En Belgique, l'utilisation du cannabis thérapeutique reste interdite
Les politiques abordent la question avec une extrême prudence
Les politiques abordent la question avec une extrême prudence
La loi a évolué en France concernant l'utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques. En Belgique, par contre, cela reste interdit. Et, visiblement, la situation n'est pas prête d'évoluer. Notre rédaction a recueilli les avis de deux médecins spécialisés ainsi que la position des quatre principaux partis francophones.
Un décret est entré en vigueur il y a quelques semaines en France. Il ouvre la voie à la vente de médicaments dérivés du cannabis. Il "ouvre la voie", à ne pas confondra avec "la vente est autorisée" qui sera le niveau suivant, dès qu'un médicament contenant des cannabinoïdes (groupe de substances chimiques qui activent les récepteurs cannabinoïdes présents dans le corps) aura une autorisation de mise sur le marché. La France n'est donc plus qu'à une étape de l'utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques. L'hexagone s'apprête ainsi à rejoindre des pays comme la Suisse, les Pays-Bas ou l'Espagne où le cannabis médical est légalisé.
"Dosage et quantités variables"
Et en Belgique, où en est-on par rapport au cannabis utilisé à des fins thérapeutiques ? "Nulle part !", a indiqué le professeur Paul Verbanck, chef de service de la psychiatrie à l'hôpital Brugmann. "Ce n'est pas autorisé, ce qui ne nous empêche pas de rester très attentifs à l'évolution des choses dans le domaine. Mais même dans les pays où le cannabis utlisé à des fins thérapeutiques est autorisé, cet usage reste anecdotique, principalement parce que toute personne réagit différemment, ce qui rend le dosage et les quantités à administrer variables. Le cannabis médical reste donc mal codifié, et en général on en est encore plus à des phases de test", a-t-il ajouté.
Moins d'anti-douleurs
Pourtant, s'il revient si souvent sur le tapis, en toute logique, c'est que le cannabis thérapeutique présente des vertus efficaces. Ou, du moins, que certains médecins estiment efficaces. C'est le cas du professeur Lossignol, chef de clinique (clinique de la douleur), à l'Institut Jules Bordet. "Les dérivés du cannabis sont dans la plupart des cas utilisés pour soulager les patients atteints de cancer ou de la sclérose en plaques. Il permet de diminuer la douleur et/ou la nausée. Ses vertus sont connues depuis le Moyen-Age, mais paradoxalement, on aura dû attendre la fin des années 80 pour en comprendre les effets. Mon avis, c'est que si le cerveau possède des récepteurs à ces substances, c'est qu'elles ont un rôle. La nature ne s'encombre pas de hasard. Et, en effet, les patients à qui on en administre réagissent bien. On a de très bons résultats, et les patients consomment beaucoup moins d'anti-douleurs, ce qui n'est pas négligeable", a-t-il confié.
"Les résultats sont bons"
Cela veut donc dire que dans certains hôpitaux, des médicaments à base de cannabinoïdes sont prescrits malgré la loi ? "Non, on n'en prescrit pas. Par contre, on peut en administrer dans le cadre de certaines études, mais les critères d'inclusion de patients sont sévères. Donc on ne peut vraiment pas faire ça avec chaque patient. Mais avec certains, cela fonctionne très bien, il y a peu de risques et les résultats sont bons", a ajouté le professeur Lossignol.
Pourquoi cela reste-t-il illégal?
N'imaginez pas non plus voir un fumoir dans un hôpital. L'usage est tout autre et le dérivé utilisé est ingéré sous forme de gélule ou de spray qui délivre une quantité précise de THC (Tétrahydrocannabinol, la molécule la plus connue contenue dans le cannabis et qui possède un caractère psychotrope). Mais si les études sont positives, qu'il devient toléré (voire légalisé) dans de nombreux pays et dans une vingtaine d'Etats américains, pourquoi cet usage reste-t-il interdit en Belgique ? "Je ne vais pas porter de jugement au niveau judiciaire. Pour ma part, je ne suis pas contre le fait que cela devienne autorisé, mais à ce moment-là la posologie doit être précise, et le dosage minutieusement établi. Bref, il faut qu'il y ait un mode d'emploi clair, net et précis, comme pour tout autre médicament. Comme indiqué précédemment, cela ne semble pas encore être le cas. De même, il faut que toute la sécurité qui entoure l'usage d'un tel médicament soit assurée et qu'il y ait un contrôle strict, comme pour tout autre opiacé", a conclu le professeur Verbanck.
A moins que...
Pour le professeur Lossignol, par contre, le problème est ailleurs. "On connaît le mécanisme d'action. On connaît les quantités précises à administrer et les intérêts sont vastes, que ce soit pour soulager la douleur, la nausée ou autre. Mais on fait un mauvais procès au cannabis à cause de l'usage récréatif qui en est fait, même si de nombreux médicaments sont dérivés de plantes. C'est comme pour la morphine il y a 20 ou 30 ans. Quand on en administrait, on nous traitait de dealer. Maintenant c'est le contraire, si on en administre pas à quelqu'un qui souffre, on se dira qu'on est sadique. Il faut le temps pour que les mentalités évoluent. Et puis autre chose de très important. Le coût de cette molécule n'est pas élevé. Et visiblement, ça n'intéresse pas vraiment l'industrie pharmaceutique", a-t-il conclu.
Les politiques abordent la thématique avec une extrême prudence
On le voit, la question de l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques divise, même au sein du monde médical. Au niveau politique, la question est abordée avec beaucoup de prudence. Preuve que le mot "cannabis" doit encore être manié avec vigilance, afin de ne pas prendre le risque de heurter une partie de l'opinion publique. "Nous ne sommes pas favorables à la légalisation du cannabis d'un point de vue général. Maintenant si on se résume au cas de l'usage médical, notre avis n'est pas si tranché. Mais il faudrait pousser les études et être sûr que cet usage ait des effets bénéfiques pour apaiser les douleurs. Ensuite, si les effets sont bien définis et circonscrits, il y aurait des conditions strictes à respecter: une ordonnace délivrée par un médecin, une culture contrôlée, certaines pharmacies désignées pou
r la vente, et il faudrait également un bureau qui jouerait un rôle central dans la distribution", a confié Christine Defraigne pour le MR. "Mais quoi qu'il en soit, il serait hors de question d'ouvrir les vannes. Il y a quelques années, le cannabis a été considéré comme étant une drogue douce. Ca a été une erreur monumentale car personne n'avait imaginé les ravages que cela pouvait générer, surtout sur les jeunes. Donc même si on en arrive à l'autoriser dans un cadre thérapeutique, cela devrait être extrêmement contrôlé", a-t-elle ajouté.
"Est-ce bien à un parti de se prononcer ?"
Au parti socialiste, "nous n'y avons pas d'opposition de principe", a confié le porte-parole Jérémie Demeyer. "Nous sommes favorables à tout traitement permettant d'améliorer le bien-être du malade, mais comme pour tout médicament, il faut en analyser scientifiquement les risques et les bénéfices et ce n'est pas à un parti politique à se prononcer là-dessus", a-t-il indiqué.
Le cdH est lui "favorable à l’utilisation thérapeutique du cannabis dans un cadre strictement médical, si et seulement si il est prescrit comme complément au traitement contre la douleur chronique difficilement supportable et dans une procédure médicale encadrée (prescription par un médecin, délivrance du produit en pharmacie, suivi régulier du patient, …)", nous a expliqué Audrey Jacquiez, porte-parole du cdH.
Ecolo se mouille un tout petit peu plus
Dans le chef du parti Ecolo, le discours est un peu plus osé. "Ecolo est favorable à l’usage du cannabis ou de dérivés à des fins thérapeutiques, tel que certains pays le pratiquent déjà, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et plus récemment, la France". Mais le parti reste prudent, et précise: "Une telle utilisation demande bien entendu un cadre légal autour de sa production, des conditions d’accès, de sa distribution, de sa consommation, et ce, comme pour tout autre médicament. Cela implique entre autres une délivrance par certificat médical et donc un rôle, notamment d’information et de sensibilisation du médecin et du pharmacien à l’égard des patients afin d’éviter la dépendance et les effets secondaires (comme aux autres anti-douleurs) et d’assurer un suivi des patients", nous a déclaré Franco Meggetto, porte-parole d'Ecolo.
On le comprend à la lecture de ces déclarations, les médecins devront parler d'une voix et appuyer leurs arguments pour faire bouger la législation. Quand on sait, en outre, que l'industrie pharmaceutique ne pousse pas dans cette direction, on se dit que les médicaments dérivés du cannabis vont encore vivre de beaux jours... loin de la grande distribution.
Source : http://www.rtl.be/