Dopage: l'AMA veut réduire les contrôles positifs au cannabis
Ils décrédibilisent la lutte antidopage...
Ils décrédibilisent la lutte antidopage...
L'Agence mondiale antidopage a annoncé vouloir réduire le nombre de contrôles positifs au cannabis. En cause : le nombre de sportifs suspendus alors qu'ils n'avaient pas l'intention de tricher. Pour Dorian Martinez, psychologue du sport, l'Agence s'attaque à un vrai problème dans la lutte antidopage, mais ne va pas assez loin.
L’Agence mondiale antidopage (AMA) annonce par la voix de son directeur, David Howman, qu’elle souhaite réduire le nombre de contrôles positifs au cannabis. À l’heure des révélations sur l’affaire Armstrong et du système organisé qui a été dévoilé, on peut se demander pourquoi le cannabis est devenu une préoccupation de l’Agence.
1. Les contrôles positifs au cannabis décrédibilisent la lutte antidopage
Chaque contrôle positif au cannabis suscite de l’incompréhension de la part de l’opinion publique qui associe cette substance à une "drogue festive" plutôt qu’à un "dopant efficace".
D’ailleurs, beaucoup d’acteurs du monde sportif ne se privent pas pour se moquer des institutions antidopage quand il s’agit de cannabis. Après l’annonce des chiffres de l’AFLD qui placent le rugby en première position des sports les plus "positifs" aux contrôles antidopage, Mourad Boudjellal, président du RC Toulon, a commenté ironiquement cette annonce :
"Oui, le rugby est le sport le plus dopé... juste derrière le reggae."
Nul doute que la reprise médiatique des cas liés au cannabis ne crédibilise pas les institutions antidopage qui apparaissent comme zélées à l’égard des "petits contrevenants" et inefficaces à l’égard des "grands tricheurs".
2. Le cannabis est détectable très facilement et très longtemps
La particularité du THC (delta-9-tétrahydrocannabinol), principe actif du cannabis, est qu’il se fixe dans les tissus lipidiques (les graisses) et rediffuse ses métabolites actifs pendant plusieurs jours voir plusieurs semaines. Ainsi, un sportif peut être contrôlé positif longtemps après avoir fumé (ou avoir été exposé passivement à de la fumée) sans pour autant être sous l’effet du cannabis pendant l’épreuve sportive.
3. Comment savoir si le sportif a triché ?
Sur le plan de la législation antidopage, le cannabis appartient à la classe S.8 des cannabinoïdes ; à ce titre, il n’est interdit et recherché qu’en compétition. Dès lors se pose la question de la responsabilité du sportif contrôlé positif.
Était-il sous l’emprise de cette substance au moment de l’épreuve sportive, ou, a-t-on détecté les traces d’un usage festif ? À ce jour, la législation ne s’embarrasse pas de telles considérations puisque l’article 2.1.1. du Code mondial antidopage pose le principe de "responsabilité objective" qui dispose que les sportifs sont responsables de tout ce que l’on retrouve dans leur organisme.
Même si la législation est très stricte, la longue durée de détectabilité du cannabis pose problème. D’ailleurs, la "consommation festive" devient un argument de défense facilement utilisé par les avocats qui obtiennent très souvent des peines très réduites pour leurs clients (un à trois mois de suspension) quand il s’agit de contrôle positif au cannabis.
Cannabis et dopage : quel avenir ?
Au-delà des considérations personnelles que j’avance, l’Agence mondiale antidopage annonce qu’elle souhaite réduire le nombre de contrôles positifs au cannabis car les "tests coûtent cher et occupent trop de temps aux laboratoires". En 2011, 445 cas de cannabis ont été rapportés ce qui représente 8% de l’ensemble des résultats anormaux enregistrés.
Pour atteindre son objectif, l’AMA va considérablement relever le seuil actuel de 15 nanogrammes par millilitre d’urine à partir duquel un cas est considéré comme une infraction. Ce nouveau seuil sera plus de 10 fois supérieur à l’actuel puisqu’il sera fixé à 175 nanogrammes pour constituer une infraction. Ainsi, les autorités prédisent une diminution de 90% des cas positifs au cannabis.
On ne peut que se réjouir du fait que des sportifs qui ne sont pas dans une démarche de dopage ne soient pas contrôlés positifs. En revanche, on peut craindre que cette mesure ne soit qu’une étape vers la sortie définitive du cannabis des listes des interdictions.
Le cannabis, un vrai dopant
S’il est effectivement fréquent que le cannabis puisse être utilisé à titre "festif", mon expérience dans la prévention du dopage et l'écoute des sportifs m'a montré que le cannabis pouvait également être utilisé comme un véritable dopant... Utilisé comme tel, avec une dose "adaptée" à l'objectif de performance, il permet de réduire le stress, de se désinhiber, de focaliser son attention voir d'optimiser le relâchement musculaire et donc de courir plus vite. J’ai en effet reçu beaucoup de témoignages de sportifs (rugbyman, tennisman, athlètes, gardiens de but, etc.) qui utilisaient la cannabis pour améliorer leurs performances sportives.
Le cannabis doit donc rester interdit et recherché.
Ce qu'il faut faire
En revanche, si l’Agence mondiale antidopage et les institutions veulent réduire le nombre de contrôles (et surtout de consommateurs !), il faut en priorité prendre deux mesures :
- Interdire le cannabis en et hors compétition.
En effet, la liste actuelle des interdictions place le cannabis (comme la cocaïne d’ailleurs) dans la catégorie des substances interdites en compétition. Ce qui envoie un très mauvais signal aux sportifs qui pensent pouvoir consommer sans crainte ces "drogues festives" en dehors des compétitions. Réduire mécaniquement les contrôles positifs est une bonne chose mais réduire la consommation des sportifs, notamment des plus jeunes, serait encore mieux !
D’autant que les experts s’accordent à dire que le THC est de plus en plus fortement dosé et donc de plus en plus nocif pour la santé. Pour cela, une interdiction claire nette et précise du cannabis permettrait d’envoyer un message limpide aux sportifs et donc de contribuer à la diminution des contrôles positifs... et de la consommation.
- Commencer la prévention de masse
Toutes les institutions sportives ont le mot prévention à la bouche mais ne font quasiment rien de concret et d’efficace en la matière. Seule la répression semble être de mise. Il y a quelques
années, dans un centre de formation dont je tairais le nom, l’ensemble du groupe d’adolescents avait été contrôlé pour mesurer l’usage éventuel du cannabis par certains.
La direction voulait faire un exemple avec les éventuels fumeurs en les excluant. Seul problème : 100% des adolescents étaient positifs au cannabis ! Le "groupe" n’a pas été exclu et l’affaire est restée dans les murs de l’institution sportive en question. Tout cela pour démontrer que la répression, à elle seule, n’est pas la réponse et que l’usage du cannabis n’est pas rare.
Il faut donner beaucoup plus de moyens à la prévention en gardant à l’esprit qu’elle permet à terme de faire des économies. Embaucher systématiquement des psychologues spécialisés dans le champ sportif dans tous les centres accueillant des jeunes sportifs serait ainsi la bienvenue. Aussi, les chaînes de télévision qui ont l’obligation légale de participer à des programmes de prévention pourraient diffuser des spots d’information très court et très explicites de ce type : "Cannabis et contrôles antidopage".
Source : http://leplus.nouvelobs.com/