Si un policier est impliqué, la victime paraît suspecte

Soft Secrets
25 Mar 2013

Hommage à Yassin Haibeche


Hommage à Yassin Haibeche

Marseille. Après la mort de Yassin Aïbeche, 19 ans, des femmes du quartier organisent une marche et parlent de ses copains «prostrés».

Par OLIVIER BERTRAND

Elles tiennent le coup parce qu’elles ont un rassemblement à préparer. Parce que la colère qui les accompagne traverse aussi «les jeunes du quartier», qu’elles essaient d’encadrer. Voilà bientôt quarante jours, Yassin Aïbeche (19 ans) a été tué dans une épicerie de Marseille par un policier, qui avait bu et trimbalait son arme en dehors du service. Depuis, à Félix-Pyat, l’un des quartiers les plus pauvres de France, la mère et les tantes du garçon font face. Elles s’occupent des formalités, de la douleur des copains, des complications avec la famille gérant l’épicerie (1), des relations avec les autorités. Cet après-midi elles rencontrent le préfet pour lui remettre «14 propositions» avant le rassemblement, samedi dans leur quartier en hommage à Yassin.

 

Perquisition. Ces activités repoussent la solitude que la mère du jeune homme devra affronter. Mais elles font aussi remonter des douleurs, des découragements qu’elles essaient de dépasser ensemble. Durant les trois jours après le drame, il y a eu le couscous rituel pour les voisins, la famille. Le chagrin se mêlait à une colère exutoire, nourrie de multiples injustices. Comme celle d’être perquisitionné, «ce qui n’arrive pas à toutes les familles de victimes». De ne pas recevoir de soutien psychologique. D’entendre en boucle à la télé que Yassin «fumait du cannabis», qu’il était «défavorablement connu» des services de police. «C’est curieux, relève Fadela (2), l’une de ses tantes, quand un policier est impliqué, la victime paraît toujours suspecte au départ.»

Elle-même a perdu un demi-frère, tué par un voisin, voilà une trentaine d’années. Elle a participé à la Marche pour l’égalité en 1983, a longtemps milité. Et ce qu’elle entend depuis quarante jours la bouleverse. «Les premiers jours, dit-elle, il fallait que j’aie toujours les mains dans la graine, pour arrêter de penser, tellement j’avais mal au ventre. Je me disais toutes ces années pour en arriver là !» Avec ses cousines et Yamina Benchenni, une amie militante, elles «ramassaient» les copains de Yassin, «prostrés» dans les halls d’entrée. Elle les trouve perdus, bien au-delà du deuil. «Ils se referment, ne parlent plus, dit-elle. On en a emmené une trentaine en Algérie, pour l’enterrement, et je me suis occupée des papiers. Un jour, un jeune me dit : "Je veux venir." Je lui dis : bien sûr, tu as quelle nationalité ? Tu es français ou algérien ? Il ne savait même pas.»

«Changement». Elles ont passé du temps à calmer leur colère. L’attitude de la justice les a aidées. D’emblée, le parquet a demandé l’ouverture d’une information judiciaire pour homicide volontaire. «C’est rare pour un policier, relève Dany Cohen, l’avocat de la famille. Même si les faits sont accablants, il y a peut-être un changement de comportement. Même de la part des autorités policières.» En préparant le rassemblement, les femmes parlent souvent de la police. L’autre jour, Saïd, un oncle, leur rappelait que le meurtrier présumé venait de se séparer de sa compagne, qu’il buvait beaucoup, fumait du cannabis (ce que les analyses confirment). Nora l’a repris : «Bien sûr qu’ils sont fragiles, qu’ils ont un métier difficile. C’est une des professions au plus fort taux de suicides. On le sait ça. Les flics, on vit avec dans les quartiers. Ce ne sont pas les ennemis, ce n’est pas le sujet. Quand ils interviennent sur les trafics, on est bien content. Mais c’est à leurs chefs de les faire suivre par des psys et de pas laisser armés, près de nos gamins, ceux qui vont vraiment mal.»

Au départ, elles pensaient faire un rassemblement devant la préfecture, mais y ont renoncé en apprenant que d’autres parents, dont les enfants ont été victimes de règlements de comptes, envisageaient de se mêler. Elles ont eu peur que l’on mélange tout. Le défilé aura lieu à Félix-Pyat, samedi, à 14 heures. «Ensuite, dit Fadela, nous irons s’ils le souhaitent aux côtés de parents qui ont perdu leur enfant dans ces trafics.»

(1) Lire sur www.marseille.blogs. liberation.fr (2 Prénom changé à la demande de l’intéressée.

Source: liberation.fr

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