Cannabis : contraventionnalisation ?

Soft Secrets
05 Jan 2012

Un écho paru dans le "Journal du Dimanche", le 11 décembre 2011, affirmait que François Rebsamen, sénateur maire socialiste de Dijon, venait de proposer une solution nouvelle concernant la question de l'usage du cannabi


Un écho paru dans le "Journal du Dimanche", le 11 décembre 2011, affirmait que François Rebsamen, sénateur maire socialiste de Dijon, venait de proposer une solution nouvelle concernant la question de l'usage du cannabi

Le PS divisé sur la question

On a vu, lors des primaires citoyennes, que le Parti socialiste était divisé sur ce qu’il convenait de faire en matière de législation sur les stupéfiants, sans parler de leurs alliés radicaux de gauche.

Arnaud Montebourg, Ségolène Royal et Manuel Valls étaient opposés à la dépénalisation. Ainsi, lors du débat du 16 septembre 2011, sur "France 2", le député maire d'Evry se disait fermement opposé "à toute concession dans ce domaine, au nom même des valeurs de gauche, à l’idée que je me fais de l’ordre républicain et de la liberté de chacun". "Est-ce qu’on sait de quoi on parle ? Les ravages de la drogue sur des jeunes, des gamins, dès le collège (…) Ça commence souvent - pas automatiquement - par ce type de consommation, par cette économie souterraine qui mine nos quartiers".

De son côté, François Hollande exprimait le souhait que l’usage de cannabis ne soit plus sanctionné par une peine d’emprisonnement, le candidat voulant toutefois maintenir l’interdit et donc ne pas légaliser la consommation.

A un internaute de "Rue89" qui l'interrogeait sur le cannabis, la veille du débat sur "France 2", Martine Aubry répondait qu'elle était favorable à la dépénalisation de l'usage du cannabis : "Moi, je suis pour la dépénalisation, et je pense que tant qu'on n'aura pas pénalisé réellement de manière extrêmement forte ceux qui sont dans les trafics, ceux qui s'enrichissent du cannabis, il est difficile de le légaliser. D'ailleurs, vous avez vu qu'aux Pays-Bas, ils sont en train de revenir sur cela. Donc, dépénalisation, oui, renforcement des sanctions sur les trafiquants, voilà les deux mesures qui me paraissent essentielles aujourd'hui."

"Dans mon programme, je dis que je suis pour la légalisation du cannabis. Je vais plus loin que la dépénalisation proposée par Martine Aubry", insistait Jean-Michel Baylet, président du PRG. Le seul non-socialiste candidat à la primaire souhaitait que le cannabis soit vendu en pharmacie [sic]. "Cela supprimerait les trafics", ajoutait-il.

85 euros pour un joint

L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) estime à 12,4 millions le nombre "d’expérimentateurs", personnes de 12-75 ans ayant déclaré avoir consommé du cannabis au moins une fois au cours de leur vie (France métropolitaine). Les consommateurs "actuels" (consommateurs dans l’année) seraient 3,9 millions et les consommateurs "réguliers" (au moins 10 consommations  dans le mois) 1,2 millions.

Faut-il rappeler que l'usage du cannabis, comme l’usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants, est un délit susceptible d’être sanctionné d'un an d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende (article L3421-1 du code de la Santé publique).

Dans le court extrait du "JDD", du 11 décembre, il était écrit que François Rebsamen, chargé des questions de sécurité dans l’équipe de campagne de François Hollande, avait suggéré au candidat la "contraventionnalisation de l’usage des joints". Selon lui, cela permettrait de supprimer "150.000 procédures par an et les 47.000 peines non exécutées chaque année. En plus, ça rapportera de l’argent car la contravention serait de 85 euros."

Une bonne idée ?

En 2010, la police et la gendarmerie ont constaté, en métropole, 141.873 infractions d’usage de stupéfiants. En 2009, les tribunaux correctionnels ont prononcé 24.042 condamnations pour "usage illicite des stupéfiants". Parmi les rares condamnations prononcées, on trouve 48% d’amendes, 24% de peines d’emprisonnement avec sursis total, 14% de peines d’emprisonnement fermes (y compris sursis partiel), 6% de jours amendes, 4% de mesures ou sanctions éducatives, 3% de peines de travail d’intérêt général (TIG). 50% des peines d’emprisonnement fermes sont de moins de 3 mois, 90 % sont de moins d’un an.           

On voit donc ce que sont les 150.000 procédures par an qui seraient supprimées (en fait 140.000). Mais elles ne concernent pas toutes l’usage de cannabis !

En revanche, je ne vois pas très bien à quoi fait allusion M. Rebsamen quand il parle de la suppression des 47.000 peines, qui plus est "non exécutées". Pour arriver à 47.000, il faut ajouter aux 24.042 condamnations pour "usage illicite des stupéfiants", les 11.229 pour "détention - acquisition", les 7.363 pour "commerce - transport", les 2.075 pour trafic (import - export), les 1.746 pour "offre et cession", les 46 pour "aide à l’usage par autrui)" et les 102 "autre". Cela donne 46.603 soit environ 47.000.

M. Rebsamen veut-il contraventionnaliser toutes les infractions à la législation sur les stupéfiants, y compris les trafics internationaux ? Nul doute qu’il s’est plutôt égaré dans l’univers des statistiques pénales. Plus surprenant : pourquoi reprend-t-il à son compte l’antienne de la droite, voire de l’extrême droite, selon laquelle les peines ne sont pas exécutées ? Qu’en sait-il ? 

Le montant de la contravention (85€) est lui aussi un peu surprenant. A en croire la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILT), 85€ c’est le prix de 5 barrettes de 3 grammes de résine ou de 5 sachets de 3 grammes d’herbe. Plus sérieusement, M. Rebsamen ne précise pas quelle serait la classe de la nouvelle contravention pour usage de cannabis : pas la 1ère classe, le montant de l’amende étant, au maximum, de 38€. Alors la  2ème classe (maximum 150€), le 3ème  classe (450€), 4ème classe (750€), 5ème classe (1.500€ maximum, 3.000 au maximum en cas de récidive) ? Le montant choisi semble indiquer la 2ème classe. Une contravention de 2ème classe, c’est par exemple l’usage d'un téléphone en conduisant, la circulation sur la bande d'arrêt d'urgence, le changement de direction sans clignotant... 

En juin 2011, l’IFOP avait réalisé un sondage par téléphone, pour le journal "Sud-Ouest". L’échantillon était composé de 955 personnes, représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas par sexe, âge, profession du chef de famille, après stratification par région et catégorie d’agglomération). A la question : "Vous personnellement, êtes-vous plutôt favorable ou plutôt opposé à la dépénalisation des drogues douces comme le cannabis ?", 63% des personnes se disaient plutôt opposées, 36% plutôt favorables, 1% ne se prononçant.

La proportion d’opposants était de 56% chez les hommes et 69% chez les femmes ; 48% chez 18-24 ans, 50% chez les 25-34 ans, 69% chez les 35-49 ans, 66% chez les 50-64 ans et 71% chez les 65 ans et plus. En termes de proximité politique, on trouvait 42% d’opposants à la dépénalisation au Front de gauche, 47% à chez les Verts, 56% au PS, 71% au Modem, 79 % à l’UMP, 72% au Front national.  

Si François Rebsamen recherche la synthèse au sein des électeurs socialistes, le choix de la contravention de 5ème classe me paraîtrait plus adapté au contexte. C’est déjà ce que je proposais en septembre 2011.

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