Police contre la prohibition
Le collectif ¨Police Contre la Prohibition¨ (PCP) est un pavé dans la mare nauséabonde de la prohibition française. Entretien avec Bénédicte Desforges, lieutenant démissionnaire de la police, cofondatrice de PCP.
SSFR : Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t´a amené á penser à contre-courant de la doxa officielle en matière de stupéfiants, y a-t-il eu un déclic ?
Bénédicte Desforges : Quand je suis entrée dans la police, gardien de la Paix en banlieue parisienne, j’ai plongé direct dans le grand bain des années-héroïne. Ce qui voulait dire concrètement, des usagers en grande difficulté sanitaire et sociale, et des overdoses très fréquentes. Ce n’était pas tout de le savoir, le voir au quotidien changeait tout de même beaucoup de choses dans la façon d’appréhender le sujet des drogues. Par définition, pour un flic sur le terrain, et sans faire de zèle en allant fouiller au fond des poches des uns et des autres, on ne voyait que des usagers dits "problématiques". La répression pénale de l’usage de drogues, quelle que soit la drogue, n’était de toute évidence pas la bonne réponse, on le constatait très concrètement.
Je n’interpellais pas pour un simple usage de stupéfiants, et dans le premier service où j’ai travaillé, peu le faisaient. Dans la mesure du possible, je ne confisquais pas la drogue, mais souvent elle était jetée à notre vue. Nous, on préférait garder notre temps et notre énergie pour une délinquance un peu plus excitante d’un point de vue policier, ce qu’on appelle les atteintes aux personnes et aux biens, les agressions, les vols avec violences, la recherche du flag…etc. Coté stups, le vrai fléau n’était pas la drogue mais la prohibition, qui éloigne les consommateurs de l’accès à l’information, la prévention, pire, l’accès aux soins, et entrave par l’interdit et le tabou l’effectivité des politiques de réduction des risques.
Quels échos et retours avez-vous de votre milieu professionnel, concernant cette initiative unique en France ?
Le collectif Police Contre la Prohibition est perçu dans nos milieux professionnels avec réticence, curiosité ou intérêt, ça dépend. Certains comprennent notre plaidoyer contre la répression comme un appel au laxisme ou à l’incitation à consommer des stupéfiants. Ils ne se sont simplement pas donné la peine de lire nos argumentaires, de consulter les sources d’information à leur disposition ou d’accepter un échange rationnel et dépassionné. Faute de raisonnements construits ou d’une quelconque statistique en faveur de la prohibition, les contre-arguments sont essentiellement d’ordre moral : la drogue, c’est mal, il faut punir son usage. La formation actuelle des policiers est courte, et fait peu de cas des libertés fondamentales et de la sociologie. C’est encore un milieu où on a vite fait d’être marginalisé, et de se faire traiter de gauchiste ou de droitdelhommiste, ou pire insulte, quand on s’écarte de la culture policière dominante.
D’autres collègues manifestent de l’intérêt pour notre démarche et acceptent d’entendre nos arguments et de les confronter à leur réalité de terrain. Soit ils sont en désaccord avec cette politique répressive parce qu’elle est inutile et chronophage, parfois ils en conçoivent l’injustice, et qu’elle ne présente aucun intérêt d’un point de vue policier. Soit ils sont tout simplement accablés par la politique du chiffre qui repose en grande partie sur la répression de l’usage de stups. Pour l’une ou l’autre raison, ils seraient favorables à une législation dépénalisant l’usage, et d’autant plus quand on explique l’exemple du Portugal, où du jour au lendemain la police, refilant la patate chaude de l’usage de drogues au secteur médico-social, a pu se consacrer à la répression du trafic et autres délits, apportant du coup une réelle plus-value à la sécurité publique.
Vois-tu la lumière au bout de ce long tunnel de la prohibition française ? Comment interprètes-tu la décision de mettre en place cette nouvelle amende pour les usagers et détenteurs de stupéfiants ?
Quand d’autres pays font évoluer leur législation, la France persiste dans l’immobilisme. Pire, elle ajoute à son arsenal répressif un dispositif supplémentaire, celui de l’amende forfaitaire délictuelle, qui loin de "simplifier" quoi que ce soit, enfonce un peu plus la politique des drogues dans la prohibition et tous ses travers. Sous prétexte d’harmoniser la réponse pénale et d’éteindre rapidement l’action publique, l’amende s’appliquera à tous les usagers de drogues de manière indifférenciée et sans recours au juge, bottant en touche et reniant le prétexte sanitaire de la loi dans laquelle elle s’inscrit. Quelques exceptions toutefois, ne seront pas concernés par l’amende et se verront appliquer la procédure normale : les mineurs, ceux ayant des antécédents judicaires et les usagers "problématiques".
Ces derniers devront être identifiés par l’agent verbalisateur, ce qui est totalement surréaliste puisqu’ils n’ont aucune compétence pour ce genre de diagnostic. Et enfin, cette amende sera un appel d’air à la politique du chiffre, et sans surprise s’appliquera dans les quartiers que les forces de l’ordre souhaitent "reconquérir" selon les mots du ministre, et visera la population jeune, issue de l’immigration, socialement vulnérable et peu solvable, générant un surplus de tensions et d’hostilité réciproque. Il est plus juste de parler de répression des usagers de stups, que de l’usage. Pour toutes ces raisons, le collectif PCP considère la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues comme une urgence et un préalable à toute modification de la législation. Dessin par Maya