Cannabis thérapeutique: le bilan des pays qui l'ont autorisé
Quand la France acceptera d'évaluer les apports du cannabis...
Quand la France acceptera d'évaluer les apports du cannabis...
Le cannabis à usage thérapeuthique reste interdit en France. Mercredi, le tribunal correctionnel de Belfort a condamné un homme atteint de myopathie à 300 euros d'amende, pour usage et détention de cannabis.
De nombreux pays européens autorisent le cannabis thérapeutique (Espagne, Allemagne..). Quels sont les résultats obtenus par les pays qui l'ont légalisé sur le plan médical ?
Alexandre Baratta : Le cannabis peut être utilisé à visée antalgique de différentes façon. Le THC en tant que tel, qui est le principe actif contenu dans le chanvre indien peut être fumé, ingéré en comprimé ou en spray sublingual. La forme orale, en comprimé, n’a qu’une très faible activité antalgique. Ce qui n’est pas le cas du joint de cannabis ou du spray sublingual. Ils ont tous les deux démontrés des propriétés antalgiques avérées dans les douleurs chroniques inflammatoires (cancer) ou neuropathiques (VIH, sclérose en plaque). Le problème du joint fumé est évident : l’efficacité dépend de la plante utilisée, des méthodes de récolte et de préparation, la standardisation est donc impossible.
D’autres alternatives plus intéressantes ont été proposées : celles des analogues de synthèse comme le Nabilone ou le Dronabinol. Ils ont une excellente efficacité dans la prévention des nausées liées aux traitements anticancéreux, mais leurs activités antalgiques restent très modérées. Enfin, il y a le Sativex, qui combine 2 molécules cannabinoïdes différentes. Dans leur ensemble, les études démontrent une bonne efficacité sur les douleurs chroniques. Mais son efficacité n’est pas supérieure à celle de la codéine. Par ailleurs, deux études ont démontré que près de la moitié des patients traités ne ressentaient pas d’amélioration de leur douleur et un quart arrêtait le traitement du fait d’effets secondaires trop gênants.
Le cannabis présente donc un intérêt évident dans certains cas de figures, en améliorant le confort de vie dans certaines pathologies chroniques. Mais son activité antalgique reste inférieure à celle de la morphine. Son principal intérêt est de pouvoir l’associer à la morphine pour diminuer la dose de cette dernière.
Enfin, les résultats d’une étude menée en 2005 auprès d’une population de sujets souffrant de VIH consommant du cannabis à visée antalgique est plutôt parlante : l’étude a démontré que 27% seulement utilisait le cannabis réellement à visée antalgique, 73% de l’échantillon consommait le produit de façon quotidienne également à visée récréative.
William Lowenstein : Il n’y a pas de bilan scientifique homogène sur le sujet. D’abord parce qu’il y a une très grande diversité des prescriptions. Ensuite, car il y a deux systèmes qui existent : celui mis en place dans 19 états américains, où l’on peut obtenir une prescription médicale de cannabis pour toute une série d’indications, et qui est par conséquent difficilement évaluable. Les systèmes italiens et espagnols ont quant à eux permis de fournir des études, qui ne donnent pas de résultats globalement satisfaisants puisque la plupart des médicaments sur le marché sont issus de deux, voire trois molécules alors qu’il existe plus d’une soixantaine de cannabinoides.
Mais il y a une conférence européenne qui s’est tenue à La Haye il y a déjà onze ans sur le sujet, et qui montrait qu’il y avait des résultats encourageants : en premier lieu sur les infections neuro-dégénératives (scléroses en plaque..), sur lesquelles on observait des résultats intéressants relatifs aux confort et à la diminution de la douleur. Le cannabis thérapeutique a aussi montré des résultats positifs quant à la tolérance de certains traitements lourds (notamment contre le VIH il y a quelques années ou l’hépatite C plus récemment) afin de mieux supporter les traitements au quotidien et d’ouvrir l’appétit. Globalement, le bilan médical reste à faire, mais cela n’empêche pas d’écouter les patients qui se disent soulagés dans un pays où l’on autorise, par exemple, la phytothérapie ou l’homéopathie.
Ce qui est délicat c’est que nous ne sommes plus sur un raisonnement médical mais sur un raisonnement politique, avec la crainte de certains que l’utilisation du cannabis à vertu thérapeutique aboutisse à une dépénalisation du cannabis dans notre pays, alors qu’il faudrait différencier les deux. Cela devrait être une démarche totalement médicale, mais qui est bloquée politiquement et juridiquement. D’un point de vue médical il est choquant que quelqu’un qui évoque une auto-médication soulageante en soit condamné.
L''utilisation du cannabis à visée thérapeutique ne peut-elle pas entrainer de dérives ? De ce point de vue, quels sont les enseignements qu'on peut tirer des exemples étrangers ?
William Lowenstein : Pas vraiment. Les médicaments actuels qui utilisent du cannabis, notamment le Marional, sont des médicaments à deux voire trois molécules et qui sont donc faiblement addictogènes. On est loin du pouvoir addictogène trouvé avec beaucoup de médicaments anti-douleurs, notamment les morphiniques et les codéinés. Quand on voit qu’en France l’ Efferalgan codéiné ne pose pas de problème alors que la dépendance à la codéine existe réellement, on peut s’interroger. Ce n’est pas honteux de vouloir calmer ses douleurs. Tous les bilans, y compris avec les molécules addictogènes, montrent l’extraordinaire bénéfice qu’on peut en tirer. Et les patients sont pour l’immense majorité très raisonnables, qui demandent seulement à ne plus souffrir.
Mais le dossier politique l’emporte sur la réflexion médicale. Il reste encore beaucoup de choses à découvrir sur les cannabidoides : il faut absolument continuer les investigations. Il ne faut pas mettre de barrage ni politique ni juridique aux avancées médicales lorsqu’elles soulagent les patients, et aux recherches médicales lorsqu’elles sont susceptibles de déboucher sur des nouvelles modalités thérapeutiques. Il ne suffit pas de donner du cannabis pour faire mieux que les traitements actuels, il s’agit de trouver des solutions à la souffrance des patients.
Alexandre Baratta : Le risque de dérive existe bien entendu. Inutile d’aller jusqu’au Canada pour en soupçonner l’existence. Il suffit de regarder ce qu’il se passe chez nous avec les trafics de Subutex par exemple. Le Subutex est un traitement de substitution aux opiacés, notamment à l’héroine. Il est utilisé pour traiter les toxicomanes, avec des règles de prescription très strictes. Malgré tout les fraudes sont fréquentes : des patients malveillants font le tour des méde cins et des pharmacies, se faisant délivrer plusieurs boites. Pour ensuite les revendre au double voir au triple du prix : un véritable trafic de stupéfiants financé par l’assurance maladie. Le même risque existe donc potentiellement avec le cannabis et ses dérivés.
Comment limiter les risques de fraude et les abus ?
Alexandre Baratta : En appliquant les même règles qu’avec les traitements opiacés : contrôles stricts, règles de délivrances précises, ordonnances sécurisées. Mais là encore , de telles précautions n’ont pas empêché de nombreux trafics, notamment avec le Subutex.
L'autorisation médicale du cannabis pourrait elle être un premier pas vers la dépénalisation voire une légalisation du cannabis en France ?
Alexandre Baratta : Il s’agit à priori de deux choses totalement différentes, mais avec le projet irrationnel d’ouvrir des salles de shoot et les récents propos banalisants du ministre de l’Education nationale concernant le cannabis, la question paraît justifiée. En tant que médecin, il faut reconnaitre les bénéfices du cannabis dans certaines indications précises sous strict contrôle, de façon plus rigoureuse que ce n’est le cas avec le Subutex par exemple. Il faut espérer qu’un usage thérapeutique ne constitue pas une malheureuse occasion de légaliser un tel stupéfiant.
William Lowenstein : Il faut séparer les deux questions. La seule question à se poser est celle de l’intérêt thérapeutique. Le doute ne se pose pas plus qu’avec la morphine, qui pourtant est autorisée. Historiquement, certains ont essayé de se servir du cannabis thérapeutique pour de mauvaises raisons. Mais les deux questions devraient être dissociées, comme pour la morphine et l'héroïne. C’est un amalgame, car en réalité ce sont deux discussions totalement différentes. Il faut accepter d’évaluer les apports possibles du cannabis, et surtout ne pas en avoir peur.
D’autres alternatives plus intéressantes ont été proposées : celles des analogues de synthèse comme le Nabilone ou le Dronabinol. Ils ont une excellente efficacité dans la prévention des nausées liées aux traitements anticancéreux, mais leurs activités antalgiques restent très modérées. Enfin, il y a le Sativex, qui combine 2 molécules cannabinoïdes différentes. Dans leur ensemble, les études démontrent une bonne efficacité sur les douleurs chroniques. Mais son efficacité n’est pas supérieure à celle de la codéine. Par ailleurs, deux études ont démontré que près de la moitié des patients traités ne ressentaient pas d’amélioration de leur douleur et un quart arrêtait le traitement du fait d’effets secondaires trop gênants.
Le cannabis présente donc un intérêt évident dans certains cas de figures, en améliorant le confort de vie dans certaines pathologies chroniques. Mais son activité antalgique reste inférieure à celle de la morphine. Son principal intérêt est de pouvoir l’associer à la morphine pour diminuer la dose de cette dernière.
Enfin, les résultats d’une étude menée en 2005 auprès d’une population de sujets souffrant de VIH consommant du cannabis à visée antalgique est plutôt parlante : l’étude a démontré que 27% seulement utilisait le cannabis réellement à visée antalgique, 73% de l’échantillon consommait le produit de façon quotidienne également à visée récréative.
William Lowenstein : Il n’y a pas de bilan scientifique homogène sur le sujet. D’abord parce qu’il y a une très grande diversité des prescriptions. Ensuite, car il y a deux systèmes qui existent : celui mis en place dans 19 états américains, où l’on peut obtenir une prescription médicale de cannabis pour toute une série d’indications, et qui est par conséquent difficilement évaluable. Les systèmes italiens et espagnols ont quant à eux permis de fournir des études, qui ne donnent pas de résultats globalement satisfaisants puisque la plupart des médicaments sur le marché sont issus de deux, voire trois molécules alors qu’il existe plus d’une soixantaine de cannabinoides.
Mais il y a une conférence européenne qui s’est tenue à La Haye il y a déjà onze ans sur le sujet, et qui montrait qu’il y avait des résultats encourageants : en premier lieu sur les infections neuro-dégénératives (scléroses en plaque..), sur lesquelles on observait des résultats intéressants relatifs aux confort et à la diminution de la douleur. Le cannabis thérapeutique a aussi montré des résultats positifs quant à la tolérance de certains traitements lourds (notamment contre le VIH il y a quelques années ou l’hépatite C plus récemment) afin de mieux supporter les traitements au quotidien et d’ouvrir l’appétit. Globalement, le bilan médical reste à faire, mais cela n’empêche pas d’écouter les patients qui se disent soulagés dans un pays où l’on autorise, par exemple, la phytothérapie ou l’homéopathie.
Ce qui est délicat c’est que nous ne sommes plus sur un raisonnement médical mais sur un raisonnement politique, avec la crainte de certains que l’utilisation du cannabis à vertu thérapeutique aboutisse à une dépénalisation du cannabis dans notre pays, alors qu’il faudrait différencier les deux. Cela devrait être une démarche totalement médicale, mais qui est bloquée politiquement et juridiquement. D’un point de vue médical il est choquant que quelqu’un qui évoque une auto-médication soulageante en soit condamné.
L''utilisation du cannabis à visée thérapeutique ne peut-elle pas entrainer de dérives ? De ce point de vue, quels sont les enseignements qu'on peut tirer des exemples étrangers ?
William Lowenstein : Pas vraiment. Les médicaments actuels qui utilisent du cannabis, notamment le Marional, sont des médicaments à deux voire trois molécules et qui sont donc faiblement addictogènes. On est loin du pouvoir addictogène trouvé avec beaucoup de médicaments anti-douleurs, notamment les morphiniques et les codéinés. Quand on voit qu’en France l’ Efferalgan codéiné ne pose pas de problème alors que la dépendance à la codéine existe réellement, on peut s’interroger. Ce n’est pas honteux de vouloir calmer ses douleurs. Tous les bilans, y compris avec les molécules addictogènes, montrent l’extraordinaire bénéfice qu’on peut en tirer. Et les patients sont pour l’immense majorité très raisonnables, qui demandent seulement à ne plus souffrir.
Mais le dossier politique l’emporte sur la réflexion médicale. Il reste encore beaucoup de choses à découvrir sur les cannabidoides : il faut absolument continuer les investigations. Il ne faut pas mettre de barrage ni politique ni juridique aux avancées médicales lorsqu’elles soulagent les patients, et aux recherches médicales lorsqu’elles sont susceptibles de déboucher sur des nouvelles modalités thérapeutiques. Il ne suffit pas de donner du cannabis pour faire mieux que les traitements actuels, il s’agit de trouver des solutions à la souffrance des patients.
Alexandre Baratta : Le risque de dérive existe bien entendu. Inutile d’aller jusqu’au Canada pour en soupçonner l’existence. Il suffit de regarder ce qu’il se passe chez nous avec les trafics de Subutex par exemple. Le Subutex est un traitement de substitution aux opiacés, notamment à l’héroine. Il est utilisé pour traiter les toxicomanes, avec des règles de prescription très strictes. Malgré tout les fraudes sont fréquentes : des patients malveillants font le tour des méde cins et des pharmacies, se faisant délivrer plusieurs boites. Pour ensuite les revendre au double voir au triple du prix : un véritable trafic de stupéfiants financé par l’assurance maladie. Le même risque existe donc potentiellement avec le cannabis et ses dérivés.
Comment limiter les risques de fraude et les abus ?
Alexandre Baratta : En appliquant les même règles qu’avec les traitements opiacés : contrôles stricts, règles de délivrances précises, ordonnances sécurisées. Mais là encore , de telles précautions n’ont pas empêché de nombreux trafics, notamment avec le Subutex.
L'autorisation médicale du cannabis pourrait elle être un premier pas vers la dépénalisation voire une légalisation du cannabis en France ?
Alexandre Baratta : Il s’agit à priori de deux choses totalement différentes, mais avec le projet irrationnel d’ouvrir des salles de shoot et les récents propos banalisants du ministre de l’Education nationale concernant le cannabis, la question paraît justifiée. En tant que médecin, il faut reconnaitre les bénéfices du cannabis dans certaines indications précises sous strict contrôle, de façon plus rigoureuse que ce n’est le cas avec le Subutex par exemple. Il faut espérer qu’un usage thérapeutique ne constitue pas une malheureuse occasion de légaliser un tel stupéfiant.
William Lowenstein : Il faut séparer les deux questions. La seule question à se poser est celle de l’intérêt thérapeutique. Le doute ne se pose pas plus qu’avec la morphine, qui pourtant est autorisée. Historiquement, certains ont essayé de se servir du cannabis thérapeutique pour de mauvaises raisons. Mais les deux questions devraient être dissociées, comme pour la morphine et l'héroïne. C’est un amalgame, car en réalité ce sont deux discussions totalement différentes. Il faut accepter d’évaluer les apports possibles du cannabis, et surtout ne pas en avoir peur.
Source : http://www.atlantico.fr
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