Plus de dix ans de prison, et au bout l'innocence
Annulation d'une condamnation pour le meurtre d'un dealer de cannabis
Annulation d'une condamnation pour le meurtre d'un dealer de cannabis
Récit La Cour de révision a annulé la condamnation d'Abdelkader Azzimani et Abderrahim el-Jabri qui avaient écopé de vingt ans de prison pour le meurtre en 1997, à Lunel dans l'Hérault, d’un dealer de cannabis tué de 108 coups de couteau.
«Quinze ans de combat pour deux minutes de délibéré !» Soulagés et émus, les avocats d’Abdelkader Azzimani et Abderrahim el-Jabri n’en reviennent pas. Après plus de dix ans en prison, les condamnations pour meurtre de leurs clients viennent d’être annulées par la Cour de révision. Une décision rare : seulement huit condamnés pour meurtre ont été acquittés depuis 1945.
Devant la salle d'audience, les condamnés innocentés, leur famille et leurs avocats sont émus aux larmes. Abderrahim el-Jabri dédie ce succès à son père, mort durant sa détention. «C’est un combat enfin gagné, on s’est battu comme des lions !», s’exclame-t-il. «C’est du pur bonheur», sourit Soukaïna, la fille d’Abdelkader Azzimani. «Elle a vécu quinze ans sans moi, on ne s’est connu qu’à travers des parloirs», raconte son père en la serrant dans ses bras. Sa sœur, Rahmouna, parle d'«une famille démolie et d’enfants traumatisés» devant les caméras de télévision.
«Il est encore très rare que l’administration judiciaire reconnaisse ses erreurs»
L’acquittement ne faisait pas de doute : la culpabilité des deux hommes avait été mise à mal par le revirement du témoin principal puis l’exploitation de traces ADN désignant un autre coupable en 2011. Mais les deux accusés et leurs familles n’osaient pas y croire avant de tenir dans leurs mains le papier inscrivant noir sur blanc l’annulation de leur condamnation. «Il est encore très rare que l’administration judiciaire reconnaisse ses erreurs», explique Me Jean-Marc Darrigade, l’avocat d’Abdelkader Azzimani.
Abdelkader Azzimani et Abderrahim el-Jabri clament leur innocence depuis quinze ans. «Ils ne doivent leur victoire qu’à leur ténacité et leur courage», ont souligné leurs avocats. En 2001, les deux hommes aux crânes lisses sont condamnés à vingt ans de réclusion pour le meurtre en 1997 d’un petit trafiquant de cannabis surnommé «Azouz» — tué de 108 coups de couteau à Lunel, dans l'Hérault — qu’ils fournissaient en drogue. L’enquête s’oriente rapidement vers les deux hommes. Un faisceau d’indices fait d’eux des parfaits coupables : «Azouz» leur doit de l’argent, ils sont les derniers à l’avoir vu, sont passés sur les lieux du crime, ont un profil de délinquants. Et un témoin prétend les reconnaître.
Pourtant, le témoignage sur lequel repose l’accusation n’est pas très solide : «Le témoin disait avoir vu la scène de meurtre dans l’après-midi alors que le rapport du médecin légiste indiquait la mort de la victime à 20 heures», s’indigne encore aujourd'hui Boudjema, le frère d’Abdelkader Azzimani. En 2002, la cour d’appel, embarrassée, confirme la peine des deux hommes, mais pour complicité, sans que l’auteur de l’homicide soit identifié. Depuis la prison, les deux hommes commencent à faire des demandes de révision. Rejetées à chaque fois.
«Faire perdre à l’épine dorsale du dossier toute sa crédibilité»
Boudjema Azzimani contacte alors Roger-Marc Moreau, le détective privé célèbre pour avoir fait avancer l’enquête sur Omar Raddad. Il réussit à «faire perdre à l’épine dorsale du dossier toute sa crédibilité» : le témoin avoue devant les caméras de France 3 qu’il a confondu El-Jabri avec un autre homme. Un autre homme qu’il croit avoir revu dans un café récemment. Mais qui se trouvait en réalité en prison au moment des faits...
Le parquet de Montpellier décide alors de mener de nouvelles investigations, sans grand succès. Jusqu’à ce que les avancées de la science bouleversent tout. En 2010, les traces d’ADN prélevées en 1997 sur la scène du crime sont versées au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Lorque l’ADN de Michel Boulma est enregistré pour un petite infraction quelques temps plus tard, le logiciel s’affole : les deux ADN correspondent. Ce manutentionnaire d’une trentaine d’années reconnaît avoir été sur les lieux du crime mais accuse un autre homme, Bouziane Helaili, d’avoir commis le meurtre. Un procès devrait se tenir bientôt pour déterminer leurs responsabilités respectives.
Pour les deux innocentés, l’heure est officiellement à la fête. Mais, en libération conditionnelle depuis 2009 et 2011, ils n’ont pas réussi à reprendre «une vie normale». Marqués par la détention, ils ne travaillent ni l'un, ni l'autre. «Je voudrais rouvrir un garage, comme avant, mais j’ai eu un infarctus et je souffre d’eczéma depuis la prison», raconte Abdelkader Azzimani. Ils ne se sentiront réellement libres qu’après avoir été rejugés par la cour d’assises du Gard, qui devrait définitivement les acquitter. Me Jean-Marc Darrigade espère que ce nouveau procès sera enfin l’occasion de faire «l’autopsie de l’erreur judiciaire en France».
Source: liberation.fr