Belgique: la droite nationaliste durcit la règle à Anvers
A l'encotre de la loi belge
A l'encotre de la loi belge
Dans l'émission d'actualité Terzake (VRT), le 9 septembre 2013, Bart De Wever est venu défendre sa nouvelle et plus sévère politique en matière de drogue à Anvers. Désormais, quiconque sera surpris en rue un joint aux lèvres devra immédiatement payer une amende de 75€. Même si le fumeur est un fumeur occasionnel et qu'il a moins de trois grammes de cannabis sur lui, comme le prévoit la loi belge.
Pour La Ligue des Droits de l'Homme, cette manière d'agir est illégale car elle crée un inégalité: voilà les habitants d'Anvers soumis à des règles différentes que celles appliquées dans le reste du pays, où la consommation occasionnelle et la possession de maximum 3 grammes de cannabis sur soi sont tolérées. Sans oublier que différents experts dans le domaine, dont ceux de la Free Clinic d'Anvers, insistent sur le fait que la répression ne fonctionne pas pour les drogues, elles finissent toujours par réapparaître et à nouveau circuler. Et puis, ce n'est pas comme si Anvers connaissait de gros problèmes liés aux consommateurs de drogue.
De Wever, ce sophiste
Durant l'émission, en réplique face à cet argument, Bart De Wever rappelle la saisie record en 2012 de cocaïne dans le port d'Anvers ainsi que la récente découverte de plusieurs plantations de cannabis. Il l'affirme:
"Dire qu'Anvers ne connaît pas de problème de drogue, c'est comme nier l'existence du soleil."
Il est intéressant de se pencher sur l'argumentaire et les représentations mobilisés par Bart De Wever car il joue avant tout des mots. Quand la Free Clinic parle de "problèmes de drogue", le bourgmestre d'Anvers traduit cela par un haut pourcentage de "consommateurs problématiques à l'origine de troubles". Il présente sa ville comme une plaque tournante de la drogue au niveau national et international.
Mais jouer ainsi avec la signification du mot "problème" est un sophisme, un raisonnement vicié. Agissant comme tel, il détourne l'attention du premier argument de la Free Clinic: Bart De Wever ne nie pas qu'il y a peu de problèmes liés aux consommateurs de drogue dans sa ville, mais il contourne et change de sujet. C'est ce qu'on appelle, en technique d'argumentation, un "red herring" ou "l'ignorance de la réfutation". En gros: faire diversion. De surcroît, il laisse entendre que la Free Clinic voudrait minimiser l'importance des trafics de drogue dans sa ville, ce qui n'a jamais été son propos.
Si Bart De Wever voulait être cohérent dans sa défense de la santé publique, il devrait plaider pour une légalisation strictement encadrée du cannabis
Pour répondre à l'argument de l'inefficacité de la répression en matière de drogue, De Wever construit le raisonnement suivant. D'abord – sans en apporter la preuve – il avance le fait que les mesures prises à l'étranger à l'encontre des consommateurs de drogue sont bien plus sévères qu'en Flandre. Cela devrait prouver que la Flandre connaît un problème en la matière. Même si les estimations de De Wever sur les pratiques étrangères (vaste concept) sont plutôt correctes, nous voici à nouveau face à un raisonnement vicié: un "appel à la majorité". Ce n'est pas parce qu'une majorité de personnes fait quelque chose que cela est nécessairement juste, bon. Quantité ne signifie pas qualité.
En 2011, la Global Commission on Drug Policy concluait sur l'inefficacité des approches répressives en matière de lutte contre les drogues. De Wever répond que son approche ne peut être qualifiée de répressive, et que ce que la Global Commission qualifie de "War on drugs" signifie l'emprisonnement des personnes concernées. En réduisant le terme de répression à l'application de peines de prison, De Wever se joue à nouveau des mots et des sens. En présentant les arguments de cette manière, il peut prétendre ne pas se trouver dans une logique de répression. Mais faire payer une amende de 75€, c'est bien faire de la répression.
Mensonges
Poursuivant sa réflexion, Bart De Wever avance l'idée que ces amendes sont une manière de mieux connaître les consommateurs de drogue. Selon lui, on ne peut actuellement connaître l’ampleur du problème car on ne détecte ni enregistre les consommateurs de drogue occasionnels du fait de la politique belge de la tolérance.
Voici encore un raisonnement qui pose problème, qui s'apparente même à un mensonge pur et simple sur un point précis. Le bourgmestre d'Anvers prétend d'abord qu'il faudrait enregistrer les consommateurs occasionnels de drogue car ils sont susceptible de devenir dépendant du cannabis et d'autres substances. Voici une jolie variante de la théorie de l'escalade: on commence par fumer un petit joint à l'occasion et on finit accro aux drogues dures. Pourquoi ne pas appliquer cette théorie aux addicts du café? Différents experts se sont exprimés sur les limites de cette idée: même s'il est vrai que beaucoup de consommateurs de drogues dures ont commencé avec le cannabis, présenter ce raisonnement comme automatique pour tous les consommateurs de cannabis est fallacieux. Un argument de la « pente glissante »
Mais le plus grave est que ce qu'avance De Wever est faux. Les consommateurs occasionnels de cannabis interpellés avec moins de 3 grammes sur eux sont bien enregistrés par la police: un procès verbal est réalisé, conservé quelques mois. Et si aucun autre fait n'est détecté dans ce laps de temps, il est écarté. C'est le principe de la politique de la tolérance. Prétendre que les autorités n'ont pas de vues sur ces consommateurs relève du mensonge. Cela signifie que le monitoring de ces consommateurs est possible sans pour autant passer par l'étape de l'amende à 75€.
Rajouter de la loi
De Wever admet qu'il est impossible de verbaliser tous les fumeurs de joints se baladant en rue. Il souligne que son intérêt principal porte sur l'utilisation problématique du cannabis et les nuisances qui y sont liées. Il en profite pour énumérer une série de succès de la ville d'Anvers en matière de lutte contre les problèmes de drogue. Mais ceux-ci concernent essentiellement l'arrestation de dealers, qui cadrent avec la loi existante en la matière.
Bart De Wever est conscient qu'en sévissant à un endroit, le problème ne fera que se déplacer. C'est pourquoi il a l'intention de frapper fort sur tous les dealers de la ville afin qu'ils comprennent qu'ils n'y sont plus les bienvenus. Mais pour cela, il faut aussi s'attaquer à la demande, aux acheteurs. Si la demande ne diminue pas, un nouveau dealer remplacera vite le précédent. Mais encore une fois, tous ces points concernant la gestion des dealers ou le tourisme de la drogue existent déjà dans la politique belge de la tolérance. Il détient toutes les compétences nécessaires en la matière, les résultats que son administration a déjà engrangé en sont la preuve.
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Addiction?
Bart De Wever défend son approche sévère à l'encontre du cannabis en évoquant les effets dévastateurs du tabagisme et de l'alcool, toutes deux des drogues légales :
"On va prétendre que le cannabis est inoffensif?"
Il cite les nombreuses campagnes anti-tabac et de prévention sur les risques liés à l'alcool. Mais la nocivité du tabac et de l'alcool ne prouve en rien la nocivité du cannabis. Voilà un argument "non sequitur", qui "ne suit pas les prémisses". Comme il l'admet dans le cas de ces deux substances, la société belge a choisi une politique de la dissuasion plutôt que de l'interdiction, alors que l'alcool et le tabac sont des substances bien plus addictives et destructrices que le cannabis. Ce n'est pas pour rien qu'on le qualifie de "drogue douce": on n'a jamais signalé un cas de mort dû au fait unique de la consommation de cannabis. Et sa consommation occasionnelle n'est pas addictive.
Bart De Wever est en quelque sorte 'l'argument d'autorité' incarné
L'addiction au cannabis est à mettre en lien avec la personnalité du consommateur plutôt qu'avec la substance elle-même. Ces derniers temps, on a beaucoup mis en garde contre le possible effet de dépendance créé par le cannabis: on trouve désormais sur le marché des variétés de plantes dopées avec un taux élevé de THC, la principale molécule active du cannabis. Mais si le cannabis était légalisé comme le sont l'alcool et le tabac, les autorités pourraient contrôler et limiter ce taux. Légaliser ne signifie pas une permissivité totale, cela veut dire que quelque chose est encadré par une loi aussi laxiste ou sévère qu'on le décide.
Le problème actuel reste bien le statut illégal de la substance, ce qui la fait tomber dans la loi de la rue. Si Bart De Wever voulait être cohérent dans sa défense de la santé publique, il devrait plaider pour une légalisation strictement encadrée du cannabis. Ou alors, s'il croît vraiment en la répression, militer pour l'interdiction de l'alcool et du tabac car la nocivité de ces substances a depuis longtemps été prouvée.
Argument d'autorité
Quand on écoute Bart De Wever, il faut souvent faire plus attention à la manière dont il dit les choses plutôt qu'au contenu de ses propos. Ce qui fait de lui un débatteur redoutable, c'est ce ton cynique et désabusé qui laisse entendre que ce qu'il raconte relève de la logique même, que toute personne avec un tant soit peu de bon sens doit comprendre qu'il a raison et qu'il serait insensé de le contredire. Il est en quelque sorte "l'argument d'autorité" incarné.
Aucun argument rationnel ne peut contrer ce ton employé. Si ses argument sont invalidés, il ne réagit pas, fait diversion et tente de faire passer l'autre débatteur pour un pinailleur préférant s'arrêter sur les détails plutôt que sur l'essence des choses. Même si ces détails sont essentiels. Son succès dans les sondages et les forums sur Internet montre certainement que pour de nombreuses personnes, l'image qu'il renvoie a plus d'impact que la qualité de ses arguments. Mais ce qui est certain, c'est qu'aucun des arguments avancés par De Wever dans Terzake ne passent le test des techniques de l'argumentation.
Source: http://www.apache.be