C'est pour bien tôt
Un mot, une plante qui fait peur et déchaîne les passions.
Un mot, une plante qui fait peur et déchaîne les passions.
Souvenons-nous de juin dernier lorsque la ministre verte Cécile Duflot donna son avis sur la question…
Pour sortir des clichés habituels, c’est à l’initiative de quelques entreprises et associations que se tiendra le 1er Forum Social International du Cannabis ce week-end à Irun. Impossible à réaliser dans l’Etat français, les organisateurs souhaitaient le voir se tenir le plus proche possible de ce dernier. Chose réussie, le Ficoba se trouvant on ne peut plus près de la frontière entre les Etats français et espagnol.
Les organisateurs veulent, à travers les interventions et les débats entre de nombreux experts internationaux, mener une réflexion sérieuse sur la question. Car le cannabis est une réalité, qui rencontre d’ailleurs un incontestable succès dans l’Etat français, il s’agit pour les organisateurs de faire le “pari de la normalisation” en sortant de l’“hypocrisie” en vigueur dans la “patrie des droits de l’Homme”.
Ce seront aussi bien des médecins de diverses spécialités, des activistes tels que le célèbre Mr. Nice ou des représentants d’associations d’usagers tels que le français Jean Pierre Galland (Voir l’entretien ci-contre) qui se rencontreront et débattront au sujet de cette herbe tantôt adorée, tantôt détestée.
Les objectifs de cette rencontre seront de mieux connaître ce qu’est le cannabis, d’“approfondir les questions liées au cannabis d’un point de vue social, étant celle-ci une question de santé et droits des personnes utilitaires de cannabis”, d’analyser les différentes législations et expériences menées dans les autres pays du monde ou bien encore de créer un point de rencontre entre experts internationaux. Il est également important de préciser que ces différentes manifestations ne seront pas l’exclusivité d’une élite fermée mais seront ouvertes au public.
Réfléchir est une bonne chose, mais s’amuser aussi. D’autant que l’usage du cannabis, qui peut-être thérapeutique, est la plupart du temps récréatif. Il s’agit donc aussi de se poser la question du plaisir dans nos sociétés, et de celui-ci face à la loi. Seront donc proposées pour se détendre diverses activités, allant du street art (comme le graf, le skate avec un skate parc de 250 m2 et une compétition se tenant durant les trois jours) à la danse en passant par Herri Kirolak et bien évidemment la musique avec de nombreux concerts de qualité (voir programme ci-dessous).
Le Ficoba, imposante structure, pourra accueillir durant ces trois jours 7 000 personnes sur une surface d’environ 12 000 m2 sur laquelle seront également présents avec leurs stands de nombreuses associations diverses et variées qu’il sera donc possible de rencontrer.
Une publication écrite ainsi qu’un DVD devraient voir le jour à l’issue de ce Salon afin d’en appréhender les conclusions et propositions.
Plus largement, il nous a semblé intéressant de profiter de l’occasion pour nous pencher sur le sujet par l’intermédiaire des deux entretiens ci-contre.
“Ce sujet, en France, est un tabou, alors que si on traverse la Bidassoa, non.”
Jean-Pierre Daulouède / Psychiatre, addictologue ; Directeur de Bizia (Centre de soins et d’accompagnement et de prévention en addictologie) et Arkaitz Aguerretxe-Colina / Neuropsychologue, addictologue
Jean-Pierre Daulouède, Psychiatre et addictologue, et Arkaitz Aguerretxe-Colina, neuropsychologue ont répondu au JPB sur la question de l’usage du cannabis dans l’Hexagone.
Pouvez-nous nous faire part de votre constat concernant la situation du cannabis dans l’état Français ? Qu’est-ce qui pourrait être fait pour améliorer les choses ?
Une enquête, nommée Escapad, a montré que la France est un des pays d’Europe où la consommation de cannabis est la plus élevée, et ce qui est plus ennuyeux, plus particulièrement chez les jeunes.C’est un des pays où les jeunes expérimentent le cannabis le plus tôt et qui en consomment le plus, et ce, bien qu’il y ait une des législations les plus répressives d’Europe. On observe d’une part, au niveau des soignants, que l’arsenal législatif actuel, non seulement, ne protège pas les jeunes et les très jeunes, que ça génère tout une économie souterraine et que cela expose les usagers à des peines de prisons qui sont totalement démesurées pour un délit qui a à voir avec un problème de santé publique. Le problème est l’usage que l’on fait du cannabis. Ce que l’on sait du cannabis, comme des autres drogues, c’est que plus tôt il est consommé plus il est toxique et plus le risque de devenir dépendant est important. On sait qu’à partir de 16-18 ans le risque d’en devenir dépendant est de 5 à 10 %. Par contre celui qui va l’expérimenter à 12 ans a un risque de devenir dépendant qui est de plus de 60 %. Ceux qui doivent être protégés sont donc avant tout les plus jeunes. D’autres risques existent également pour des consommations régulières avant 16 ans. Il s’agit donc de retarder le plus possible la première expérimentation. Avec Médecins du Monde nous constatons que la législation actuelle, basée sur la loi dite de 1970, qui pénalise l’usage, est un frein à l’entrée en soin et à la prévention puisqu’on voit que malgré cette loi hyper-répressive on ne protège pas les plus jeunes. Nous avons presque l’effet inverse, les très jeunes étant exposés au trafic.
L’une des réussites de la Hollande, qui a moins de problème de cannabis chez les jeunes, contrairement à ce que l’on pense, c’est que en confinant le commerce et l’accès au cannabis à des coffee-shops on est sûr qu’on a à faire qu’à des adultes. Nous pensons donc qu’il faut revoir le cadre juridique du cannabis pour protéger les jeunes. D’autre part nous retrouvons régulièrement des rajouts dans la résine afin d’alourdir la matière. Il y a des gens qui consultent pour des migraines ou des nausées et les analyses faites sur des échantillons montraient la présence de henné ou d’hydrocarbures ajoutés par les différents dealers dans les mains desquelles le produit était passé. Au motif que l’on ne veuille pas ouvrir les vannes on refuse de constater que cette loi de 1970 a beaucoup d’effets pervers et ne protège pas les plus fragiles.
Le fait par exemple, puisque nous parlons des jeunes, que ce soit parfois la police et non des médecins, qui viennent faire de la prévention dans les collèges, ne peut-il pas entraîner un effet pervers ?
Bien sûr que oui. Il y a là une confusion. L’usage du cannabis étant pénalisé c’est la police qui doit faire respecter la loi mais je ne pense pas que ce soit le rôle des policiers que de donner des informations scientifiques et médicales. Ce n’est pas leur domaine d’expertise.
Pensez-vous que la prohibition puisse relever d’un problème moral ?
Lorsqu’on interdit la prostitution ou le meurtre ce sont des arguments de morale qui prévalent. Quand on interdit la drogue ce sont des arguments de santé publique. Maintenant, un des effets pervers de la loi de 1970, alors qu’elle a exclusivement des objectifs de santé publique, est qu’il y a par extension une approche un peu morale. La France est un pays où on ne peut pas avoir un débat serein sur les dangers ou la relativité du danger du cannabis parce qu’on l’aborde sous un angle moral. C’est pour cela qu’il est intéressant de regarder ce qu’il se passe en dehors des frontières et de voir comment est traitée la question ici où là. Et de ce point de vue-là ce qu’il va se passer à Irun est intéressant puisqu’y interviendront non seulement des associations d’usagers mais aussi des professionnels de la médecine, de la neurobiologie ou de la neuropharmacologie.
En tant que professionnels, vous sentez-vous écouté et entendus ?
Ce sujet, en France, est un tabou, alors que si on traverse la Bidassoa, ça n’en est pas un. Nous le constatons à Bizia car nous travaillons depuis longtemps dans une démarche transfrontalière. Par exemple, va intervenir à ce forum le docteur Celina Pereda (Directrice Drogue-dépendance du Gouvernement Basque). Elle a été à l’initiative, avec Munduko Medikuak, à Bilbo, pour créer une salle de consommation supervisée. Un consensus existe sur cette question, de la Gauche abertzale au PP. Le contexte légal et moral n’est pas du tout le même outre Bidassoa ou outre Rhin, ce n’est pas un débat diabolisé comme en France. En abordant ces thématiques en France on est accusé d’avoir un discours complaisant, de vouloir droguer la jeunesse etc. Alors que c’est du contraire dont il s’agit.
“Nier la réalité est hypocrite et dangereux.”
Jean-Pierre Galland, auteur de plusieurs livres sur le cannabis et sa culture, est la figure de proue des pro-légalisation de cette plante controversée. A L’occasion du 1er Forum Social International du Cannabis d’Irun il a accepté de revenir avec nous sur ce qu’est le CIRC et sur sa vision de ce que devrait être une politique responsable vis-à-vis du cannabis. Il sera présent lors du salon.
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer ce qu’est le CIRC ?
Je suis cofondateur du CIRC qui est une association d’usagers du cannabis depuis 1991. Nous militons principalement en faveur de l’autoproduction. Nous effectuons aussi un travail d’information, qu’il soit juridique, sanitaire ou de quelque ordre que ce soit concernant le cannabis. J’ai connu divers procès, nous avons eu du mal au début. Nous voulons ouvrir un débat pour savoir comment sortir de la logique prohibitionniste. Cela passe pour nous par l’abrogation de la Loi de 1970 (loi plaçant le cannabis dans la liste des stupéfiants et interdisant en conséquence “toute présentation sous un jour favorable” ainsi que la production, la détention, la vente, l’achat et l’usage). Nous ne sommes pas angéliques et avons aussi pour souci la réduction des risques liés à la consommation de cannabis.
Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ?
Depuis la création de notre association nous connaissons, pire qu’une stagnation, une régression de la situation. Le sujet est toujours fortement tabou et on se demande bien pourquoi. La question est toujours traitée de manière caricaturale. Nous avons pu le constater lors de la dernière déclaration de Cécile Duflot* (ministre de l’égalité des territoires et du logement-EELV). Combien de fois le mot “irresponsable” a-t-il été prononcé ? C’est effarant. Il n’y a de la part des partisans de la prohibition aucun argument sérieux. Leur opposition est morale. D’une morale judéo-chrétienne qui veut réduire les libertés individuelles, les plaisirs qui ne sont pas ceux des moralistes. La politique répressive ne mène à rien, nous pouvons le constater tous les jours. Le cannabis rencontre un grand succès. Nous observons que le nombre de trafiquants arrêtés est en baisse alors que celui des usagers ne cesse d’augmenter. On stigmatise sans cesse le fumeur. Il est considéré comme un futur malade ou bien un délinquant. Je ne pense pas que ce soit le cas.
Que préconiseriez-vous donc ?
Nous nous sentons assez proches de la contribution de Daniel Vaillant**, qui veut briser le tabou, notamment sur son usage thérapeutique. Cependant nous pensons que la légalisation et donc la vente contrôlée peuvent limiter l’autoproduction, qui demeure notre cheval de bataille. Planter soi-même c’est limiter les risques, qu’ils soient sanitaires, répressifs, économiques. Il y aurait aussi une éducation à faire auprès des jeunes car ce n’est pas un produit anodin. Le fait que la prévention soit faite par la police fait bien rire les jeunes. Cela leur donne même envie d’essayer, alors que la consommation chez les adolescents est un problème. Nier la réalité sur la consommation du cannabis, forte en France, est hypocrite et dangereux.
* En juin dernier C. Duflot s’est déclarée favorable à ce que le cannabis profite du même régime que l’alcool et le tabac.
** Daniel Vaillant fut ministre socialiste de l’Intérieur. Pensant que le système actuel de prohibition est un échec, l’ancien ministre souhaite qu’un débat soit ouvert et se positionne en faveur d’une “légalisation contrôlée du cannabis”, sur les modèles de l’alcool et du tabac.