Entretien avec Kenzi Riboulet, co-fondateur de la F.A.A.A.T.
Par Emmanuelle Macronne
« Lundi 4 juin 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a commencé à réparer un siècle d’injustice : celle de la prohibition du Cannabis à l’échelle mondiale. Même si les échanges des Experts seront seulement préliminaires, leurs conclusions finales pourront changer la classification du Cannabis au sein des Conventions internationales. L’ONG FAAAT (For Alternative Approaches to Addiction) est le point de contact et de convergence entre l’OMS, la société civile et les gouvernements. FAAAT a contribué au processus avec une déclaration signée par +100 ONG de +35 pays sur tous les continents » (Extrait du communiqué de presse FAAAT du 07/05/2018)
SSFR : Bonjour Kenzi, peux-tu te présenter et nous narrer comment tu es devenu activiste anti prohibitionniste ?
À la base je viens du monde du cinoche argentique et je pense m'être tourné vers le militantisme anti-prohibitionniste le jour où j'ai pris conscience du côté tentaculaire des politiques des drogues. Police, prison, éducation, quartiers, santé, relations avec les anciennes colonies, économie, guerres… En observant notre société, je me suis rendu compte que dans tout un tas de luttes pour un monde meilleur, il y avait une sorte de poids invisible freinant le changement, […], caché sous une montagne de tabous: "la drogue" et la "prohibition" (en réalité, "les drogues" et des politiques publiques hygiénistes héritées d'un autre temps). Il semblait y avoir si peu de monde pour s'occuper de cet obstacle que j'ai décidé de m'y attaquer. Avec des potes usagers de weed comme moi, nous nous sommes rapprochés de vieux et vieilles du militantisme cannabique et avons monté Chanvre & Violettes à Toulouse, un collectif mi-CIRC mi-Cannabis sans frontières. Après, nous avons fusionné avec [des gens de toute la France] pour devenir Chanvre & Libertés, et enfin NORML France.Prohibition, un poids caché sous une montagne de tabous
Pendant ce temps là, j'ai commencé à m'intéresser de plus en plus à l'histoire, aux imbrications avec tout un tas d'acteurs de la société qui pigent que dalle mais sont en contact avec les drogues et les usagers tous les jours… Mon engagement m'a amené à militer avec la coalition européenne ENCOD. Au même moment, l'agenda des drogues au niveau international prenait un nouveau souffle et se cristallisait à l'ONU. Malheureusement il y avait encore moins de monde à l'ONU, et encore plus de besoin de changement. Alors je me suis retrouvé aspiré par les politiques internationales des drogues, et fasciné par leur réforme. Entre-temps je me suis installé à Barcelone, où le climat politique et social est moins défavorable aux drogues et permet des avancées positives - qui donnent l'exemple pour le reste de l'Espagne et l'Amérique latine… et devraient d'urgence servir d'exemple à la France.Tu es l’un des piliers du think & do tank FAAAT (Favoriser des Approches Alternatives en matière d’Addiction), peux-tu expliciter le rôle et les buts de cette ONG ?
Nous travaillons sur les thématiques liées à l’addiction, aux drogues interdites ou placées sous contrôle, et aux autres plantes, substances, produits, objets ou comportements pouvant générer l’addiction. Notre but est de faire évoluer les politiques des drogues (partout où il y a des opportunités ouvertes), pour qu'elles soient : démocratiques et inclusives de tous les pans de la société (et en particulier les groupes sociaux, ethniques, ou populations qui ont été le plus affectés par les politiques de prohibition du siècle écoulé) - au final une question de justice sociale transparentes et évaluables (le tabou et le rejet social associé aux drogues a aussi généré une absence de suivi, d'étude et d'analyse de l'impasse des politiques de prohibition sur les sociétés. Avant de passer à de nouvelles politiques et pour convaincre du bien fondé de la régulation, il faut des chiffres. On ne les a pas cadrées par les droits de l'Homme et les libertés civiques fondamentales, ancrées dans les politiques de développement durable (c'est aussi une condition pour avoir des politiques inclusives), et bien sûr protectrices de la santé - pour de vrai ! Nos activités sont donc divisées entre le pôle de recherche, réflexion et analyse (think-tank), et un pôle d’actions (do-tank).Recherche, réflexion, analyse et… actions !
Récemment, on a entendu parler de nous à propos de l'Organisation Mondiale de la Santé, du CBD et du Cannabis : nous avons réussi à pousser l'OMS à réviser la classification du cannabis au niveau international. Même si cela reste à confirmer et que nous n’avons plus assez de financements pour continuer à être présents, c'est déjà un pas énorme, car l'OMS a tout simplement refusé depuis les années 1950 de se pencher sur le Cannabis.Selon toi, comment la France pourrait-elle basculer du côté de la régulation ?
Je pense que ce qu'il faut en France, c'est réfléchir à une approche propre. Prendre exemple sur les Cannabis Clubs catalans ou s'inspirer du Canada, c'est bien. Mais à mon avis, il vaut mieux réfléchir au type de légalisation pour les gens qui résident dans l'hexagone ou dans l'outre-mer, pour régler nos problèmes propres, créés par notre prohibition bien française, et pour recoudre les plaies de notre histoire où se mêlent en particulier prohibition et post-colonialisme. http://faaat.net/
S
Soft Secrets