisse - ce qui ne les empêche pas d’en prendre. En termes de qualité comparée, le cannabis arrive en tête (7/10), devant la MDMA, la kétamine, la méphédrone, l’alcool et les amphétamines (de 6 à 7/10).
Les «poudres mystères» débarquent
Dans la GDS 2013, 1 Britannique de moins de 20 ans sur 5 de moins admettait avoir pris une poudre sans savoir ce qu’elle contenait. «Le risque d’ingérer une substance totalement inconnue est devenu réalité», déplore Winstock. En France, seulement 3% disent en avoir pris. Espérons qu’ils suivent ces conseils : tester avant, ne pas consommer seul, commencer avec un quart de dose, attendre deux heures avant d’en reprendre… et se rappeler que de nombreuses drogues ne sont pas plaisantes.
Les médicaments sur ordonnance
«La France doit surveiller la situation», estime Winstock. Pour ne pas se retrouver dans la position des Etats-Unis où, selon lui, les opioïdes légaux (analgésiques) provoquent plus d’overdoses mortelles que l’héroïne. «Le problème commence à apparaître également en Europe et en Australie, mais on manque de données», écrit-il. Les benzodiazépines (type Valium) sont également à risques. Comme la codéine pour laquelle, dans deux tiers des cas, le médecin n’a pas prévenu son patient du risque d’addiction : «Pour 20 à 30% des utilisateurs, il y a des signes similaires à ceux observés chez les consommateurs de drogues.»
Les drogues illicites et la loi
16% des répondants ont été arrêtés (surtout les plus jeunes, entre 16 et 24 ans), pourcentage qui monte à 22% chez les usagers de cannabis. 55% avaient une drogue illégale sur eux mais, pour 39%, la police ne l’a pas trouvée - les chanceux. 90% des interpellés ont vu leur cannabis confisqué, mais près de la moitié sont repartis sans poursuite, avec juste un avertissement verbal. Et si demain on réduisait la pénalisation ? «Pour la plupart des usagers, leur consommation ne va pas beaucoup évoluer ; en revanche, il y aurait beaucoup de changements dans la révélation de cet usage aux amis, à la famille, aux services de santé», note Winstock.